Son monde ? Elle sait bien lui redonner tant de couleurs. Un monde super sympa. Candide? Non, Névine Mossaad ne l’est pas du tout. C’est une femme positive, dynamique et bienveillante. Tout le long du trajet menant à son bureau, la professeure salue tout le monde avec un beau sourire débordant de compassion : les hommes de sécurité, les plantons comme les étudiants et les professeurs … tous ont hâte de venir lui passer le bonjour.
Une fois le seuil de la salle des professeurs émérites franchi, tout un monde en couleurs vous accueille. « Qu’en pensez-vous ? C’est moi qui en ai fait la décoration », dit-elle. Et d’ajouter: « Je ne peux pas travailler dans un endroit qui n’est pas beau ». Ainsi, sur chaque bureau est placé un bouquet de fleurs et des plantes agrémentent les quatre coins de la salle. En outre, les murs sont ornés de peintures de toutes les couleurs : le visage d’une paysanne, des ornementations orientales… De quoi enjoliver la salle, débordante d’énergie. Une telle atmosphère n’est pas sans révéler la personnalité drôle et rayonnante de la professeure, qui éprouve certes un sentiment d’appartenance à l’Université du Caire. « J’ai toujours voulu être journaliste, mais ce n’était pas très clair dans ma tête. J’ai toujours aimé l’idée d’écrire, mais pas de faire un travail de terrain. Alors, étant la première de la République au bac, j’ai décidé de m’inscrire en sciences politiques avec mes amies du Collège de la Mère de Dieu qui, elles aussi, étaient classées 5e et 9e de la République », raconte-t-elle.
Le premier jour à la faculté était un grand choc. Après une vie enfermée dans un établissement de bonnes soeurs, bref un monde exclusivement féminin, elle s’est retrouvée dans un monde beaucoup plus large où la mixité est la règle. « Mes amies et moi, nous regardions, stupéfaites, les garçons se promener avec leurs petites amies. Mais, nous nous contentions de les regarder, car nous n’osions pas les imiter », plaisante-t-elle.
Fille d’un conseiller juridique et d’une mère qui a grandi dans un pensionnat religieux, elle avait une vie stricte, au sein d’un milieu conservateur. Elle était quand même très proche de son père. « Il passait des nuits entières à réviser ses plaidoiries et à m’expliquer l’usage d’un tel mot ou la formulation d’une structure donnée. J’avais l’habitude également de lui réciter les sourates du Coran que j’ai apprises par coeur et c’était à lui de me corriger la prononciation … ». Ayant acquis un très bon niveau en langue arabe, son professeur au cycle préparatoire chez les Franciscaines l’invitait souvent à lire devant les autres élèves.
L’amour de la langue arabe coulait dans ses veines. Et le papier et le stylo étaient toujours ses meilleurs compagnons, au moment les plus durs comme les plus sereins.
Après la victoire de 1973, elle, qui était en cycle secondaire, a écrit un roman intitulé Fiddiyat Al-Nasr. « Comme j’habitais à l’époque dans le quartier de Agouza dans un appartement donnant sur le Nil, je voyais chaque jour Naguib Mahfouz marcher dans la rue, très tôt le matin. Et moi, qui le surveillais avec les yeux grands ouverts, j’ai décidé un jour de lui montrer mon roman. Il m’a demandé alors de l’attendre au balcon chaque jour le matin, et une fois qu’il aurait fini de lire, il me ferait signe pour qu’il me donne son avis là-dessus. Je passais de longues journées plantée sur mon balcon, en attendant que le grand écrivain me fasse signe. J’ai failli même perdre espoir, puis le grand jour est arrivé ». Et de poursuivre son histoire dont elle se souvient comme si c’était hier: « Il m’a posé la question : quels écrivains lis-tu ? Je lui ai répondu : Al-Manfaloti et Sadeq Al-Raféï. Alors il m’a dit : tu as un style assez lourd, il ne convient pas au XXe siècle. J’ai considéré que c’était un moyen diplomatique et gentil de me dire que je ne pourrais pas être romancière ».
Pourquoi devenir alors professeure? Parce qu’elle était simplement studieuse. « J’étais la première de ma promotion, et j’aimais beaucoup l’enseignement pour son côté humain ». Nommée comme assistante à la faculté des sciences politiques et économiques, l’un de ses professeurs, Hamed Rabie, qui s’intéressait aux mouvements sionistes, lui a proposé de travailler sur ce sujet, notamment la politique française à cet égard. A l’époque, ce thème n’était cependant pas très à la mode. « A la bibliothèque, je n’avais trouvé aucun livre dessus. Impossible d’obtenir une bourse d’études, alors j’ai décidé de partir en France à mes propres frais ». Je restais dans la bibliothèque nationale dès son ouverture à 8h jusqu’à sa fermeture.
Cependant, elle a dû au final faire sa thèse de doctorat sur un sujet tout très différent, à savoir les minorités. Pourquoi ? « J’ai découvert que le sujet de magistère n’a pas attiré l’attention », dit-elle en riant, ajoutant qu’elle a fini par opter pour un sujet de thèse plus à la mode.
