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Abbas Hilmi : Un prince au service de l’Egypte

Névine Lameï, Mardi, 26 mars 2019

Le prince Abbas Hilmi III appartient à la dynastie de Mohamad Ali pacha. De retour en Egypte depuis 1994 après de longues années passées en exil, il est très engagé dans la sauvegarde.

Un prince au service de l’Egypte
(Photo : Mohamad Moustapha)

A son dernier retour en Egypte en 1994, après des années d’exil forcé en France et en Angleterre, le prince Abbas Hilmi III a choisi de s’établir définitivement dans son pays natal. Expert financier et investisseur, il est membre délégué du conseil d’administration du groupe Concord International Investments, qui a un bureau au Caire à Garden City. Il s’intéresse vive­ment à la conservation du riche patrimoine culturel et architectural égyptien, notamment celui de l’an­cienne famille royale qui a gouverné l’Egypte pen­dant plus de 150 ans.

Ainsi, le prince Abbas Hilmi III a contribué à four­nir les fonds nécessaires à la rénovation, de 2004 à 2008, du mausolée de son arrière-grand-père, Tawfiq pacha, et a aussi fondé, en 2006, l’Association des amis du musée du palais Manial. Celle-ci vise à col­laborer avec le ministère des Antiquités, afin de pré­server le palais de son grand-oncle, le prince Mohamad Ali Tawfiq.

Le somptueux palais Manial a d’ailleurs été rou­vert l’an dernier. Et le 9 novembre, jour de l’anniver­saire de Mohamad Ali Tawfiq, a été choisi pour le lancement de la 1re édition d'un festival international de la musique au palais Manial, à l’initiative de Abbas Hilmi III.

Le festival est censé aider à collecter les fonds nécessaires pour le maintien et la restauration du palais. « L’un des magnifiques concerts donnés dans le palais a été celui du luthiste iraqien Nassir Chammaa. Le festival invite tout le monde à s’évader à travers la musique dans une atmosphère raffinée », indique le prince, qui est un véritable mélomane et aime surtout la musique latino, classique et arabe. Il aime aussi lire sur l’histoire de l’ancienne famille royale. Lui-même fait partie de cette histoire, étant le petit-fils de Abbas Hilmi II, le dernier khédive d’Egypte, de 1892 à1914, et le fils du prince Mohamad Abdel-Moneim, régent d’Egypte de 1952 à 1953, sous le règne de Fouad II, jusqu’à l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République. Le prince Abbas Hilmi III fait donc partie des descendants de la famille du khédive Mohamad Ali pacha, le fondateur de l’Egypte moderne. Une descendance qui apporte aussi des responsabilités. « J’ai un engagement envers mon pays, l’Egypte. Le problème auquel se confrontent les diverses associations dont je suis membre, c’est que l’Egypte est doté d’un riche patrimoine, mais que nous n’avons pas les moyens suffisants pour le préserver », souligne-t-il.

Outre fondateur et PDG de l’Association des amis du musée du palais Manial, Abbas Hilmi III est membre de plusieurs autres associations, dont celles du Musée d’art islamique, du Musée copte, du Centre de recherche américain en Egypte, de l’Egyptian Exploration Society, du Conseil égyptien des affaires étrangères, de Brooke Charity Society pour la thérapie animale, de l’Association d’amitié égypto-britannique et de l’Association d’amitié égypto-suisse.

L’intérêt du prince pour tout ce qui relève de la sauvegarde du patrimoine est né au lendemain d’une rencontre avec son ami, l’expert-comptable Farid Mansour. Celui-ci l’a invité à rejoindre le conseil administratif du Musée d’art islamique, vu les liens du prince avec l’endroit. « C’est mon grand-père Abbas Hilmi II qui, pendant son règne, a demandé aux membres de sa famille de faire des donations, tels des meubles, bâtiments, etc., afin de créer le Musée d’art islamique. Le khédive Hilmi II a même encouragé les grandes familles coptes à démonter les magnifiques plafonds bâtis en bois de leurs somptueux palais à Assiout, pour les donner au Musée copte du Caire », précise le prince, fier des innombrables accomplissements de son grand-père, dont la création de partis politiques, de l’Université Fouad 1er (l’actuelle Université du Caire), de la Banque nationale, du pont Abbas, de bourses en Europe, des quartiers de Maadi, de Zamalek et de Garden City, du réservoir d’Assouan, du chemin de fer, du Musée égyptien et du Musée de l’agriculture.

