ISMAÏL AL-CHAFEÏ a été le premier tennisman professionnel égyptien. Fils d’un champion de tennis, père et grand-père de champions de tennis, ce sport semble être une vocation familiale chez les Chafeï. « C’est au club d’Héliopolis que mon père, Adli Al-Chafeï, m’a transmis cette passion pour le tennis, dès ma tendre enfance », se souvient Ismaïl Al-Chafeï.
Son père était membre de l’équipe ayant représenté l’Egypte lors de la Coupe Davis dans les années 1940-1950. Il a été sélectionné à plusieurs reprises comme champion d’Egypte et a remporté différents titres dans des tournois nationaux. Le jeune Ismaïl était scolarisé au Lycée français d’Héliopolis et après le baccalauréat, il a poursuivi ses études à la faculté d’économie et de sciences politiques de l’Université du Caire. Mais il n’a jamais abandonné sa raquette de tennis après le premier entraînement avec son père, au club sportif de leur quartier. Il a même surpris tout le monde en remportant, en 1964, le tournoi de Wimbledon juniors, et ce, après être arrivé en finale l’année d’avant.
Ce titre a été un tournant pour le jeune Ismaïl Al-Chafeï, mais aussi pour l’Egypte. Car à partir de cette date, les médias locaux ont commencé à accorder un intérêt particulier au jeune prodige et à ce sport mal connu, souvent associé aux étrangers.
Dix ans plus tard, quant il bat l’étoile montante de l’époque, le Suédois Björn Borg, en 8es de finale de Wimbledon, l’effervescence des médias égyptiens et internationaux atteint son comble. Il s’agit d’une première pour un Egyptien. « A titre d’exemple, le grand champion Jaroslav Drobny, qui a offert à l’Egypte ses seuls titres en grand Chelem en gagnant Roland Garros en 1951 et en 1952 et Wimbledon en 1954, était un réfugié politique. Il n’avait jamais vraiment vécu dans le pays, ni parlé couramment la langue arabe. Il jouait ses matchs et partait vivre ailleurs », raconte Al-Chafeï.
Drobny, d’origine tchécoslovaque, a représenté l’Egypte pendant dix ans puis en 1959, il a obtenu la nationalité britannique et vécu à Londres jusqu’à sa mort en 2001. Ismaïl Al-Chafeï était donc vraiment le premier tennisman purement égyptien à se forger une place sur le plan international. Il s’est alors comporté comme un véritable ambassadeur de l’Egypte, à un moment difficile de l’histoire du pays, soit au lendemain de la défaite de 1967. Et ce, en remportant six grands tournois internationaux. Mais ceux qui comptent le plus pour lui sont ceux qu’il a remportés en Egypte. « J’étais dans mon élément et je jouais devant mon public. Les tournois Open d’Egypte se déroulaient au club Guézira à Zamalek, dont je suis également membre. J’étais vraiment content et satisfait en remportant les titres en 1969, 1973, et 1974 », se rappelle l’ancien joueur.
Al-Chafeï est fier de symboliser, en ces temps critiques, l’esprit combatif de toute l’Egypte, refusant la défaite et travaillant dur pour remporter la victoire. Cet esprit de battant et cette combativité, il les a d’ailleurs transmis à ses enfants et à ses petits-enfants. Marié à l’âge de 23 ans, il est devenu grand-père pour la première fois à 46 ans. Son fils Adli Al-Chafeï II — portant le prénom de son grand-père — n’a pas tardé lui aussi à faire une carrière de tennisman professionnel et s’est même rapproché des mille premiers du classement ATP. « Il y a quelques jours, l’un de mes petits-fils, Ismaïl, vient de remporter son premier tournoi », déclare humblement Ismaïl Al-Chafeï, sans cacher sa joie que la relève semble assurée.
Tout au long de sa carrière sportive, jusqu’à sa retraite en 1982, et même après, en tant que capitaine de l’équipe égyptienne de la Coupe Davis, il a toujours été le favori des médias égyptiens. D’aucuns le comparent même à la star internationale du football Mohamad Salah, vu la popularité dont il jouissait. En 1970, Al-Chafeï a d’ailleurs été désigné, par les médias, meilleur sportif égyptien, un an après sa nomination, par le magazine sportif français L’Equipe, parmi les 20 meilleurs sportifs de l’année 1969.
En réfléchissant à la situation du tennis égyptien aujourd’hui, Al-Chafeï constate que les choses en changé. « Même si le véritable obstacle qu’affronte le tennis égyptien aujourd’hui est le problème du financement, l’intérêt, même à l’échelle mondiale, pour les sports autres que le football est minime. En lisant les journaux tous les matins, je constate qu’environ 90 % des informations publiées dans les rubriques Sport couvrent le football. Et cela est un constat qui dépasse les frontières de l’Egypte. Parmi les 27 sports olympiques, seul le football attire l’attention. Je trouve que c’est regrettable », souligne-t-il, ne cachant pas son mécontentement face aux difficultés que rencontre la fédération en Egypte pour retransmettre en direct des événements de tennis sur les chaînes télévisées. « Lors des derniers matchs de l’Egypte en Coupe Davis, une seule chaîne a accepté de retransmettre l’événement, alors que partout dans le monde, les chaînes télévisées se montrent plus disposées à payer pour couvrir un tel événement », explique Al-Chafeï.
