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Rafik Attallah : Le choeur et l’école à la baguette

Névine Lameï, Lundi, 23 décembre 2019

adjoint et directeur du collège et du lycée français Concordia, Rafik Attallah est également le chef de la chorale Prière Vivante, qui vient d’animer les célébrations de la nuit de Noël à la Basilique Notre Dame d’Héliopolis. Portrait d’un homme aussi passionné par l’enseignement que par la musique.

Rafik Attallah
(Photo:Moustapha Emeira)

A la tête du corps administratif d’un grand établissement scolaire international en Egypte, Rafik Attallah, proviseur adjoint et directeur du collège et du lycée français Concordia, au Nouveau Caire, assume non seulement ses responsabilités pédagogiques, mais aussi la direction de la chorale Prière Vivante de la Basilique latine Notre Dame d’Héliopolis. Il en est le directeur depuis décembre 1974. Avec sa chorale, il anime chaque année, tout au long du mois de décembre, une série de concerts de célébration de Noël dans des églises catholiques, des écoles francophones ou d’autres espaces publics. De plus, Prière Vivante anime la messe tous les dimanches soirs à la Basilique Notre Dame d’Héliopolis.

« Pendant la messe de Noël, centrée autour de la crèche, en chantant le Gloria (hymne liturgique chrétienne, interprétée durant la messe catholique), on sonne les cloches de l’église pour rappeler le chant des anges, venus annoncer la naissance du Sauveur. Pour que la chorale Prière Vivante chante bien les célèbres cantiques de Noël, qui reprennent des airs très anciens, la nuit de la Nativité, à la Basilique, il faut beaucoup de travail. Je me rappelle que l’ancien animateur de radio, Nicolas Barakat, diffusait dans le temps la messe de Noël en direct de la Basilique. J’ai chez moi quelques rares enregistrements, qui datent de 1974 », souligne Rafik Attallah.

En 1974 justement, souffrant d’une maladie cardiaque, le père Haddad, ancien curé responsable de la chorale de la Basilique Notre Dame d’Héliopolis, propose à Attallah de lui venir en aide et de diriger la chorale à sa place. « Au début, c’était un peu difficile, car le père Haddad était très aimé par tous les membres de la chorale, qui avaient de la peine à accepter que quelqu’un d’autre le remplace. Mais depuis le 24 décembre 1974, on ne s’est jamais quitté. Un bon chef de choeur doit connaître les choristes, leurs aptitudes, leurs types de voix, tout en ayant un bon sens de la communication », affirme Attallah.

Quelques années plus tard, ce dernier élargit le champ des activités de la chorale. Un nouveau défi : Prière Vivante sort pour la première fois du cadre de la Basilique pour interpréter des chants profanes durant Noël, dans des lieux publics. En 1989, la chorale anime une soirée à l’hôtel Marriott, toujours à l’occasion de Noël. Un grand succès, suivi de bien d’autres à la demande de plusieurs hôtels cinq étoiles. « Vive le vent ... Petit Papa Noël … Nous chantons les tubes traditionnels de Noël en langue française et récemment en anglais. Cela nous a fait gagner un public plus large. Nos chants servent essentiellement à communiquer un message de paix et de fraternité », assure Attallah.

Formé au collège Saint-Marc d’Alexandrie jusqu’au baccalauréat, qu’il a obtenu en 1969, Attallah faisait partie de la chorale sous la guidance de son mentor, le frère David. « C’est frère David qui a découvert le timbre ténor de ma voix. Et c’est lui qui m’a appris à diriger une chorale », raconte-t-il d’un air passionné, ajoutant à propos de la liturgie latine: « Le latin est une langue chantonnante, très belle et poétique ». A l’âge de 14 ans déjà, il forme au collège Saint-Marc, puis chez les pères Jésuites, une petite chorale de messe dont les membres sont sélectionnés parmi ses collègues et amis doués pour le chant.

Le père de Attallah était un ancien diplomate et premier secrétaire du consulat suisse à Alexandrie et sa mère appartient à la famille Lutfallah. Ses deux parents sont des maronites libanais qui ont vécu toute leur vie à Alexandrie. Rafik Attallah garde de très beaux souvenirs de l’élégance d’Alexandrie dans le temps, du quartier de Cléopâtre où il a grandi et de ses environs. Et ce, avant de se déplacer pour s’installer au Caire dans les années 1970 et de faire des études de polytechnique. Un an après, en 1971, il reprend sa passion pour le chant liturgique et forme une petite chorale au collège de la Sainte Famille, à Faggala, animant la messe chez les pères Jésuites.

Brillant en matières scientifiques depuis toujours, Attallah décide, en 1998, de suivre des études supérieures à l’Université de Wolverhampton, en Grande-Bretagne, où il obtient en 2001 un master en gestion éducative (Arts in Education Management). « L’été, à Alexandrie, on passait tous les dimanches à la plage de Saint Stephanos, un temps magnifique entre amis; filles et garçons vivaient en toute harmonie et simplicité. Et la nuit venue, on tenait des soirées de musique et de chant. Il y avait des Grecs, des Italiens, des Arméniens, des Français. Je regrette amèrement la disparition du tramway d’Alexandrie. Je me rappelle toujours son conducteur, qui connaissait nos noms, à tel point qu’il ne nous demandait pas de lui présenter notre passe Navigo. En tramway, nous passions par le quartier d’Ibrahimiya, habité essentiellement par des Grecs, afin d’acheter des gâteaux à la pâtisserie Hamos. Et ce, avant de nous rendre au cinéma La gaieté pour regarder un film western de John Wayne ou de Kirk Douglas. Mon film préféré c’était Gone With the Wind (autant en emporte le vent) », raconte le directeur de chorale. Et de poursuivre : « Les rues étaient vides. La belle Alexandrie que j’ai connue diffère complètement de celle d’aujourd’hui. Il n’y a que la mer, son odeur, sa couleur bleu azur qui y est restée et qui me donne la paix et la quiétude ». Car Attallah est aussi un excellent pêcheur, qui se plaît à écouter des oldies et à chanter en karaoké.

