Lundi, 14 octobre 2024
Al-Ahram Hebdo > Visages >

Hannah Abou Al-Ghar : Pédiatre, mère et citoyenne

Lamiaa Al-Sadaty, Mardi, 04 février 2020

Elue parmi les 50 femmes égyptiennes les plus influentes par la plateforme Women of Egypt, Hannah Abou Al-Ghar est une pédiatre hors norme. Elle s’attache non seulement à diagnosti­quer les maladies, mais aussi à rétablir la confiance entre parents et enfants, à atteindre un équilibre entre corps et psyché.

Hannah Abou Al-Ghar

La blouse blanche? Elle ne la porte pas. Elle préfère une blouse bleue ornée de figures enfantines en cou­leurs. « Les enfants ont toujours peur de la blouse blanche; c’est pourquoi il faut l’éviter », explique-t-elle d’un sourire qui révèle un grand amour pour les enfants et une sagesse innée. Normale. Les Arabes n’appellent-ils pas le médecin Al-Hakim (c’est-à-dire le sage) ?

Les murs de son cabinet tapissés de dessins faits par des enfants-patients affirment que cet amour est réci­proque. Derrière la blouse, une per­sonnalité exceptionnelle, curieuse des enfants et désireuse de découvrir de nouveaux horizons. « Ma mère est suédoise. Elle est venue en Egypte en 1965, comme beaucoup de spécia­listes à l’époque, pour travailler en tant que kinésithérapeute au centre de réadaptation médicale à Agouza, qui venait d’ouvrir ses portes. C’était le premier du genre en Egypte. Ma mère qui devait y passer une année a ren­contré mon père et ils se sont mariés vers la fin de 1967. Finalement, elle ne l’a jamais quitté », raconte Hannah Abou Al-Ghar d’une voix douce.

Née en Suède, elle rentre en Egypte à l’âge de 6 mois. Dorénavant, sa vie va se cristalliser autour de deux cultures : la culture arabo-égyptienne et la culture européenne-suédoise. « Maman avait l’habitude de nous parler en suédois, et papa en égyptien. On célébrait aussi toutes les fêtes suédoises, en parallèle aux célébrations égyptiennes ». Elle a appris, par conséquent, à jongler entre les deux codes, à vivre les relations familiales et les amitiés sur deux modes distincts. Ceci dit, elle a développé une capacité d’envisager le monde selon plusieurs points de vue. « Les contes suédois ont beaucoup marqué mon enfance », souligne-t-elle, et d’ajouter: « Ma grand-mère paternelle ainsi que mon père avaient une bibliothèque pleine d’ouvrages de littérature arabe aussi bien que de littérature étrangère. Un vaste monde que j’ai découvert depuis l’âge de 11 ans ».

Toutefois, le monde littéraire ne demeure qu’un abri dans les moments les plus difficiles. Un autre rêve cares­sait l’esprit de la petite fille et ne ces­sait de croître pour devenir une réalité. Une fois le GCE (bac britannique) en poche, elle part s’inscrire à la faculté de médecine. « Dès l’âge de 8 ans, j’ai pris la décision de devenir pédiatre. Maman m’a raconté qu’un jour, au moment où nous étions assises toutes les deux sur le canapé, et après avoir terminé son conte, je lui avais dit qu’un jour, je deviendrais pédiatre et que je bâtirais une grande maison pour y réunir tous les enfants sans domicile fixe ».

Les années passent très vite, et le rêve de Hannah se concrétise progres­sivement. « A un moment donné, j’ai voulu faire de la psychologie en parallèle avec la pédiatrie. Mais, je me suis rendu compte que, faute de temps, c’était impossible. Etant femme adulte, et surtout mère, j’ai découvert que tout le monde vivait sous pression. Parfois, ces pressions dues à des causes bien variées ont des répercussions sur l’état physiolo­gique ».

Avec la naissance de ses deux filles, Hannah Abou Al-Ghar entame un nouveau chapitre de sa vie. « J’ai accouché de ma fille aînée lors de mon internat. Celui-ci est aussi strict qu’un système militaire: on travaille 70 heures par semaine, pendant trois ans. On se trouve dans l’obligation de se débrouiller et de faire face à des situations très difficiles : des condi­tions de travail, des maladies, etc. ».

Devenir mère est une chose précieuse que le Dr Hannah a tant voulu. Une responsabilité aussi grande que celle d’être pédiatre. « Investir dans ma relation avec mes deux filles a toujours été une tâche qui m’a préoc­cupée : être en mesure de les protéger, de les encourager, mais aussi de com­prendre ce qui se passe dans leurs têtes ».

En effet, elle associe avec bonheur ses attentions de mère et son épa­nouissement professionnel. Elle ne voulait pas être une pédiatre « clas­sique » qui dépiste et traite les mala­dies infantiles, telles la varicelle, la rougeole, les oreillons … mais elle rêvait aussi d’être apte à déceler des problèmes d’ordre psychologique et d’entretenir une relation de confiance avec les parents accompagnateurs, pour qu’ils appliquent ses conseils et ses recommandations en matière d’hygiène, d’alimentation, d’activités sportives, etc.

Créative et ingénieuse. Ce sont les deux principales qualités de Hannah Abou Al-Ghar. Pragmatique à toute épreuve, elle a fait de sa clinique un lieu réconfortant pour les petits aussi bien que pour les grands. Un bureau pour enfant est placé au centre, et en face, des étagères sur lesquelles sont déposés des cubes, des puzzles, etc. Sur les murs sont accrochés des pein­tures à l’huile et des collages, signés par des artistes égyptiens et suédois.

