« Naïm Sabry est un rongeur de livres, un grand passionné de lecture. Il considère sa bibliothèque comme sa maison. Elle contient toute sa personne ». C’est par ces mots que Nagwa Youssef décrit son écrivain de mari, qui a trois grandes bibliothèques qui s’élèvent du sol au plafond. Elles abritent toutes sortes de livres de différents écrivains : Naguib Mahfouz, Gamal Al-Ghitani, Tawfiq Al-Hakim, Salah Abdel-Sabour, Naguib Sourour, etc. Des livres d’Histoire et de sociologie placés à droite, d’autres de psychologie et de philosophie placés à gauche. Des ouvrages sur l’art plastique côtoient des recueils de poèmes et les classiques de la littérature française : Candide ou L’Optimisme de Voltaire, Le Rouge et le Noir de Stendhal, Tartuffe de Molière, etc. Au salon, sur une grande table basse, se trouve un tas de livres accumulés les uns sur les autres. Dans la chambre à coucher, sur la table de nuit, quelques oeuvres de l’écrivaine et militante de gauche indienne Arundhati Roy. Même dans la salle à manger, sur la table se trouvent quelques livres de différentes langues : arabe, anglais, français et allemand. Bref, des livres dans tous les coins. « On ne possède pas une bibliothèque, seulement, pour ranger les livres qu’on a lus, mais aussi pour garder ceux qu’il faudra lire. Moi, je ne lis jamais le même livre deux fois », dit Naïm Sabry avec un beau sourire.
Né en 1946 à Choubra, Sabry est diplômé de la faculté de la polytechnique de l’Université du Caire. Il travaille comme ingénieur dans le domaine de la sidérurgie pendant deux ans. Il s’installe ensuite en Libye où il reste pendant 8 ans avec sa femme, ingénieure, elle aussi. « J’étais obligé de partir en Libye pour bien gagner ma vie. J’étais marié et père d’une petite fille. Il fallait bien assurer mon gagne-pain », dit-il franchement. De retour en Egypte, Sabry fonde une entreprise de construction. Mais pendant toutes ces années, il n’oublie pas sa passion pour l’écriture, une passion née dès l’adolescence. A cette époque, il écrivait déjà des poèmes qu’il partageait avec ses amis.
« C’est mon instituteur qui, dès mon jeune âge, m’a encouragé, mes amis et moi, à écrire nos pensées et réflexions sur un panneau accroché au mur de la classe et créer notre journal scolaire », se souvient-il avec nostalgie. Pendant le cycle secondaire, Sabry fréquente la Bibliothèque des arts, située au centre-ville, où il écoute tous genres de musiques. Les jeunes profitaient de l’occasion pour discuter des livres qu’ils avaient lus tout au long de la semaine en écoutant Souma (Oum Kalsoum) ou les compositions classiques de Chopin et Mozart.
De retour en Egypte, il travaille toujours comme ingénieur tout en écrivant en discrétion. Mais en 1995, Sabry a décidé de tout abandonner pour se consacrer entièrement à l’écriture. Il opte alors pour la nouvelle. Les textes écrits étaient des expériences intimes publiées et diffusées entre les proches et les amis. « Ai-je les qualités d’un écrivain ? », s’interrogeait-il souvent au début de sa carrière. Il était convaincu qu’il n’écrivait pas assez bien pour proposer ses oeuvres à un éditeur. « Au début, j’imprimais à mes propres frais quelques exemplaires de mes écrits et les offrais à mes proches pour avoir leur point de vue », confie-il. En 1995, il signe son autobiographie sous le titre Journal d’un enfant. Cette oeuvre retrace le parcours de l’auteur, sa vie, son enfance et son adolescence dans son quartier d’origine. Il y décrit son entourage, sa famille, ses grands-mères et ses grands-pères, ses amis d’école, ses voisins ... Des personnages hauts en couleur qui sont devenus plus tard les sources d’inspiration de ses romans. « La poésie n’était pour moi qu’un début. J’ai préféré la prose, plus libre », note l’auteur d’une façon décisive.