Aujourd’hui, ce dernier exerce son troisième mandant non consécutif à la tête de la Fédération égyptienne de tennis. D’abord, en 1994 et pendant deux ans, Al-Chafeï a été nommé pour un premier mandat. Entre 2005 et 2008, il a de nouveau été élu pour diriger cette structure. Puis l’année dernière, il a été élu pour un troisième mandat. « Je pense que ce sera mon dernier », avoue-il, en ajoutant : « Parmi les membres du conseil d’administration de la fédération, il y a des jeunes compétents sur qui on peut compter et qui sont à même de prendre la relève ».
Al-Chafeï se dit choqué face à l’économie du sport de nos jours et malgré ses études universitaires en économie, il n’a jamais trouvé les solutions adéquates, ni les moyens, pour pousser le grand public à s’intéresser au tennis, en plus du football. Il trouve qu’en Egypte, l’écart se creuse et que même les infrastructures de tennis se dégradent, malgré les efforts déployés.
A sa naissance, le nombre d’habitants en Egypte ne dépassait pas les 15 millions, tandis qu’aujourd’hui, ce chiffre a atteint plus de 100 millions. « La croissance démographique détruit tout développement possible. Lors de ma dernière victoire, au tournoi international de l’Egypte au club Guézira, à combien s’élevaient les membres de ce club et combien sont-ils maintenant? Aujourd’hui, pour ressusciter ce tournoi, il faudrait des millions de L.E., pour offrir des prix à même d’attirer les grands joueurs, être à la hauteur d’un tournoi international, réaménager les cours de tennis, etc. L’infrastructure est restée la même depuis des années et les usagers se sont multipliés », indique-t-il.
Al-Chafeï juge que l’Egypte a quelque 20 ans de retard par rapport à d’autres pays qui se développent à des pas plus sûrs et plus rapides. Il reste toutefois compréhensif quant aux raisons de cette situation, mettant surtout en cause la surpopulation. Il comprend dès lors que dans les écoles, les responsables de l’éducation nationale préfèrent construire des classes pour les étudiants plutôt que des terrains de sport ou des cours de tennis. Ce qui ne l’empêche pas de regretter la non-adoption d’un système de sports-études, qui permettrait de suivre les programmes officiels du ministère de l’Education nationale tout en encourageant les bonnes performances sportives. « Le système éducatif actuel ne permet pas aux jeunes entre 13 et 20 ans de se consacrer à leurs activités sportives. Or, normalement, c’est l’âge où ils devraient atteindre le maximum et améliorer leur niveau. L’éducation universitaire sportive reste, par ailleurs, théorique, dépourvue de professionnalisme et de pratique ». Al-Chafeï espère qu’avec la nouvelle loi sur le sport et la coopération avec des investisseurs privés, les choses vont bouger.
Son expérience et sa sagesse ont fini par lui faire comprendre que le monde est de plus en plus « asymétrique », qu’il n’y a pas de correspondance entre les buts, les objectifs et les moyens. Il reste quand même étonné qu’au sein de la Fédération internationale de tennis, l’Afrique ne possède qu’un seul représentant, lui-même, alors que ce grand continent est fort de 52 pays. « Je ne briguerai pas de nouveau mandat à la Fédération égyptienne, mais je continuerai à lutter pour une plus grande représentation de l’Afrique dans les instances internationales de tennis », affirme-t-il. Et d’ajouter: « J’ai un emploi du temps assez chargé, je porte plusieurs casquettes, même si toutes mes activités restent dans le même domaine, celui du sport et du tennis. Pour les prochaines élections de la fédération, je compte sur les jeunes du conseil d’administration. Cela va me donner plus de temps à consacrer à ma famille et à mon business privé ». En effet, ces dernières années, l’ancien champion de tennis est devenu représentant commercial de plusieurs marques de vêtements de mode et de sport, il a aussi bien réussi dans les affaires que dans le tennis.
Jalons
1947 : Naissance au Caire, le 15 novembre.
1964 : Vainqueur du tournoi de Wimbledon juniors.
1969-1970 : Devient joueur professionnel.
1974 : Atteint les quarts de finale à Wimbledon.
8 avril 1975 : Atteint son meilleur classement.
1980 : Fin de carrière en tant que joueur, devient le capitaine
de l’équipe d’Egypte.
2015 : Membre élu au directoire de la Fédération internationalee tennis et le seul représentant du continent africain.
Depuis septembre 2017 : Troisième mandat non consécutif à la tête de la Fédération égyptienne.
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