Cet amour pour les arts plastiques, elle l’a hérité de son père qui pos­sède une belle collection d’oeuvres d’art. « J’adopte une philosophie commune à la médecine indienne et chinoise traditionnelle selon laquelle la santé c’est l’équilibre entre le corps, l’esprit et l’âme », affirme-t-elle.

En outre, une dizaine de revues de santé sont placées dans la salle d’at­tente. Des brochures contenant des conseils d’ordre sanitaire, alimen­taire mais qui touchent aussi à ce qu’elle appelle « l’éducation posi­tive ». Celle-ci est le sujet principal qu’elle tient à développer à travers ses articles d’opinion, publiés en arabe dans le quotidien Al-Shorouk. « Tous les parents cherchent à ce que leurs enfants soient bien édu­qués. Or, ils manquent parfois de savoir-faire. Ceci influence négati­vement la conduite des enfants ».

Pour elle, les familles doivent réa­gir pour changer le système éducatif mis en place. « Nos enfants passent huit heures d’études à l’école. De retour, on les oblige à étudier ou à prendre des cours particuliers… et si en plus ils pratiquent une activité sportive, cela devient un vrai cal­vaire pour eux. Car ils y passent de longues heures… De plus, il y a toujours l’insistance des parents à ce que leurs enfants soient les pre­miers. Devenir deuxième ou troi­sième est considéré comme un échec ! Cette façon de voir les choses tue toute volonté, toute créa­tivité chez les pauvres petits. Quand auront-ils le temps pour jouer ? », s’insurge la médecin, et de souli­gner : « C’est pour ces raisons que les enfants, une fois adultes, cessent de pratiquer du sport, ou de lire … car ces pratiques deviennent syno­nymes de fatigue, d’évaluation, etc. ».

L’alimentation thérapeutique est une autre discipline à laquelle la pédiatre s’intéresse vivement, puisqu’elle s’inscrit toujours dans la lignée de la santé des enfants. « Les enfants égyptiens souffrent de malnutrition. Autrefois, cette malnutrition était liée à l’image d’un enfant faible, misé­rable et ayant la peau sur les os: on dirait un squelette. Aujourd’hui, l’image a complète­ment changé: une mal­nutrition pourrait être aussi associée à un surpoids remar­quable, qui entraîne, par la suite, un retard de croissance chez les enfants », fait-elle remarquer.

D’après la docteure, le potentiel de ces enfants égyptiens risque d’être perdu: des recherches ont démontré que ces enfants vont souf­frir de maladies cardiaques et immu­nitaires, et ne pourront pas remplir les tâches qui leur seront confiées.

« Les critères économiques ne sont pas, seuls, les indices de pro­grès. Moi, je vois le progrès autre­ment. Le bonheur de la société est un critère indispensable pour moi. Les pays qui connaissent le progrès, au vrai sens du terme, sont ceux où il existe une responsabilité collec­tive : ce sont les pays plus ou moins socialistes tels les pays scandi­naves ».

Passionnée et hyper engagée, Hannah Abou Al-Ghar a participé à la Révolution du 25 Janvier 2011. Elle était toujours présente à la place Tahrir et plus tard, elle a été membre active du parti Social-démocrate dont son père, Dr Mohamed Abou Al-Ghar, gynécologue de renom, a été l’un des fondateurs. Mais aujourd’hui, elle a quitté la vie poli­tique pour se consacrer entièrement à tout ce qui touche aux enfants. « Qui dit politique dit manoeuvres, calculs … ce sont des affaires qui ne me regardent pas. J’ai compris tout simplement que les enfants sont l’avenir du pays. De ce fait, je suis convaincue que ma responsabilité est de sensibiliser la société quant à leurs droits ».

Au milieu de ces tempêtes émerge la figure d’une femme forte malgré sa douceur apparente, qui se contente d’assumer une responsabilité plutôt humaine, celle de lutter pour le bon­heur des enfants, qui ne sont qu’une partie prenante de la société.

A la fois utopiste et ancrée dans le concret, elle s’investit, à travers l’as­sociation Banati qu’elle a fondée avec d’autres, dans l’objectif d’amé­liorer les conditions de vie des enfants sans abris. Pourquoi Banati (qui veut dire mes filles, en arabe) plutôt que Awladi (mes enfants, englobant à la fois les deux genres) ?

« Quand mes collègues et moi avons fondé cette association, il y avait de nombreuses institutions destinées aux garçons, et aucune pour les filles. C’est dû peut-être au fait que le nombre de filles sans abris était limité par rapport à celui des garçons. Aujourd’hui, le nombre est identique », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Autrefois, ces filles sans abris avaient plus que 12 ans. Mais avec le temps, l’âge a baissé pour devenir 4 ans. Imaginez-vous dans une société aussi stricte que la nôtre! Une fille de 4 ans ne pourrait jamais prendre seule une déci­sion pareille. Elle a été plutôt obligée de partir de chez elle ».

Hannah Abou Al-Ghar juge primor­dial que toute la société assume sa responsabi­lité face aux violations des droits des enfants. La moindre des choses, selon elle, est de composer le 16 000, la ligne d’assistance aux enfants. « Si je vois par hasard un père qui frappe son fils, je me permets d’in­tervenir pour des raisons humaines. C’est mon droit envers cet enfant, qui est en fin de compte un conci­toyen. C’est une protection, une défense », conclut-elle, sur un ton maternel. D’ailleurs, comment défi­nir une mèreidéale? « C’est celle qui a trouvé la bonne distance entre les besoins réels de l’enfant et ses désirs à elle: ni trop présente ni trop absente ». Et notre pédiatre l’est-elle. « Impossible pour toute mère de répondre positivement à cette question », répond-elle avec un beau sourire .

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique