En cette période pré-ramadanesque, les médias français discutent de l’islam à toutes les sauces. Du radicalisme au libéralisme en passant par l’islam modéré, la communauté musulmane de l’Hexagone est sur la sellette. Face à ce constat, celle dont le désaccord avec les fatwas des salafistes lui a valu l’étiquette de « fatwalogue » ne lésine pas sur les moyens pour se battre contre les clichés islamophobes. Selon ses mots : « Contrairement à la façon dont on en parle en France ou en Occident en général, le terme fatwa n’est qu’un avis religieux. Au lieu de retourner à la source, au lieu de se réapproprier les textes coraniques et de comparer les différentes réflexions de savants, de nombreux musulmans se basent sur de simples fatwas. Jusqu’ici, cela n’a rien d’alarmant. Une fatwa devient incongrue lorsqu’elle insulte l’intelligence humaine et se base sur des justifications à la fois incohérentes et banales. Je cite, en l’occurrence, les fatwas des extrémistes ».
Dounia Bouzar est docteur en anthropologie du fait religieux. En 2008, elle fonde le Cabinet cultes et cultures. Une entité indépendante spécialisée en études et analyses portées sur l’application de la laïcité et la gestion de la diversité religieuse, tant dans le monde du travail que dans la société civile. Un cabinet qu’elle gère avec sa fille Lylia, anthropologue également.
Il y a plusieurs mois de cela, le groupe parlementaire du Parti Socialiste (PS) lui a demandé de collaborer à un travail de terrain pour élaborer des fiches pratiques sur des situations concrètes avec les acteurs de grandes villes de France, qui viennent de paraître aux éditions Jean Jaurès sous la direction de Jean Glavany. Ce qui a donné naissance à un livre collectif intitulé : Le Guide pratique de la laïcité, une clarification par le concret.
Dounia Bouzar cumule des origines marocaines, algériennes, corses et italiennes. Bien qu’élevée dans un milieu non pratiquant, elle se convertit à l’islam à l’âge de 27 ans. Ce changement idéologique l’amène à lancer des fondements d’une réflexion profonde qu’elle reprend, quelques années plus tard, dans ses futurs ouvrages. Paru en 2001, L’Islam des banlieues — Les prédicateurs musulmans, nouveaux travailleurs sociaux s’inspire de son vécu en tant qu’éducatrice au sein de la protection judiciaire de la jeunesse française. Le livre s’interroge surtout sur les raisons qui poussent de plus en plus de jeunes vers une situation difficile dans les bras des associations religieuses. C’est ainsi qu’elle rédige tout naturellement une thèse d’anthropologie spécialisée sur le fait religieux. Une thèse s’est intéressée aux Français de confession musulmane.
En 2003, son livre L’une voilée, l’autre pas l’a propulsée sur les devants de la scène médiatique hexagonale. Cette année-là, universités, médias, mosquées, synagogues et églises étaient à l’heure de la légitimité du voile et des signes religieux. Le sujet a suscité un tohu-bohu qui a duré des lustres. « Un débat qui est, en lui-même, anti-laïque et anticonstitutionnel », dit-elle. Et d’ajouter : « Pendant de longues décennies, ces questions n’étaient pas réellement abordées ».
Même si l’ex-président Nicolas Sarkozy ne partageait pas les points de vue de la spécialiste du fait religieux, il l’a choisie pour occuper un siège au Conseil français du culte musulman. Deux ans plus tard, elle claque la porte en accusant le Conseil, dans sa lettre de démission, de « ne pas agir sur les questions de fond » et que cette entité a plutôt besoin d’un moulin à paroles.
Engagée dans la cause des femmes influentes du Think Tank, dit « L’Observatoire des Futures », auteur d’une douzaine de livres sur la question de la compréhension de l’islam au sein de la laïcité française, Bouzar est aussi auditrice auprès de l’Institut des hautes études de défense nationale depuis 2005. De plus, elle est une fervente défenseuse de l’image de la femme musulmane dans les médias occidentaux. « Avec l’avènement de l’islam, encouragées par les directives du Coran et de son messager, les femmes ont investi le champ social et se sont alliées politiquement et spirituellement à la première communauté des musulmans. Suite à la mort du prophète Mohamad — que la paix soit sur lui — une personne sur huit de l’élite intellectuelle était une femme, et ceci en quelques années ! Cela prouve que le Coran transmet un message égalitaire de droits et de responsabilité entre hommes et femmes. L’acquisition du savoir et la participation à la cité deviennent des devoirs et pas uniquement des droits ».
