Peindre la nostalgie du bon vieux temps permet à Akila Riad de se redécouvrir. Ses peintures de femmes élégantes et pulpeuses qu’elle vient d’exposer en grands formats à la galerie Nile Art, à Zamalek, ont quelque chose qui n’appartient pas à cette époque. « J’essaie d’offrir une lecture originale de ce qu’a été l’Histoire, ou une partie de l’Histoire, celle d’avant 1950. Je ne veux pas simplement peindre la vie de luxe, celle des palaces, etc., mais je présente une méditation sur le temps », explique l’artiste-peintre Akila Riad, qui a fait ses études aux beaux-arts d’Alexandrie. Et d’ajouter: « Je ne veux pas non plus idéaliser la période colonialiste en montrant la vie en rose, mais, au moins, la beauté était partout. Je suis totalement contre le voile, contre l’obscurantisme et l’asservissement de la femme et tous ces préceptes que nous avons reçus des pays du Golfe. C’est ultra-rétrograde. Revenons à la beauté que Dieu nous a envoyée pour récompenser nos actes et nos efforts. Dieu aime la beauté en nous, comme il aime la générosité, la compassion et la pureté en nous. Ce qui est beau est forcément aimable. Pour moi, la beauté est étroitement liée à l’Amour avec un grand A ».
Akila Riad s’est inspirée, pour son exposition God of Love, d’Eros, le dieu de l’amour et de la puissance créatrice dans la mythologie grecque. « Eros est considéré comme un dieu né en même temps que la Terre et sorti directement du Chaos primitif. Ainsi, il était adoré, à Thespies, sous la forme d’une pierre brute. A travers Eros, qui figure souvent dans mes oeuvres, je lance une invitation à l’amour sincère et véritable, loin de tout désir d’étouffer les libertés », précise Akila Riad.
L’artiste a fait en 2000 un doctorat aux beaux-arts de l’Université de Hélouan sur les valeurs esthétiques des dessins sur pierre et sur poterie en Egypte Ancienne, à savoir sur l’art de l’ostraca. Il s’agit d’un tesson de poterie ou d’un éclat de calcaire qui, dans l’Antiquité et dans diverses civilisations antiques — égyptienne, grecque, romaine—, servait de support d’écriture. « L’ostracon permet de pénétrer le quotidien des habitants de l’Antiquité, à la manière de certains papyrus », explique Akila Riad.
L’artiste est née dans le quartier de Sporting, tout près de la rue d’Abouqir, au nord-est d’Alexandrie. C’est-à-dire là où subsistent toujours de nombreux vestiges antiques, égyptiens, grecs et romains. Issue d’une famille modeste et conservatrice, Akila Riad a quand même profité d’une grande liberté de penser et d’agir. Elle est d’ailleurs fière d’être née dans la ville cosmopolite d’Alexandrie. « C’est la capitale de la mémoire, une ville polyglotte, belle et libre. Alexandrie demeure une ville ouverte, un carrefour du monde, un lieu idéal pour les rencontres des peuples venus de rivages voisins ou lointains. A Abouqir, les habitants, de différentes religions et nationalités, vivaient ensemble en toute fraternité. Mes amis au Lycée français d’Alexandrie, comme Thérèse, Ketty, Marie et Georges, étaient grecs, italiens, arméniens et français. On passait ensemble de très beaux moments au Club grec, à la plage Aïda à Montaza. Enfants de riches et de moins riches, nous étions égaux. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’écart social et économique entre les gens est de plus en plus grand ». Et de poursuivre, sur un ton passionné : « Dans le temps, nous étions libres de nous habiller comme nous le voulions, sans restriction aucune. Ça n’a rien à voir avec maintenant ».
Akila Riad est aussi une passionnée de lecture; elle dévore tous les livres qui lui tombent sous la main et s’approvisionnait dans la bibliothèque de ses parents. Elle a commencé par s’intéresser aux livres d’histoire, avant de passer aux romans de Naguib Mahfouz, Youssef Al-Sébaï et Ihsan Abdel-Qoddous. Puis elle a découvert Vladimir Lénine et ses idées politiques, notamment le slogan « la terre, le pain et la paix ». Elle est aussi une cinéphile et adore les films en noir et blanc, avec les grandes vedettes du cinéma égyptien. « Ces films en noir et blanc représentaient la femme dans sa toute beauté, son élégance et sa dignité », affirme Riad, qui a quitté Alexandrie vers la fin des années 1970 pour poursuivre ses études supérieures au Caire. « A cette époque déjà, je pouvais sentir l’invasion culturelle. On était submergé par des idées religieuses rétrogrades et rigides qui diffèrent de tout ce qui a distingué Alexandrie autrefois. Je pense qu’il ne faut aucunement mêler politique et religion », souligne Akila Riad.
Fidèle à son métier d’artiste, cette dernière ne refuse jamais d’être la curatrice d’événements organisés par le ministère de la Culture. En 2009, elle a ainsi été responsable de l’atelier des « Filles de Siwa », parrainé par les Palais de la culture en Egypte. Puis, en 2010, elle a été commissaire de l’Exposition des jeunes, organisée au Centre culturel égyptien de Vienne, en Autriche. De même, elle a été membre du comité supérieur du Forum international de Louqsor et de celui des Oasis, soutenus par le Fonds du développement culturel. Elle a également travaillé pendant une très courte durée comme graphiste, pour mieux gagner sa vie, et elle a été conseillère de plusieurs projets artistiques, en Egypte comme à l’étranger, pour la même raison.