A l’aise avec tout le monde, Névine Mossaad a réussi à établir une belle carrière et à tisser un réseau de relations assez puissant. Au début des années 1990, les intellectuels Gamil Matar et Hassanein Heikal ont créé la revue Wighat Nazar (points de vue), éditée par Al-Shorouk. Et comme elle travaillait déjà avec Matar dans le Centre arabe des recherches et du développement social, celui-ci lui a demandé de faire le compte rendu d’un livre. « Il m’a demandé d’aller voir Heikal. Celui-ci m’a dit : vous, les anciens étudiants de sciences politiques, croyez que les lecteurs assimilent bien ce que vous écrivez, alors que votre langage est incompréhensible. A ce moment, je me suis rendu compte de l’impact de l’étude académique sur mon style d’écriture ». Elle s’est alors mise à retravailler son style et à revoir son compte rendu. Une fois la tâche accomplie, Matar lui demanda, par la suite, de proposer un autre article. « Ce fut mon deuxième article : l’image des coptes dans la littérature égyptienne ». Pour l’écrire, elle a dû se référer à des oeuvres de Naïm Sabri, Edouard Al-Kharrat, Tawfiq Al-Hakim et Naguib Mahfouz. « C’était l’un des sujets que j’ai beaucoup appréciés, non seulement parce que ma thèse était sur les minorités, mais aussi, car étant une ancienne élève des religieuses, j’ai grandi dans un environnement qui respecte la diversité et l’ouverture ». Plus tard, Névine Mossaad a entamé une nouvelle aventure d’écriture dans le quotidien arabe publié toujours par Al-Shorouk, en signant une analyse politique une fois par semaine dans la page Opinion, et un autre article plutôt social dans le cadre d’une tribune intitulée « Impressions » toutes les deux semaines. Son abord facile et son langage simple cachent un redoutable savoir académique et une sensibilité envers la société.
Ses écrits sont nourris de témoignages et de réflexions. Elle a écrit, par exemple, La Maman du marié au moment où elle était prise par les préparatifs du mariage de son fils, et La Chambre de ma fille, juste après le départ de sa fille pour le Canada. « Dans cet article, chaque mot était accompagné de larmes. Comme toute fille, Sarah passait la plupart de son temps dans sa chambre. Elle passait nous saluer, nous raconter un incident de temps en temps ou se contentait des fois de faire un commentaire de loin à haute voix. A son départ, j’ai décidé de ne pas laisser la porte de sa chambre fermée, pour vivre dans l’illusion de sa présence », avoue-t-elle, avec les larmes aux yeux, tout en essayant de rester ferme.
A la suite de la Révolution du 25 janvier 2011, et avec la montée des Frères musulmans, ses articles sociaux ont commencé à avoir une note plus politique. Papa Mohamad était un article publié en réponse aux propos du cheikh Khaled Al-Guindi qui avait critiqué la célébration de Noël dans une émission télévisée, y réfutant l’usage de l’appellation Papa Noël et disant que les musulmans devraient plutôt dire « Papa Mohamad ». Dans son article, elle n’a pas manqué de critiquer l’opinion du cheikh qui cherche ainsi, selon elle, à semer la discorde au sein de la société. Et sans doute les réseaux sociaux ont réagi quant à ses remarques et ses réflexions. « Ce qui s’est passé sur Facebook à la suite de la mort de l’ancien président Moubarak témoigne d’une extrême polarisation de la société. Je suis pour la diversité d’opinions. Mais Facebook qui devrait être une tribune libre d’expression est devenu plutôt un terrain de conflit. En outre, les émotions ont été remplacées par des emojis : une fleur ou un coeur pour dire je t’aime … le romantisme risque de disparaître », commente-t-elle.Nostalgique ? Car la rencontre avec l’homme de sa vie était empreinte de romantisme. Un vrai coup de foudre. « Une amie proche m’avait tant parlé de l’ami de son fiancé. Elle voulait bien nous présenter l’un à l’autre, en espérant de nous marier. Un jour, ils sont venus à la faculté. J’avais un cours de relations internationales et pendant le cours, j’avais roulé les cheveux en bigoudis, et c’est là que j’ai vu le prétendant présumé », raconte-t-elle avec un rire qui fait vibrer les lieux.
Le trajet vers la cafétéria était parsemé d’arbres à feuillage épais pour qu’elle puisse passer, le prétendant a éliminé l’une des branches. Le geste a touché son coeur. « De retour chez moi, je me suis mise à décrire ce moment que j’ai vécu avec beaucoup de romantisme … », Névine s’est mariée avec l’homme de sa vie, Mohamed Salem, devenu plusieurs années plus tard ministre des Télécommunications et de la Technologie de l’information entre 2011 et 2012.
L’académicienne est plutôt le type de personne qui aime briser les stéréotypes. C’est d’ailleurs l’un des projets de recherche qui la préoccupe ces jours-ci. « Pourquoi une grosse femme est-elle symbole de la hausse des prix dans la caricature ? », s’insurge-t-elle.
Tirée à quatre épingles, et au corps élancé, son apparence rompt avec l’image traditionnelle des femmes bosseuses, et bien évidemment des professeurs universitaires. On dirait plutôt une femme qui travaille dans le domaine de la mode ou des arts. Enfin, c’est elle: une dame intelligente qui sait concilier plusieurs mondes.
Jalons :
13 février 1956 : Naissance au Caire.
1974 : Première de la République au baccalauréat égyptien.
1978 : Assistante à la faculté des sciences politiques et économiques, Université du Caire.
1983 : Master sur le sionisme et les groupes de pression en France.
1987 : Thèse sur les minorités et la stabilité politique dans le monde arabe.
1999 : Premier article dans la revue Wighat Nazar.
2002-présent : Editorialiste au quotidien Al-Shorouk.
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