Peintre polyvalente et polyglotte, Neamat El-Diwany a sillonné le monde depuis sa tendre enfance. Elle ne craint donc jamais d’approcher l’Autre, différent d’elle. « L’art est mon refuge. C’est là que je cherche la perfection qui n’existe pas dans la réalité », déclare Diwany. Elle vient de participer au 1er symposium d’art africain ou AfroArt qui s’est récemment tenu aux beaux-arts du Caire. « L’Egypte est un pays ouvert sur le monde qui a embrassé tant de nationalités et de civilisations à travers les siècles », commente-t-elle.
Née à La Havane, d’un père alors diplomate, troisième secrétaire à l’ambassade d’Egypte à Cuba, Neamat appartient à une grande famille regroupant plusieurs médecins, avocats et diplomates.
Sa mère a passé une grande partie de son enfance en Espagne. « Comme ma mère maîtrisait bien l’espagnol, vivre, pour elle, pendant trois ans en Amérique latine, accompagnant mon père en tant que femme de diplomate, lui convenait parfaitement. La personne qui a un sens humain est capable de s’adapter partout », assure Diwany.
Brillante et douce, et toujours curieuse, Neamat revient régulièrement en Egypte avec ses parents, entre deux postes, où elle suit une éducation assez stricte chez les religieuses de la Mère de Dieu au Caire. A l’âge de 6 ans, précisément en 1970, elle réside avec sa famille pendant quatre ans en Turquie. « Ma grand-mère paternelle est turque. Je porte le même prénom qu’elle, Neamat. Elle avait du caractère et était extrêmement tendre. Mon père m’a toujours dit que je ressemblais à ma grand-mère ». En Turquie, la petite fille accompagne son père sur le chantier du nouveau bâtiment de l’ambassade d’Egypte, en construction à Ankara. « Je me sentais très fière. Pour mon père, il était indispensable que ses enfants qui étudiaient en Turquie dans une école laïque passent conjointement les examens du gouvernement égyptien. Parler et écrire l’arabe étaient une obligation. Les terres de ma famille ont été nationalisées sous Nasser. Après la signature des accords de Camp David sous Sadate, j’ai suivi mes études à Rome et j’en étais très contente. L’attitude des gens envers l’Egypte avait complètement changé. Car pour eux, Sadate était une figure de la paix, un prix Nobel », raconte Neamat El-Diwany, évoquant le souvenir des années 1980 à 1984, passées en Italie. Au cours de ces années, son père est ambassadeur d’Egypte au Vatican, et elle suit des études en administration des affaires à l’Université John Capot International à Rome.
« J’ai choisi d’étudier en matière optionnelle, le philosophe et philologue Nietzsche qui a beaucoup influencé les valeurs morales, philosophiques et religieuses. D’ailleurs, l’âme et l’émotion humaines sont les dénominateurs communs de toutes mes recherches ».
En 1973, elle se déplace de nouveau avec ses parents, cette fois-ci en Russie, après quelques années en Jordanie où elle étudie à l’école française des religieuses de Nazareth. En Russie, quelques jours avant la guerre du 6 Octobre, Neamat El-Diwany avait remarqué un mouvement inhabituel. « La curiosité de savoir ce qui se passait autour de moi l’emportait. En Russie, j’ai vécu joyeusement la victoire d’octobre 1973, mais j’étais déçue par le communisme. Personnellement, je n’aime pas les choses qui se ressemblent, c’est ce que j’appelle Communisme. Je penche davantage pour la richesse de la variété et la diversité culturelle. S’ouvrir à l’autre enrichit énormément les savoirs et la personnalité », indique El-Diwany.
Pourtant, elle est née à Cuba, l’un des derniers bastions du communisme. « J’y ai vécu juste un an et demi, donc je n’en garde qu’un vague souvenir photographique, grâce à l’album photos de ma famille. Mon père et ma mère, un beau jeune couple, deux nouveaux mariés, se rappellent cette période très importante de transition historique entre les derniers jours du gouvernement de Fulgencio Batista, l’avènement de Castro et la Révolution cubaine. C’était une période assez dure quand même, mais Cuba reste un pays assez riche de par sa diversité culturelle et humaine. Les Cubains ont dû quitter le pays, laissant derrière eux leurs propriétés et leurs biens. Mes parents n’arrêtaient pas de raconter leurs souvenirs sur le sujet ».
A 21 ans, elle aurait pu obtenir la nationalité cubaine, mais elle n’y a jamais pensé. « Je suis de nationalité égyptienne et j’en suis fière. Quand une personne naît à l’étranger et y passe la plus grande partie de sa vie, elle s’attache plus à ses origines », affirme El-Diwany. Et d’ajouter : « Dans mon exil volontaire, j’aimais lire tous les livres que je trouvais sur l’art pharaonique, copte et islamique. Je refusais de voir l’Egypte avec l’oeil d’un étranger ».
