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May Zeineddine : Une âme de philanthrope

Samar Al-Gamal, Lundi, 13 avril 2020

Un accident de voiture dont son fils est victime transforme magiquement la vie de May Zeineddine, fondatrice de l’institution Al-Hassan pour les handicapés. Son destin, comme celui de sa famille et de nombre de personnes en fauteuils roulants, bascule alors.

May Zeineddine

« Je me suis réveillée ce matin en pensant à la fondation, comment nous pouvons continuer si la crise du Covid-19 se poursuit ainsi pendant un certain temps. La première chose qui m’est venue à l’esprit était le slogan de la Fondation Al-Hassan: Nous pou­vons, différemment. Soudain, le monde entier est devenu handicapé. Un monde de paralysés. Ce à quoi nous sommes aujourd’hui confron­tés, à l’échelle mondiale, est exac­tement ce que la fondation affronte dans son travail quotidien. Une sorte de handicap touche le monde entier. Incapacité de se déplacer en dehors du domicile la plupart du temps, incapacité de produire comme avant, incapacité de com­muniquer comme d’habitude. Peur, anxiété et besoin d’aide. A la Fondation Al-Hassan, c’est cela la base de notre travail : gérer les circonstances et les personnes dont la vie est plus difficile que la nor­male ». Ainsi parle May Zeineddine dans son long post sur Facebook de la mission de sa fondation qu’elle a créée il y a 17 ans. Et cette fonda­tion, qui porte le nom de son fils Al-Hassan, vise à « assurer une inclusion efficace aux personnes ayant des défis physiques ». Al-Hassan lui-même figure parmi cette catégorie.

Elle nous reçoit au nouveau siège de la fondation non loin du Grand Musée égyptien au pied des pyra­mides. Facile de reconnaître le bâti­ment, puisque c’est le seul du quar­tier muni d’une rampe pour les chaises roulantes. Ce jour-là, se tenait la rencontre mensuelle pour initier les donateurs et volontaires aux projets de la fondation. Son équipe, dont 75% sont des utilisa­teurs des fauteuils roulants, explique, vidéos et photos à l’ap­pui, l’oeuvre de la fondation. Environ 6000 personnes en bénéfi­cient. « Ce n’est pas de la charité, nous les aidons à vivre ». Le fils est présent, un exemple qui ne fait aucun doute. Il prépare une maîtrise en finance quantitative et en analyse de données économiques aux Etats-Unis et est bas­ketteur en fauteuil roulant. Il était même parti en Russie l’an dernier pour soutenir l’équipe égyp­tienne à la Coupe du monde de football. Soulevé par la foule avec sa chaise roulante, sa photo lui doit une couverture à la CNN. May, qu’on retrouve plus tard dans son bureau, en est fière. La photo, avec d’autres couvertures de la presse, occupe les murs. « Je documente notre expérience depuis l’accident non pas parce que nous sommes des personnes importantes, mais parce que mon rêve va beaucoup plus loin. Je rêve que cette fondation continue à servir après mon décès et je conserve alors l’histoire avec chaque étape que nous franchis­sons », souligne-t-elle. Et l’acci­dent? Que s’est-il passé ce jour de juillet 2011? May se montre réti­cente à revenir sur les événements. « Parlons plutôt de l’avenir », lance-t-elle avec un grand sourire. Enfin, elle cède. Al-Hassan avait juste fini l’école et s’apprêtait à joindre l’Université américaine. « Il avait presque 18 ans. C’était le 1er juillet 2011, son anniversaire était dans 10 jours. C’était un ven­dredi, et nous étions chez ma mère à Héliopolis. Il a demandé de prendre la voi­ture. Je lui ai dit: Ecoute, il te faut encore une dizaine de jours pour obtenir ton permis et je ne veux pas de problèmes. J’étais en tran­sition entre deux jobs et à la recherche d’un nouveau travail et j’avais peur qu’il soit arrêté par la police. J’ai quand même succombé à la pression à condition qu’il ne quitte pas le quartier ». Et la voilà peu de temps après apprenant la nouvelle à tra­vers un appel d’un inconnu qui a trouvé son numéro sur le portable de son fils. Elle les rejoint à l’hôpi­tal. Son fils la regarde droit dans les yeux et lui dit: Je ne marcherai plus. « Il avait l’air d’être bien, juste quelques blessures dans le bras. Je n’avais pas assimilé ce qu’il disait. Puis le processus avait commencé. Et la première chose qu’il m’a dite après l’opération est: J’aime les enfants, est-ce que je pourrai en avoir ? ». Pour la énième fois, un nuage de tristesse disparaît immédiatement derrière un enthousiasme souriant.

