Sur sa page Facebook, elle affiche ce slogan: « Architecte et je vis pour une noble cause ». Oui, elle est fière de son travail, de ses objectifs et de son engagement. Heba Safy Eddine semble vivre pour promouvoir les concepts de l’architecture partout en Egypte et dans les milieux défavorisés. C’est en fait sa noble cause et sa mission qu’elle défend corps et âme. Membre de l’Association des architectes égyptiens, elle a beaucoup oeuvré pour lancer des activités rapprochant l’architecture des gens.
En résultat à ses activités locales fructueuses, elle a rejoint l’Union Internationale des Architectes (UIA) et a été élue comme directrice du programme international L’Architecture et les enfants de 2017 à 2020. « Pendant longtemps, j’ai rêvé d’approcher les concepts de l’architecture des gens ordinaires. Pendant mes études en architecture à la faculté des beaux-arts et ensuite après être devenue professeure, j’ai remarqué qu’il y avait vraiment un grand écart entre les jeunes et les méthodes artistiques et architecturales qu’ils étudiaient dans les facultés. Les matériaux enseignés sont rigides, strictes et théoriques. Les étudiants ne sont pas au courant de ce que représente l’architecture dans la vie. Ma thèse de doctorat abordait ce sujet critique et visait à changer ce genre de matériaux et de méthodes. J’ai longtemps cherché pour la résolution de ce dilemme. J’ai voulu initier les jeunes à connaître et à apprécier cet art et cette discipline. Mais il fallait commencer tôt avec les petits et les élèves scolaires. C’est une tâche de longue haleine », lance l’architecte.
En ayant le soutien de l’UIA, de la Maison de l’architecture égyptienne, dépendant du ministère de la Culture, et de l’Université internationale Misr (MIU), Heba Safy Eddine a commencé par lancer quelques activités pour atteindre son objectif. Elle s’est ainsi dirigée vers toute association et tout organisme visant le développement des enfants et de la jeunesse, afin de leur proposer son programme et d’expliquer son importance. Récemment, en coopération avec la Bibliothèque d’Alexandrie, elle a animé avec son équipe un atelier au planétarium du Centre scientifique pour les enfants. « Je veux aller jusqu’au bout. Ma coopération avec la Bibliothèque d’Alexandrie a débuté l'hiver dernier. Au départ, je ne savais pas où me diriger pour proposer un programme d’activité pour enfants visant à leur faire assimiler les concepts de l’architecture. Après avoir déposé les documents de mon projet, j’ai été contactée par le Centre scientifique du planétarium; les responsables étaient curieux de mon programme. L’idée était de travailler manuellement et d’offrir aux petits la chance de créer eux-mêmes des maquettes et des formes architecturales qui éclaircissent les concepts de base et qui sont liés à la vie des gens. Après le succès de cet atelier l’an dernier, ils m’ont contactée pour un deuxième atelier, plus élaboré, cette année », dit-elle avec fierté.
Heba Safy Eddine travaille avec un esprit d’engagement rare, prend tout au sérieux et croit fortement au changement. Elle le dit ouvertement. « Après la Révolution de 2011, il y a eu cette confrontation avec moi-même. Je me suis interrogée: que faire pour ce pays? Quel est mon devoir vis-à-vis cette société égyptienne dans laquelle je vis? Quel est mon rôle dans la vie? Ces réflexions m’ont poussée à faire quelque chose et j’ai donc commencé à préparer mon programme L’Architecture et les enfants, après avoir rejoint le comité d’architecture au Conseil suprême de la culture », explique-t-elle.
Fille du grand architecte et professeur égyptien Essam Safy Eddine, Heba est chanceuse. Depuis sa tendre enfance, la passion de l’architecture coulait dans ses veines. A la maison, il y avait une grande bibliothèque artistique et architecturale hors pair. Des visites guidées par son père dans Le Caire fatimide faisaient partie de son quotidien. Des rencontres avec des artistes et des architectes étaient souvent tenues ici et là, les promenades familiales visaient à dessiner des sketchs architecturaux, etc. Parfois même, la petite Heba de 7 ou 8 ans accompagnait son père, professeur à la faculté des beaux-arts, et s’infiltrait dans ses classes d’architecture.
Tel père, telle fille? Les deux avaient la même passion et la même dévotion. Mais Heba explique: « Je ne voulais pas vivre dans la peau de mon père. Je cherchais à avoir ma propre personnalité et ma carrière loin de lui. Je me rappelle bien que pendant mes études au département d’architecture à la faculté des beaux-arts, il ne m’aidait pas, mais me suivait de loin. Ses ouvrages et ses références étaient disponibles à la maison et je n’ai jamais eu besoin de consulter la bibliothèque de l’université. Même lorsque je travaillais sur mes projets, il ne me donnait pas de coup de main. Il me soufflait tout juste un conseil ou un commentaire après être coincé par mes questions et demandes ».