« Mon grand-père était un grand patriote, qui éprouvait une véritable hostilité à l’égard du colonialisme britannique. Il n’a pas eu le mérite qui lui est dû dans l’histoire. Néanmoins, je suis fier de ce que la famille royale a fait pour l’Egypte, depuis le début du grand Mohamad Ali, qui était un homme exceptionnel venu d’une petite ville provinciale ottomane à l’époque. C’est Mohamad Ali qui a commencé la réforme en Egypte. Le khédive Ismaïl a lancé le premier parlement du Moyen-Orient en 1866 et élaboré une Constitution. Le khédive Tawfiq a revendiqué le retour à cette Constitution. Abbas Hilmi II s’est beaucoup battu pour rouvrir le parlement en 1914, qui a été par la suite fermé par les Anglais. Mon père Mohamad Abdel-Moneim a voulu également sauver le régime constitutionnel, mais les officiers anglais ne voulaient pas lâcher le pouvoir», raconte le prince. Et d’ajouter : « On vit toujours le même problème avec la présence de grandes puissances qui ne veulent pas de démocratie en Egypte. Le rôle de toute révolution est la réforme et le changement, c’est le cas de la Révolution de 1919, dont on célèbre actuellement le centenaire. Elle a mené à l’indépendance de l’Egypte. La Révolution de 1952 n’était pas une révolution, les gens ne sont pas sortis dans les rues. C’était plutôt un coup d’Etat militaire. La révolution du 25 janvier 2011 était encore pire, à mes yeux. Il y a eu quand même de la violence qui a fait des milliers de morts ».

Assis dans la mosquée du palais Manial, sous un beau plafond de bois sculpté, Abbas Hilmi III poursuit l’histoire de ses ancêtres. « Mon grand-oncle, Mohamad Ali Tawfik, était un grand collectionneur et voyageur. Il a officiellement légué ce palais au peuple égyptien ». L’architecture du palais mêle les styles ottoman, mauresque, perse et rococo européen. Il abrite une résidence royale, une salle du trône spectaculaire, un musée sur la chasse, des manuscrits du Coran, une large collection d’objets, de l’argenterie et des cadeaux datant du règne du roi Farouq. C’est dans cette mosquée, située au nord de l’île de Guéziret Al-Roda, au coeur d’un très beau parc, que le prince Abbas Hilmi III aime accueillir ses hôtes. Lorsque les visiteurs du palais, notamment les femmes, savent qu’il appartient à la famille royale, ils se précipitent vers lui pour prendre des photos-souvenirs. En tant que prince courtois et galant, il accepte la demande.

Abbas Hilmi III raconte que c’est dans ce beau jardin que la réception de mariage formelle de son père et de sa mère a eu lieu. Il est né près d’Héliopolis, dans la villa de sa grand-mère paternelle, Iqbal hanem. « Etant une femme très religieuse, ma grand-mère aimait prier dans le jardin de sa villa, où a été enterré le vénérable cheikh Aboul-Nour qui a vécu au temps des Mamelouks. A l’époque, c’était un terrain vide au milieu du désert. La villa appartenait à l’un des ingénieurs anglais qui travaillait pour la société d’Héliopolis du baron Empain. Et quand il est rentré chez lui, la société d’Héliopolis a vendu la villa à Iqbal hanem. Elle l’a achetée pour être près du sanctuaire du cheikh Aboul-Nour », raconte le prince.

Elève du Petit Collège de la Sainte Famille à Héliopolis (PCH), puis au Grand collège à Faggala, le Prince a dû quitter ce dernier en 1953, c’est-à-dire un an après la Révolution des Officiers libres, à l’âge de 13 ans, pour rejoindre les Jésuites à Paris, au Collège Saint-Louis de Gonzague. Pendant cet exil forcé en France, le prince a vécu avec sa soeur Iqbal. « J’ai beaucoup appris des pères jésuites, notamment leur manière de vivre, basé sur le dialogue, l’ouverture sur l’autre, le respect de la différence des religions et des cultures. Mes camarades de classe étaient des chrétiens, des musulmans et des juifs. Nous vivions en fraternité, sans dispute ni désaccord. Dans le temps, l’enseignement des Jésuites français était mieux qu’aujourd’hui », indique le prince, dont le père et la mère ont été accusés de « conspiration » contre Nasser. « Le gouvernement de la Révolution de 1952 nous a privés de notre citoyenneté égyptienne. C’est Sadate, une personne très intelligente et ouverte d’esprit, qui nous l’a rendue en 1975. Sadate a permis aux Egyptiens qui vivaient à l’étranger de rentrer chez eux », indique Abbas Hilmi III. Au déclenchement de la Révolution de 25 janvier 2011, celui-ci a envoyé ses deux enfants, Sabiha et Daoud, en Turquie, où ils rési­dent jusqu’à présent. « J’ai eu peur pour mes enfants. Moi qui ai été obligé de quitter l’Egypte autrefois sans le vouloir, je n’ai pas voulu partir de nouveau. Je passe aujourd’hui neuf mois par année en Egypte et les trois mois d’été à Istanbul. Ma famille a fait partie du Grand Empire ottomane. L’Egypte et la Turquie sont réunies par des liens culturels assez forts. Le fait que les deux Etats soient aujourd’hui en mauvaise entente m’est très désagréable », dit le prince.