Elle était plus dans l’action, il y avait tant de démarches à faire : partir en Allemagne pour une nou­velle opération pour son fils, ras­sembler des fonds, s’occuper de sa fille Zeina en pleine crise. Le père ? Il était aux Etats-Unis et May était divorcée depuis une quinzaine d’années. En ces moments de crise, elle était une mère seule, mais presque tout le monde était là. En quelques jours, 150000 euros étaient collectés et transférés à l’hôpital en Allemagne. « Le corps médical parlait ensemble en alle­mand et avec nous en anglais et se moquait du fauteuil roulant d’Al-Hassan, comme il était très archaïque et méritait d’être conser­vé. Leur chef a adressé la parole à mon fils: Je vois dans votre rapport que vous ne marcherez plus. Qu’allez-vous faire à cet égard? La moelle épinière est brisée. J’étais furieuse et j’ai ajouté: Il doit apprendre à gérer sa nouvelle situation ».

Et pour la première fois, May était face à face avec la réalité. Que sentait-elle? Ce n’était pas le moment de gérer les émotions. Solidité impressionnante. Elle se demande aujourd’hui encore com­ment elle a fait. Son fils passait par des mois de réhabilitation. Il était comme un enfant qui avait besoin d’apprendre tout ce qui était en mesure de le rendre autonome et psychologiquement stable: com­ment sortir du lit, s’habiller, aller aux toilettes, se lever quand il tombe, etc. De retour au Caire, elle s’effondre, déprime et vit sous cal­mants. C’était un an après l’acci­dent, Al-Hassan avait fini sa réhabi­litation. « J’avais des rêves. Je rêvais avec eux de leur avenir. J’investissais dans mes enfants. C’était le marché que j’avais conclu avec moi-même et j’ai passé de longues années dans la vie cor­porative dans le but de leur garan­tir une vie digne où ils ne seront privés de rien. Puis un accident a tout bouleversé ».

Et il a fallu un autre accident pour qu’elle quitte sa chambre à coucher. Quelqu’un avait entendu parler de l’histoire de son fils et lui parle d’une fille orpheline à Dubaï, vic­time d’un accident de voiture. « En signe de gratitude à tous ceux que je ne connais pas et avaient collec­té des dons pour Al-Hassan, j’ai décidé d’aider la jeune fille et faire exactement ce que j’ai fait pour mon fils. Je voulais redonner à l’univers pour que le cercle d’amour continue. Mais je voulais légaliser la collecte de fonds ». L’esprit militant, elle dépose des papiers auprès du ministère de la Solidarité sociale en octobre 2012 et, en février 2013, la Fondation Al-Hassan est officiellement née.

Aujourd’hui, elle compte 8 grands projets, des fauteuils rou­lants sur mesure, ainsi qu’un sou­tien des programmes de formation professionnelle et commerciale aux clubs sportifs. Les diplômés univer­sitaires sont aidés à chercher du travail dans un lieu de travail acces­sible ou encore à lancer des petites et moyennes entreprises sous des conseils commerciaux pendant les premiers mois. Réhabilitation, voi­tures équipées, etc. une large gamme de services. L’aide s’étend également aux parents, qui ne savent pas au départ comment s’oc­cuper d’un enfant handicapé.

Mais le plus important, c’est la prise de conscience de la société elle-même. « Les personnes en fau­teuils roulants grandissent dans une société qui leur dit: Vous ne pouvez pas le faire, alors qu’ils peuvent tout faire, mais différem­ment. Ils ont des capacités diffé­rentes et ne sont pas des handica­pés. Il est vrai que cette fondation aide des personnes dans des condi­tions difficiles, mais elle nous aide aussi, je ne serais pas allée au-delà de l’accident de mon fils. Je me sens dans un film depuis l’accident. Des choses anormales dans le bon sens nous arrivent. Nos priorités et nos valeurs en tant que famille ont changé. Nous sommes très différents. Nous sommes bénis. C’est la baraka, aucun autre mot ne peut la décrire et des fois je me demande si nous la méritons ».

Son rêve pour ses enfants s’est converti en philanthropie. Elle rêve d’inclusion. Inclusion des « valides différents ». Elle rêve de s’étendre à toute la région du Moyen-Orient et faire adopter son modèle, notamment dans les zones de guerre en Syrie, en Iraq et au Yémen. Une sorte de fran­chise philanthropique qui couvre tous les types de handicap l

Jalons

11 juin 1970 : Naissance au Caire.

1992 : Graduation à l’université.

Juillet 1993 : Naissance de son fils Al-Hassan.

Avril 1995 : Naissance de sa fille Zeina.

1998 : Divorce.

Juillet 2011 : Accident de son fils Al-Hassan.

Février 2013 : Inauguration de la Fondation Al-Hassan.

2019 : Prix de l’une des pratiques les plus innovantes au concours Zero Project de l’Onu à Vienne.

2019 : Second mariage.

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