Aux beaux-arts d’Alexandrie, Akila Riad a été la disciple des maîtres Kamel Moustapha, Hamed Eweis, Seif Wanli et Ahmad Abdel-Wahab. Ces derniers lui ont enseigné que « l’art n’aime pas avoir des rivaux », à savoir qu’il faut s’y consacrer entièrement. « Je ne suis pas du tout une artiste prolifique. La qualité d’une oeuvre d’art importe beaucoup plus à mes yeux que la quantité. J’aime travailler avec rigueur et dans la bonne humeur. J’aime aussi prendre mon temps. Parfois, il m’arrive de m’enfermer dans mon atelier pendant toute une journée, rien que pour dialoguer avec ma peinture. Rien ne sert de courir, il faut partir à point », conseille l’artiste.
La visite effectuée à Louqsor et Assouan pendant ses études universitaires lui a ouvert de nouveaux horizons. « Visiter le temple de la reine Hatshepsout et celui de la déesse Isis, ces femmes de grand pouvoir, cela m’a éblouie. L’histoire pharaonique me fascine de par son humanisme. De plus, c’était une société qui reconnaissait les droits des femmes, leur égalité avec les hommes et la complémentarité des deux sexes. Cela est clair à travers les dessins, les ornementations et les inscriptions sur les murs des temples pharaoniques », affirme l’artiste-peintre. Et d’ajouter : « Le dessin pharaonique le plus cher à mon coeur est le lotus bleu, symbole de la pureté du corps, de la prospérité, de la fertilité et de la vie éternelle ».
Pour son master, qu’elle a obtenu en 1994, elle a choisi comme sujet « La conversion religieuse et son impact sur la peinture murale à l’époque d’Akhenaton ». « C’est la réforme religieuse d’Akhenaton, dite aussi la révolution monothéiste, qui a contribué à l’émergence des théories les plus originales, à partir du XXe siècle, sur l’amour, la liberté et la paix. Initié aux arcanes de la science divine, Akhenaton entame, en compagnie de son épouse royale Néfertiti, une profonde révolution religieuse et politique, et institue le culte sans partage d’un dieu universel, Aton. De tout temps, la femme a eu un rôle primordial dans l’histoire de l’Egypte ».
Akila Riad, née sous Nasser, décrit la Révolution de 1952 comme étant « une confusionsociétale». Et explique: « La Révolution de 1952 est venue rompre avec une Egypte qui vivait dans un monde ouvert, côté culture, science, mode, art, musique, cinéma, architecture… Et ce, en dépit du colonialisme turc, que je considère aussi comme une invasion. Nasser est un leader qui a fait beaucoup de belles choses pour le pays dans le but de lutter contre la pauvreté, l’humiliation, les droits humains bafoués, le féodalisme. Mais la nationalisation, avec laquelle il pensait mettre fin au pouvoir des propriétaires terriens, en particulier ceux qui appartenaient à la famille royale, a été un échec. Dans cette même optique, Nasser a entrepris une réforme agraire qui visait à redistribuer les terres de manière plus égalitaire. Et ce n’était pas une réussite non plus. Je vois qu’actuellement, les paysans, loin de cultiver leurs terres, construisent dessus. Les bâtiments poussent partout comme des champignons. A chacun de faire son travail comme il faut pour atteindre une plus grande productivité, au niveau de toute la société ».
L’artiste aime plonger dans les périodes historiques où l’on respectait le plus les femmes. Elle les intègre automatiquement à son oeuvre. Ainsi, les titres de ses précédentes expositions étaient les suivants : Ibnet Al-Chams (la fille du soleil), en 2017, à la galerie Nile Art, précédée, en 2014, par Al-Masriya Ala Mar Al-Ossour (l’Egyptienne au fil du temps), à la salle Al-Bab du Musée égyptien d’art moderne. Ses peintures montrent souvent des femmes libres comme le vent. « Dans l’exposition La Fille du soleil, j’ai eu recours à une palette riche en couleurs, avec du doré, de l’orange et du bleu. Des couleurs du soleil et du Nil qui vont bien aux reines qui ont marqué l’Histoire ». Akila Riad prend ainsi la défense des femmes, chose qu’elle a apprise de son père avocat, qui lui a montré très tôt comment plaider une cause à laquelle elle croit fermement. « La femme en Egypte a besoin de lois fermes à même de lui accorder ses droits humains, loin de toute contrainte, soumission et servitude », conclut Akila Riad. Ses peintures remplacent donc la grande éloquence des plaidoiries. Elles vont par le chemin le plus court, celui des sens.
Jalons :
Octobre … : Naissance à Alexandrie.
1978 : Diplôme des beaux-arts d’Alexandrie, section peinture.
2006 : Exposition au Texas (Etats-Unis).
2009 : Bourse de résidence artistique à l’atelier international de Louqsor, accordé par le Fonds du développement culturel en Egypte.
2018 : Participation à la 58e édition du Salon du Caire, au Palais des arts, à l’Opéra.
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