« Je dois beaucoup à l’éducation que j’ai eue au collège Saint-Marc, avec des frères religieux qui ont consacré leur vie à l’éducation. Une éducation qui est avant tout une affaire de coeur. Car pour moi, l’enseignement n’est pas seulement celle des matières scientifiques à apprendre, mais une façon de procéder dans la vie, avec un dévouement constant, de savoir vivre avec les autres, de donner aux pauvres, d’aider les faibles, les marginaux et ceux qui sont en difficulté … ». Cette manière de voir a servi Attallah dans son travail en tant que pédagogue et professeur de mathématiques au grand collège de la Sainte Famille à Faggala, entre 1978 et 2011, et ce, après quelques années passées au petit collège à Héliopolis. « J’ai toujours eu une vocation pour les mathématiques. Les chiffres m’intéressent. Pour moi, la musique et les mathématiques s’accordent très bien. En lisant les notes musicales, il existe une certaine tactique mathématique. L’équipe de professeurs qui enseignaient les matières scientifiques chez les Jésuites était très complémentaire. On savait comment partager nos connaissances, notre savoir-faire. C’est la raison de notre réussite auprès des jeunes », souligne Attallah.

Suivant les mêmes préceptes que ses maîtres, ce dernier doit beaucoup aux pères Jésuites. « J’ai beaucoup appris des pères Jésuites : Xavier Fleuri, Nabil Gabriel, Paul Sarkis, Maurice Martin… Ce sont ces derniers qui m’ont appris comment gérer une classe et travailler avec les jeunes. J’avais des activités extrascolaires: Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ), scoutisme, etc. La musique, le chant et le théâtre étant mes passions, je trouvais un véritable plaisir à aider les étudiants à préparer leur cérémonie de remise de diplôme à la fin de l’année: jouer de la musique, réaliser des sketches, imiter les professeurs, accueillir les parents. Cela s’applique à environ 35 promotions. Un jour, dans les années 1990, j’ai participé, avec le collège des Jésuites, à un spectacle de chants de Noël à l’ambassade de France. A l’issue du spectacle, Madame de La Sablière, l’épouse de l’ambassadeur de France à l’époque, m’a dit : Monsieur vous n’allez jamais vieillir ! C’est parce que je suis tout le temps entouré de jeunes », avoue Attallah, qui est d’un tempérament sociable et chaleureux.

En 1977, il part en France pour améliorer ses compétences en mathématiques modernes en suivant des cours à l’Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (IREM) de Nantes. De retour au Caire, il travaille au Centre culturel français d’Egypte jusqu’en 1982, en tant que formateur de professeurs de mathématiques modernes, au profit des écoles françaises d’Egypte, pour les cycles primaire et préparatoire.

Actuellement à la tête d’un établissement scolaire de renommée, Rafik Attallah occupe le poste de proviseur adjoint et de directeur, depuis 2012. « Tout au long de ma carrière, je me suis déplacé dans un environnement presque identique qui se complète, suivant le même cursus français, la même discipline. Mon travail actuel favorise le dialogue entre les étudiants, les enseignants et les parents… Je suis fier d’avoir enseigné à plusieurs promotions du collège des Jésuites, souvent leurs enfants sont les élèves actuels de Concordia », déclare ce père de deux garçons, Karim, qui travaille dans le secteur bancaire en Egypte, et Rami, ingénieur du son à Paris.

Entre la direction d’une chorale et celle d’un établissement scolaire, Attallah est comblé. « Je trouve un grand plaisir à former la jeunesse pour un monde meilleur », dit-il dans le salon de sa villa, au Nouveau Caire, entouré d’une crèche et d’un beau sapin, qu’il a décoré avec l’aide de son épouse, architecte. « Je dois tout à ma femme, Wessal Saweiress. C’est grâce à elle que j’ai pu concilier mes diverses tâches ». Et d’ajouter: « Nous avons déménagé du quartier d’Héliopolis au Nouveau Caire pour fuir le tumulte cairote. Néanmoins, mon épouse et moi ne pouvons pas nous déraciner d’Héliopolis, qu’on a habité pendant si longtemps. Nous y avons passé les plus beaux jours de notre vie. Héliopolis était réputé pour la verdure, la beauté de son architecture, le calme. Mais d’un coup, tout s’est effondré; les immeubles ont poussé partout. Mais nous y revenons toujours, à la Basilique Notre Dame d’Héliopolis, qui est notre deuxième maison. C’est là que nous nous sommes mariés. On y assiste à la messe les dimanches et aux grandes fêtes religieuses », conclut Rafik Attallah. C’est leur manière de préserver les souvenirs d’une belle époque .

Jalons :

29 septembre 1951 : Naissance à Alexandrie.
1997 : Concert avec la chorale Prière Vivante à l’ambassade de France en Egypte.
1978-2011 : Enseignant de mathématiques et préfet au grand collège des Jésuites.
1998-2001 : Etudes en gestion éducative à l’Université de Wolverhampton, en Grande-Bretagne, couronnées par un master.
2000 : Participation de Prière Vivante à la messe célébrée par le pape Jean-Paul II au Stade du Caire et à la Bénédiction accordée par le pape à l’ambassade du Vatican, en Egypte.
2012 - jusqu’à présent : Proviseur adjoint et directeur du collège et lycée international Concordia.

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