Sa mère figure toujours dans ses textes comme la source d’inspiration la plus intéressante. Elève au cycle préparatoire, Sabry accompagnait sa mère dans tous les travaux de charité qu’elle exerçait à la Croix-Rouge, en faveur des réfugiés palestiniens ou dans la lutte contre le choléra. « Je lui demandais souvent de participer avec elle à ce bénévolat afin d’apprendre des choses nouvelles et intéressantes », dit-il avec fierté. « Pour me lancer dans l’écriture romanesque, je devais commencer par l’autobiographie parce que c’était plus facile de raconter ma vie, choisir une phase intéressante, où j’ai aimé, j’ai perdu, j’ai regretté, j’ai eu mal, j’ai fait confiance, j’ai fait des erreurs, mais en gros, j’ai appris beaucoup de choses ». Il s’arrête un instant puis poursuit : « Quels que soient mon âge et mon niveau professionnel, je suis toujours avide d’apprendre ». Pour ce faire, Sabry étudie l’allemand à l’Institut Goethe et le français à l’Institut français d’Egypte. Parallèlement, il passe ses soirées dans les cafés du Caire. Au sein du Casino Qasr Al-Nil, il s’habitue à ne rater aucun rendez-vous fait par le « Maître » Naguib Mahfouz. « Pour moi, c’étaient des rendez-vous favoris. Je n’oublie jamais ces horaires, tous les vendredis de 17h à 20h30 », dit-il en aspirant à ces temps lointains et chers. En 1994, après l’attaque de Naguib Mahfouz par deux fanatiques, Sabry, avec d’autres écrivains amis de Mahfouz, changent l’endroit et les horaires de ces rencontres hebdomadaires. « Chacun de nous passait chez lui pour l’accompagner une fois par semaine. Et chaque fois, nous nous rencontrions dans un endroit tout à fait différent de l’autre : Le bateau Farah Boat, dans les salles des hôtels, etc. », raconte-t-il.
Sa deuxième oeuvre, le roman Choubra (quartier populaire situé au nord du Caire), paru en l’an 2000, a remporté un grand succès. Souvent, Sabry reprend le fil de l’observation et de la description à travers le quartier de Choubra qu’il fréquente toujours, notamment avec tout journaliste qui voulait l’interviewer. Une occasion d’accompagner l’écrivain dans tous les endroits où il a passé son enfance. « J’ai moi-même imprimé 1 000 copies de mon oeuvre Choubra qui ont vite disparu des librairies. Je devais donc chercher un éditeur. C’était Al-Hag Mohamad Madbouli qui était content de collaborer avec moi pour la publication d’une deuxième édition de cette oeuvre », se souvient le romancier.
En fait, le quartier de Choubra a des répercussions positives, non seulement sur la vie professionnelle de Sabry, mais aussi sur sa vie sociale, car il abrite une communauté cosmopolite. « Dans le même immeuble composé de quatre étages où je vivais, habitaient Boutros le copte, Moustapha le musulman et Jacob le juif. C’était aussi un endroit où habitaient des familles de plusieurs nationalités : des Italiens, des Grecs, des Arméniens, des familles à double nationalité. Tous cohabitaient en bonne entente », se souvient Naïm Sabry.
Après la Révolution de 2011, il était victime d’une certaine confusion. Il souffrait d’une certaine « stérilité littéraire » qui a duré pendant les cinq années suivantes. Mais il reprend la plume fin 2015 avec son oeuvre Al-Moharreg (le clown) et en 2017 avec Safini Marra, un titre emprunté à la chanson de Abdel-Halim Hafez, synomyme d’espoir. La Révolution de 2011 le replonge dans une époque lointaine très dure pour lui. En 1966, il avait été arrêté pendant deux semaines à cause de son activisme politique. « A la fin des années 1950 et au début des années 1960, l’activité politique n’existait pas. Un nombre considérable d’étudiants dont moi-même avaient alors décidé d’inviter des conférenciers pour parler de plusieurs sujets : Histoire, art, littérature et surtout politique. L’Etat luttait pour mettre fin à ce genre d’activité », raconte Naïm Sabry. « C’était un lundi, Sabry et moi avions un rendez-vous avec nos amis pour passer une bonne soirée à l’Opéra, mais il n’est pas venu. On a tous trouvé ça bizarre, car il est très ponctuel. Le lendemain, il n’était pas non plus à la faculté, je commençais à m’inquiéter, car il ne ratait jamais les cours. En demandant ici et là, j’ai appris qu’il a été arrêté », se souvient ainsi Nagwa, sa femme, d’une période très marquante du début de leur relation.
Aujourd’hui, le couple, après de longues années de mariage, ne change pas d’habitude. Chaque nuit, de 22h à 23h, Sabry et sa femme écoutent ensemble la Diva de l’Orient. A zéro heure, le romancier écoute du Chopin ou du Mozart et commence à écrire. Cela ne l’empêche pas de se lever chaque jour à l’aube afin de prendre son café et continuer à écrire, tout en attendant le coup de fil préféré de ses petites-filles qui vivent en Suisse et qui écoutent avec amour les paroles de leur grand-père.
Jalons :
1946 : Naissance au Caire, à Choubra.
1968 : Diplôme de la faculté de polytechnique, Université du Caire.
1970 : Mariage.
1975 : Naissance de sa fille Sarah.
1995 : Consécration à l’écriture et oeuvre autobiographique Journal d’un enfant.
2000 : Roman en succès Choubra.
2018 : Parution de son roman Safini Marra.
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