En 1985, de retour en Egypte, Neamat El-Diwany choisit de faire des études libres pour devenir guide touristique, et y obtient un diplôme spécialisé en 1991. « C’était le seul moyen d’approfondir mes connaissances en matière d’histoire. Devenue maman à cette époque, je voulais offrir à mes enfants une explication sur tout ce qui concerne l’Egypte. Je suis une perfectionniste ».
Et comme Diwany maîtrise parfaitement l’espagnol, le français, l’anglais, l’italien et bien sûr l’arabe, elle a bien réussi sa carrière de guide touristique. Mais après un certain temps, elle se tourne vers le secteur de l’hôtellerie. « J’ai renoncé à mon travail de guide, car je n’ai pas aimé l’ambiance. Je suis quelqu’un de trop direct, perfectionniste et disciplinée ». Et de poursuivre: « Ce que je regrette dans mes déplacements à l’étranger, c’est que j’étais tout le temps privée de mes liens amicaux, tout le temps interrompus. Je trouve à présent grand plaisir à voyager en Amérique latine, à la recherche de mes amis proches d’autrefois. Je suis une passionnée de la culture latino-américaine, ses couleurs et sa musique, notamment la sud-américaine que j’entendais tout le temps, dans ma maison parentale et sur laquelle mon père et ma mère aimaient danser. Personnellement, je ne suis pas une experte en danse, mais au moins j’ai le sens du rythme », précise El-Diwany.
Dans ses peintures, Neamat s’inspire de l’anthropologie et de la philosophie. Fan de Modigliani et disciple de Moustapha Al-Razzaz, elle vient d’exposer sous le titre de Point d’équilibre, en mars dernier, à la galerie Picasso de Zamalek, le lieu qui accueille sans interruption son art. Dans son monde animé d’acrobaties et de masques, comme dans un jeu de cirque, El-Diwany est en quête inlassable d’un parfait équilibre dans la vie. D’où un jeu de contraste entre le mouvement de ses protagonistes et l’atmosphère de calme, de tranquillité et de méditation dans laquelle ils jouent. Sur un fond de couleurs chaudes, tous s’interrogent sur le sens de la vie.
« Les sensations que dégagent mes toiles, avec leurs couleurs chaudes, sont en lien avec mes souvenirs d’enfance, ceux du bon vieux temps, chaleureux et tendre », exprime-t-elle. Plein d’énergie, ses personnages ont l’air inoffensif. « Chez moi, la vieillesse rejoint l’enfance. J’ai une faiblesse excessive envers les vieilles personnes. Je sympathise avec leur faiblesse et leur impuissance, j’essaie de leur apporter de la joie de vivre. Le vieillissement de mon père, ses troubles de la mémoire causés par sa maladie d’Alzheimer m’ont complètement déchirée », avoue l’artiste, les larmes aux yeux. Et d’ajouter : « Quand le monde noircit devant mes yeux, je l’éclaire avec les souvenirs d’enfance ».
Les couleurs de sa palette reflètent une grande variété, celle des divers environnements où elle a vécu, des gens qu’elle a rencontrés, etc. Car tout au long de son parcours, elle a appris à guetter les visages humains. « Dans mes balades quotidiennes, de la cité du 6 Octobre, là où j’habite, jusqu’à Zamalek, c’est là que je rencontre souvent mes amis, car c’était là que résidaient mes parents. Il est rare d’y voir un visage heureux. La plupart du temps, ce sont des visages accablés et maussades. Je pleure en voyant des gens souffrir, pris dans l’engrenage. Dois-je prendre soin de mon pays parce qu’il a vieilli ?! », s’interroge El-Diwany, qui a travaillé dans le temps au service des ressources humaines de l’AUC.
Neamat El-Diwany n’aime pas être sous les feux des projecteurs. D’ailleurs, elle souffre le jour du vernissage de ses expositions, car elle préfère rester dans l’ombre. « Je n’aime pas échouer dans la vie, je n’aime pas décevoir les personnes qui croient en moi », conclut Diwany, qui veut toujours être à la hauteur de ses défis.
Jalons :
1964 : Naissance à Cuba.
1984 : Mariage avec le banquier Abdallah Sada.
2013 : Formation à l’atelier du peintre Moustapha Al-Razzaz.
2015 : Etude de l’histoire de l’art à l’Académie de Florence, spécialisation anatomie.
2017 : Patch d’occurrence, exposition à la galerie Picasso.
2018 : Dialogue continu, exposition à la galerie Picasso, en hommage à son père.
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