Chemin faisant, Dounia Bouzar retourne à ce qu’elle a toujours jugé être primordial dans la société laïque française. A savoir l’enquête et l’analyse qu’occupe l’islam de nos jours en France et en Occident. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’elle publie en 2006 Quelle éducation face au radicalisme religieux ? Un travail de longue haleine qui lui a permis, la même année, de décrocher un prix de l’Académie des sciences morales et politiques. De même, elle se voit — au grand bonheur de ses sympathisants — citée dans la liste des « héros européens » du Times Magazine. Juste après, et plus exactement en 2009, elle est nommée en tant que Chevalier de l’Ordre des palmes académiques pour son apport au patrimoine culturel français. Dounia Bouzar quitte son travail de recherche au sein du ministère de la Justice et fonde en 2008 son propre cabinet d’études et d’analyses. Celui-ci est également contacté pour intervenir, de manière régulière, sur la question des discriminations et de la promotion de l’égalité des chances en général.
En 2009, Dounia et Lylia Bouzar réalisent deux états des lieux nationaux respectivement intitulés : « Allah a-t-il sa place dans l’entreprise ? » et « La République ou la burqa : les services publics face à l’islam manipulé » (édition Albin Michel). Un travail basé sur plusieurs entretiens individuels et qualificatifs de terrain et validé par les équipes juridiques de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). La République ou la burqa, les services publics face à l’islam manipulé paraît en janvier 2010, non sans déplaire à Marine Le Pen et aux siens, s’étant directement sentis montrer du doigt.
Dans ce livre, elle fait allusion aux discriminations infligées en grande partie à la communauté musulmane dans le monde du travail. Même sans parler des signes religieux dans certaines administrations, des patrons vont jusqu’à demander aux musulmans de rompre leur jeûne en plein Ramadan ou de ne pas prier devant leurs bureaux pour ne pas déconcentrer leurs collègues. Chose qui ne peut que creuser l’étau entre les libertés individuelles et le concept de la laïcité.
Lorsque vous lui demandez son avis sur le Front National (FN), elle vous répond, non sans certitude : « Le FN ne reflète pas réellement les principes de la laïcité tant défendue en France. Il aurait été pertinent que la gauche adopte la base de la démocratie républicaine. Les lois y sont égales pour tous les citoyens, quelles que soient leurs opinions ou leur religion. De même, ce parti est en train de remonter les citoyens français les uns contre les autres, ce qui entraverait le sacro-saint principe de la Fraternité ». Et en réponse à la question de la liberté de conscience en administration, elle clarifie : « Qu’une entreprise française soit publique ou privée, elle est, dans les deux cas, régie par le Code du travail. La règle établit qu’aucun salarié ne doit être discriminé. La liberté de conscience, de croyance (ou de ne pas croire) est un droit primordial qui est intrinsèque à la laïcité. Un droit fondamental qui ne peut être entravé que sous certaines conditions et en fonction de six critères établis par la jurisprudence française et validés par la Halde. Il s’agit du fait que la demande religieuse du salarié ne doit pas perturber l’intérêt commercial de l’entreprise. Idem pour la mission du salarié et ses aptitudes. Ajoutons à cela le respect des règles de sécurité, d’hygiène et l’interdiction de toute forme de prosélytisme. Il faut toujours que les refus soient objectifs, justifiés et proportionnés ».
Non seulement elle a le verbe facile, mais elle est persuasive. Certains l’accusent de manquer de professionnalisme, car « elle parle avec fougue de sa religion » ou qu’elle se base sur « des arguments affectifs et religieux ». Pour elle, tant qu’elle ne fait pas dans le prosélytisme, ces éclairages portés sur l’image de l’islam n’ont rien d’affectif. Elle n’incite pas la masse à se convertir à sa religion, mais à ses causes défendues, à savoir la liberté de culte pour tous.
C’est d’ailleurs en 2011 qu’elle devient experte auprès du Conseil de l’Europe en la dimension religieuse du dialogue interculturel et reçoit un deuxième prix de l’Académie des sciences morales et politiques pour son dernier ouvrage Laïcité, mode d’emploi, qui a tout de suite décroché la distinction du meilleur livre sur les libertés individuelles.
Somme toute, en Occident, la défense de la liberté de culte à l’instar du dialogue interculturel reste un véritable talon d’Achille. Pourtant, peu d’entités étatiques et gouvernementales se targuent d’instrumentaliser ces valeurs qui sont bel et bien laïques. Dounia Bouzar, elle, croit dur comme fer en l’importance de la persévérance dans le but de défendre ses principes humanitaires.
Jalons :
1964 : Naissance à Grenoble (France).
1991 : Se convertit à l’islam.
2003 : Thèse d’anthropologie sur les Français de confession musulmane. Membre du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM).
2005 : Le 3 janvier, elle démissionne du CFCM qu’elle accuse de s’occuper plus de la forme que du fond.
2006 : Publie son livre Quelle éducation face au radicalisme religieux ?
2008 : Fonde le Cabinet cultes et cultures avec sa fille Lylia.
2009 : Nommée Chevalier de l’Ordre des palmes académiques (France).
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