Abbas Hilmi III était rentré en Egypte une première fois en 1974. Il avait cherché du travail, mais ne savait pas vraiment que faire. Il était alors retourné à Londres en 1975 pour ne revenir, pour de bon cette fois-ci, qu’en 1994. « Cette année-là, j’ai pris la direction des fonds de la banque Misr, dits les SICAV monétaires (sociétés d’investissement à capital variable). Il faut avouer que ça a été dur de vivre en exil pendant tout ce temps. C’était pénible de ne pas pouvoir voir mon père, en résidence surveillée en Egypte, pendant cinq ans. Ma mère, la princesse impériale Fatma Neslisah (ndlr : princesse de l’Empire ottoman et princesse d’Egypte) avait réussi à sortir deux fois de l’Egypte, pour venir nous voir, ma soeur et moi, en France. Enfant, j’aimais aller au cinéma des Champs-Elysées, car il me rappelait le cinéma Métro du centre-ville cairote », raconte le prince.

Agé aujourd’hui de 77 ans, il continue à travailler avec grande énergie. Il est l'administrateur délégué du groupe Concord International Investments (bureau du Caire). En effet, à Londres, Abbas Hilmi III avait rejoint le groupe américain Concord en 1989, un an après sa création. Le groupe est actuellement l’une des plus grandes sociétés de gestion d’actifs en Egypte. L’un des fonds que le groupe Concord gère est l’Egypt Investment Company Ltd, classée maintes fois par l’International Herald Tribune comme le fonds le plus performant au monde. « J’ai aimé faire carrière en fonds d’investissement et finance, car dans ma famille, j’entendais toujours dire que nous ne comprenions rien aux questions d’argent et d’économie. Cela me dérangeait tant que j’ai voulu défier cette thèse », avoue-t-il.

Abbas Hilmi III a ainsi fait des études d’économie au Millfield School in Street, à Somerset, en Angleterre, suivies d’études supé­rieures au Collège Christ Church, à Oxford.

Le prince a travaillé pour une maison d’escompte, une banque et un courtier en assurances en Grande-Bretagne, avant de rejoindre la compagnie Grieveson Grant & Co. à Londres en 1968, l’un des principaux courtiers en valeurs mobilières de la ville. Il y est resté jusqu’en 1981. En 1970, le prince est devenu le « premier membre étranger » de la Bourse anglaise London Stock Exchange, qui limitait auparavant l’adhésion aux citoyens britan­niques. Après avoir quitté Grieveson Grant & Co., il est devenu directeur général de Schroder Asseily & Co. (1981-1983), puis président de Hilmi and Associates (1983-1986), s’engageant prin­cipalement dans des activités de gestion financière. Plus tard, il a été vice-président de Kidder, Peabody & Co. (1986-1989) pendant 3 ans.

« En exil, j’étais rongé par la nostalgie. L’exil a déchiré notre grande famille, dont les membres étaient éparpillés partout dans le monde. On se voit très rarement. Personnellement, je dois dire que je ne me plains pas du tout de ma vie à l’étranger. Ma femme Mediha Momtaz et moi, nous avons vécu très bien à l’étranger. Nous avons bénéficié d’une grande hospitalité de la part des Français et des Anglais », assure le prince. Le prince et son épouse, une descendante de l’une des soeurs du grand Mohamad Ali pacha, vivent en parfaite harmonie. « De retour en Egypte, je n’ai jamais entendu un mot désagréable. Je me suis vite adapté à ma nouvelle vie. Les Egyptiens sont hospitaliers, sympathiques et conviviaux », conclut le prince, fier de ses origines turco-égyp­tiennes et de son parcours, même s’il a été semé d’embûches au départ.

Jalons :

16 octobre 1944 : Naissance au Caire.

1974 : Naissance de sa fille Sabiha.

1979 : Naissance de son fils Daoud Abdel-Moneim.

1994 : Fondation du bureau du groupe Concord International Investments en Egypte.

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