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Abdel-Wahab Abdel-Mohsen, graveur et peintre

Névine Lameï, Mardi, 02 octobre 2012

Graveur et peintre, Abdel-Wahab Abdel-Mohsen s’inspire de la nature et du patrimoine. Il favorise aujourd'hui d’autres disciplines plus sollicitées du grand public, mais reste intimement attaché à son indépendance, et surtout à son identité.

Abdel-Wahab Abdel-Mohsen

A 61 ans, il trouve son bien-être en pleine nature. C’est qu’il a des racines rurales et il y tient. Un côté simple et pur qui, depuis son très jeune âge, l’a incité à combattre tout un système corrompu avec sagesse et sang-froid, mettant de côté des années d’insatisfaction et de frustration.

En 2001, Abdel-Wahab Abdel-Mohsen abandonne la gravure, son domaine de prédilection depuis les années 1970, pour favoriser la peinture. La raison en est simple : cette discipline est plus sollicitée en Egypte, et surtout plus rentable. C’est d’ailleurs le problème dont souffrent la plupart des graveurs du pays.

Abdel-Mohsen expose actuellement à l’hôtel Kempinski une série de peintures sous le titre de Miroir, avec une petite allure de gravure et une technique mixte sur papier. « En raison de ce qui se passe actuellement en Egypte, je me sens un peu confus et mécontent. J’ai voulu me regarder dans le miroir. Voir ce qui me reste de mon côté romantique, sentimental et rebelle. Voir où je suis et qui je suis maintenant. Rechercher ma quiétude et mon identité perdue »,avoue Abdel-Mohsen, qui a dû passer au lendemain de la révolution par une période de quête identitaire. Celle-ci s’est traduite par l’usage de la calligraphie arabe dans ses peintures. « Je conteste dans la révolution du 25 janvier sa naissance, malheureusement, à l’ombre d’une ignoble subordination. On a fait chuter un régime corrompu pour en installer un autre qui lui ressemble ». Et d’ajouter : « Une révolution est un changement des valeurs culturelles, sociales et idéologiques. Les gens doivent tout d’abord s’insurger contre eux-mêmes, se révolter contre leur vécu. L’Egyptien est à reconstruire », signale l’artiste, peuoptimiste quant à l’ascension des Frères musulmans en Egypte. « De tout temps, l’Egypte a été sujette à de multiples pillages. La période nassérienne a été la meilleure de toute l’Histoire. On y a adopté un projet national valorisant l’identité égyptienne »,déclare Abdel-Mohsen, dont l’exposition Miroir n’est qu’une vision sincère et nostalgique d’un grand lac du Delta, le lac Boroloss, principale source d’inspiration de l’artiste. « Mes peintures me ressemblent. C’est moi qui ai plongé la main dans le lac, qui ai mangé son poisson, qui me suis réchauffé sous son soleil. J’ai grandi dans un milieu romantique, rural et assez démuni dans les années 1950 et 60, sans télévision, ni électricité, ni moyens de communication. Le romantisme convoque ma nostalgie et mon imagination »,souligne Abdel-Mohsen.

Né dans la ville de Belqas, au gouvernorat de Daqahliya, où la terre constitue le bien, la vie des habitants dans une simplicité qui conteste le luxe. « Chez nous, les villageois, l’idée d’offrir des bouquets de fleurs n’existe pas. On ne décore pas nos maisons avec des cages d’oiseaux. Je ne cherche pas non plus à orner mon œuvre de motifs du patrimoine, pour confirmer mon identité égyptienne. L’artiste doit respecter sa terre, s’inspirer de son patrimoine pour faire progresser son pays »,insisteAbdel-Mohsen, considérant la terre comme une source d’inspiration intarissable. « Une fois que je sens que ma terre est sur le point d’être violée, je m’adonne à la défendre, seul avec mon art, cette arme tranchante et mon unique langage d’expression. D’une manière ou d’une autre, il faut quand même savoir dire non », lance Abdel-Mohsen, qui a réussi intelligemment à contrarier les vœux de sa famille Chéhabeddine de Belqas, spécialiste en religion de père en fils. Son père lui impose un enseignement religieux au kottab (école coranique). « Pour revendiquer mes droits et exprimer mon refus, j’ai décidé au bout de cinq ans de me jeter de la poussière aux yeux et ressembler aux étudiants de l’école coranique, pour la plupart des non-voyants ou des handicapés. Vers 10 ans, par compassion, mon père a décidé de me mettre dans une école gouvernementale »,raconte Abdel-Mohsen qui, à chaque nouvel obstacle, sait retrouver son chemin.

En 1976, à la fin de sa dernière année aux beaux-arts d’Alexandrie, section gravure, le jeune étudiant, étant le premier de sa promotion, devait faire partie du corps enseignant.« Je suis un pauvre paysan, qui étais sous-estimé au sein du milieu urbain. Je devais donc me trouver un moyen de distinction. Alors, j’ai cherché refuge dans la gravure sur bois ou wood cut. C’est la seule technique que tout graveur peut utiliser sans équipement, ni grand budget. C’est avec peu d’outils : une planche de bois et un endroit pour travailler que j’ai commencé à faire de la gravure, ensuite, je me suis adonné à ce champ pendant 25 ans »,signale l’académicien et fondateur de la section gravure, à l’Université de Zeitouna à Aman, en Jordanie (entre 2002 et 2004). En fait, de 1998 à ce jour, Abdel-Mohsen a enseigné le graphique design à l’Institut supérieur des arts appliqués, à la cité du 6 Octobre, près du Caire.