Une fois diplômée, la jeune architecte a été rapidement embauchée à la faculté des beaux-arts, au département d’architecture, comme professeure. Mais Heba s’est aussi lancée dans le travail pratique. Elle voulait exercer le design architectural, faire une expérience pratique sur le marché et se forger une carrière indépendante et fructueuse. Ainsi, le travail académique allait de pair avec le travail privé. La jeune professeure rejoint alors le bureau de Maher Andrawes et d’autres architectes de renom, travaille dans la construction de l’hôtel Intercontinental de Hurghada et dans d’autres projets. Mais un grand tournant dans sa vie a lieu lorsqu’elle rejoint la MIU en 1997. « L’université en était encore à ses débuts et cherchait des professeurs d’architecture et de design. Sous les conseils de mon professeur aux beaux-arts Yéhia Al-Zeini, j’ai déposé mes documents en réponse à l’annonce de la MIU. Al-Zeini m’a dit que pourrais acquérir une bonne expérience avec le professeur fondateur du département d’architecture de la MIU, Salah Zaki Saïd. J’étais curieuse de découvrir cette nouvelle université. J’ai démissionné de la faculté des beaux-arts et me suis consacrée entièrement à l’enseignement dans cette université, qui m’a donné l’occasion de développer les programmes d’apprentissage des concepts d’architecture et m’a souvent soutenue dans mes activités et mes projets », raconte la professeure, qui est aussi consultante en gestion d’ingénierie au sein de la même université.
Par un jeu de hasard, Heba, même après avoir construit une carrière autonome, loin de son père, s’est retrouvée à suivre et à compléter ses projets. En effet, Essam Safy Eddine, fondateur de la Maison de l’architecture égyptienne se trouvant à la maison de Ali Labib, à la Citadelle, est tombé malade. « J’avais peur que tous ses travaux pour l’instauration de ce centre architectural qui s’intéressait au patrimoine égyptien soient perdus ou freinés. Que faire? Je suis allée rencontrer l’architecte Mohamad Abou-Seada, directeur du Fonds du développement culturel, qui finance et soutient le projet de mon père au nom du ministère de la Culture. En attendant dans le secrétariat de son bureau, j’ai rencontré ma professeure et amie Iman Al-Nachar, qui avait supervisé ma thèse de doctorat. Elle lui a parlé de mes projets et de mon CV ».
La rencontre avec Abou-Seada est fructueuse et Heba est nommée directrice de la Maison de l’architecture égyptienne, à condition de ne pas la transformer en un musée pour les architectes et d’adopter une stratégie d’activités contemporaines liées aux gens aujourd’hui. D’une certaine manière, Heba Safy Eddine a répondu au destin et a poursuivi la tâche de son père. Avec tant de projets, activités et recherches académiques, elle a réussi à défier les clichés de la société égyptienne, qui affirment que l’architecture n’est pas un domaine pour une jeune fille. « C’est un travail épuisant, mais en ayant des exemples et modèles de femmes architectes comme Zakiya Al-Chafeï, Nasmat Abdel-Qader et Dalila Al-Kerdani, on peut avancer en suivant leurs traces. Il faudrait plutôt dire que l’Egypte n’est pas faite pour une femme ! », dit elle en souriant. Et d’ajouter: « Les moeurs et les traditions de la vie conjugale en Egypte ne donnent pas à la femme l’occasion de se consacrer à son travail. L’architecture, sur le plan privé ou académique, exige une dévotion, une étude continue et une pratique. Ce qui n’est souvent pas possible pour une jeune femme mariée et mère. Moi, je profitais de toute occasion pour étudier, fouiller les références et faire de mon mieux pour ne pas me perdre dans les lourds fardeaux ménagers ».
Mère de Omar et d’Amina, Heba profitait des temps des entraînements sportifs de ses enfants au club ou des semaines de résidence sportive pour étudier théoriquement les concepts de l’architecture et lire les derniers ouvrages d’architecture de par le monde. « Sans l’aide de mon fils, qui m’encourage à faire de mon mieux et qui s’occupe parfois de sa petite soeur, je n’aurais pas pu réaliser tout cela. Mes enfants, très responsables, me poussent souvent à avancer », lance-t-elle avec fierté. Elle est heureuse de pouvoir enfin exercer quelques loisirs et de réaliser d’anciens rêves. « A l’âge de 38 ans, je me suis offert un piano classique. J’aime jouer de la musique, et à ce moment-là, j’ai estimé que je méritais de me l’offrir en cadeau à moi-même », dit-t-elle en riant. Même si aujourd’hui elle est surchargée par le travail, l’enseignement et l’organisation de ses programmes, elle essaie de trouver du temps pour jouer à son aise. Une architecte avec l’âme d’une artiste .
Jalons :
1970 : Naissance au Caire.
1987 : Une année de voyage et de découvertes, qu’elle intitule « La Isla Bonita », partagée avec sa proche amie Naglaa Abou-Khatwa.
1997 : Naissance de son fils aîné Omar.
2005 : Naissance de sa fille Amina.
2015 : Prise de direction de la Maison égyptienne d’architecture.
2017-2020 : Elue comme directrice du programme L’Architecture et les enfants de l’Union internationale des architectes.
2019 : Transformation du programme local L’Architecture et les enfants en une association indépendante.
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