La gravure est la plus ancienne technique d’impression qui a suscité l’admiration du jeune artiste et qu’il a pratiquée pendant 25 ans. Pourquoi a-t-il alors délaissé la gravure depuis 2001, au profit de plus d’une trentaine d’expositions de peinture, et parfois aussi de photographies ? Cela sans oublier ses quarante one man shows au thème très égyptien : L’identité, L’Egypte notre mère, L’attrait de la terre … « Je ne pourrai jamais me passer de la gravure … jusqu’au dernier souffle. Mais je souffre d’un problème de nerfs, et la gravure sur bois demande force et énergie. Je suis toujours à la recherche d’un stimulant, loin du répétitif », déclare Abdel-Mohsen, le buste dressé.

L’artiste a de l’allure et des cheveux blancs. « Je fais de la peinture pour gagner ma vie. C’est beaucoup plus rentable. Car il faut admettre qu’après la dernière triennale internationale de gravure en Egypte, cette discipline a perdu de son éclat. Le problème c’est que L’Exposition générale (exposition annuelle rassemblant toutes les disciplines)privilégie la peinture. De quoi déprimer le graveur. Sans passer par le ministère de la Culture, j’envoie mon CV et un exemple de mon travail par la poste, de manière tout à fait indépendante. Cela pour m’éloigner des cercles officiels stériles et corrompus. Je refuse d’être un subalterne », précise Abdel-Mohsen, membre depuis 1986 de l’Association de la gravure internationale de Cracovie, Pologne (SMTG).

A présent, Abdel-Mohsen éprouve un grand plaisir à ouvrir son atelier à Kafr Al-Cheikh, fondé depuis 2008 dans le Delta, à tout académique ou amateur de la gravure. « Il faut en Egypte une association qui parraine l’art de la gravure. Si j’avais assez d’argent, j’en fonderais une. Il faut pourvoir au graveur l’argent et les outils nécessaires pour l’aider à lithographier son œuvre, un travail très coûteux. Par ailleurs, l’enseignement en Egypte a besoin d’être restructuré »,s’indigne Abdel-Mohsen dont le master, obtenu en 1993, a porté sur L’art de la gravure contemporaine à Alexandrie. « Je garde de beaux souvenirs d’Alexandrie, la métropole de la diffusion artistique en provenance de l’Occident. Je suis pour tout échange culturel enrichissant le pays, sans porter préjudice à nos origines », déclare celui qui ne porte aucun engouement clair pour le style des pionniers étrangers d’arts plastiques. Il est par contre le disciple d’artistes égyptiens alexandrins, Magdi Qénawi, Sabri Hégazi et Mariam Abdel-Alim. Avec le soutien de ces derniers, Abdel-Mohsen a soutenu une thèse de doctorat en 1998, L’Epître du pardon d’Aboul-Alaa Al-Maari, à travers l’art de la gravure. Une thèse qui porte une vision très philosophique liant la gravure à la poésie. « Les poèmes de Maari, grand poète arabe connu pour sa virtuosité, son originalité et le pessimisme de sa vision du monde, sont construits sur la base d’une tristesse existentielle profonde. Sa poésie a inspiré mon travail sur la surface esthétique de l’œuvre, l’immergeant d’une teinte égyptienne très lyrique », déclare Abdel-Mohsen, qui avait noué une amitié profonde avec des poètes tels Afifi Matar, Mohamad Al-Chahawi et Abdel-Moaati Hégazi.

Actuellement, Abdel-Mohsen se sent beaucoup plus à l’aise après sa retraite en janvier 2011. Il s’est libéré de la bureaucratie « étouffante ». Pendant quatre ans, précisément depuis 2007, Abdel-Mohsen a occupé le poste de président de l’Administration centrale des affaires culturelles, au comité général des Palais de la culture. « J’ai essayé de revivifier le patrimoine égyptien. Et ce, en organisant des festivités de tahtib (danse du bâton), arts primitifs et autres, dans divers gouvernorats d’Egypte. C’est un moyen de rompre avec la centralisation culturelle, concentrant toutes les activités au Caire et à Alexandrie »,indique Abdel-Mohsen, qui n’a jamais couru de postes de direction. « Je suis et je serai toujours un simple artiste qui, sans halo, maîtrise indépendamment ses outils. Des outils capables de défendre leur cause » .

Jalons

6 janvier 1951 :Naissance à Daqahliya (Delta).

1989 :Bourse d’étude en Europe par la fondation culturelle suisse Prohelvetia et le Centre international du design d’Isaac Azmi.

Depuis 1991 : Participation à la Triennale internationale de la gravure de Cracovie (Pologne). Obtention du Prix de l’Etat.

Depuis 2005 : Participation à la Biennale internationale de la gravure, Sarcelles (France).

2006 : Prix d’honneur de la 6e Biennale de gravure en Macédoine.

4 octobre 2012 : Exposition de dessins en noir et blanc à l’atelier d’Alexandrie.

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