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Ebtissam Mohamad Farid : La « pro » du design numérique

Nada Al-Hagrassy, Dimanche, 25 novembre 2018

Architecte, professeure assistante d’architecture à la faculté des beaux-arts d’Alexandrie et co-fondatrice de Encode Studio, Ebtissam Mohamad Farid vient de recevoir le prix Al-Tamayoz (distinction) pour les femmes. Une chance pour elle de faire connaître au monde sa passion : le design numérique.

Ebtissam Mohamad Farid

Rien ne laisse entendre qu’Ebtissam Mohamad Farid, cette jeune femme douce qui paraît réservée et timide, cache au fond d’elle-même toute cette énergie et volonté. Depuis quelque temps, son nom figure dans la presse et dans les revues spécialisées de l’architecture : cette femme, architecte, professeure assistante d’architecture à la faculté des beaux-arts d’Alexandrie et co-fondatrice d’Encode studio, vient de remporter le prix Al-Tamayoz (la distinction) pour les femmes. Al-Tamayoz est en fait une compétition pour les femmes créatives, organisée par la fondation iraqienne Al-Kofa, le conseil d’affaires iraqien basé en Jordanie et l’Université britannique Coventry. Réservée aux iraqiennes pendant longtemps, la compétition s’est ouverte cette année à d’autres nationalités du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Et c’est Ebtissam Farid qui a eu le prix. En annonçant le nom de la lauréate, le jury a bien souligné : « Nous avons été impressionnés par l’intégrité de son design et par les informations qu’elle a fournies. L’image dans son ensemble était très puissante et l’intégrité a été reflétée tout au long de la présentation. Nous avons particulièrement admiré son travail et son design créatif qui vise à penser aux jeunes et aux enfants. On loue sa force à défier les formes conventionnelles établies en Egypte et son travail à élever le niveau du design dans son pays. Elle sera un modèle pour beaucoup et aura un impact plus important en surmontant les défis imposés dans son environnement ».

Le prix fut alors pour l’ensemble de son oeuvre et il vient couronner de longues années de travail. « Bien que ce soit une compétition régionale, elle a un écho international. Je suis tellement ravie de ce prix que je considère comme une récompense à mon travail au cours de ces vingt dernières années », dit Ebtissam Farid avec un doux sourire. Elle est au comble de sa joie parce que la reconnaissance locale, régionale, voire internationale qu’accompagne le prix va lui permettre de jeter la lumière sur sa vocation, à savoir le design numérique ou le design paramétrique. « C’est un domaine peu connu en Egypte. Le design numérique signifie tout simplement que l’ordinateur est un partenaire complet dans le processus de la création géométrique. On alimente l’ordinateur avec les données voulues et il trouve les solutions les plus appropriées. L’architecte tout seul peut proposer deux, trois, ou même quatre, au maximum, alternatives du design pour un projet. Alors que l’ordinateur offre des possibilités à l’infini », tient-elle à en détailler.

Ebtissam veut que les gens puissent faire la distinction entre un simple modeling sur ordinateur, où les architectes utilisent de simples logiciels de dessins, et son travail. Farid, avec ses collègues, alimente l’ordinateur avec des équations géométriques et mathématiques alliées à un site déterminé. Et c’est l’ordinateur qui fixe ensuite l’angle, le degré de la rondeur et résout d’autres équations pour produire en fin de compte les meilleurs résultats. « L’un de nos projets était de faire le design d’habitations pour le personnel de la société Safaga. Le client exigeait que les maisons aient toutes la même vue panoramique. Ce qui n’était pas facile parce que le terrain sur lequel on doit construire ces maisons n’était pas plat », explique ainsi l’architecte avec un ton sérieux. Elle raconte avec fierté l’un des cas où le design numérique a donné une grande satisfaction au client et dit : « Après avoir nourri l’ordinateur par les données nécessaires du terrain, il nous a montré que chaque maison doit être construite avec un angle différent de l’autre. On n’aurait pas pu arriver à cette solution sans le design numérique ».

S’agit-il uniquement d’une technique de manipulation de logiciels ? Pas du tout, Farid précise : « C’est de l’art et de la science métissés ». Ce métissage entre l’art et la science qualifie bien la personnalité de cette jeune femme tenace et pleine de volonté malgré son apparente douceur.

Le bac en poche, sa famille a voulu qu’elle suive les traces de son père et de son oncle, tous les deux architectes de renom, et qu’elle joigne la faculté d’ingénierie. Ebtissam, éprise par le dessin et la peinture, a choisi de s’inscrire à la faculté des beaux-arts à Alexandrie au département d’architecture. Pour elle, c’était le seul moyen d’associer la science et les mathématiques à l’art qu’elle pratique encore jusqu’à présent. Malgré un emploi du temps surchargé, elle arrive toujours à trouver quelques moments pour faire de la peinture. Etudiante, elle était passionnée par le design paramétrique. Après avoir reçu son diplôme, sous la houlette de Dr Hoda Aboul-Fadl, Ebtissam, accompagnée par deux anciens collègues de la faculté, Mohamad Zaghloul et Ahmad Hussein, a conçu un nouveau design pour la faculté des beaux-arts d’Alexandrie dont les différents départements se trouvent dans différentes locations. Le projet a été ensuite primé comme le meilleur design de l’an 2006.

Après ce premier succès, la jeune architecte s’est véritablement lancée dans la vie professionnelle, acquérant chaque jour de nouvelles expériences. Elle collabore avec l’architecte May Al-Tabbakh à la restauration de l’ancien bâtiment du célèbre magasin Sédnaoui Al-Khazendar et ses alentours, à la place Ataba. Bien que ce projet n’ait rien à voir avec le design numérique, il remporte le premier prix d’une compétition internationale organisée par le département de coordination urbaine et la Bibliothecca Alexandrina. Mais malgré ce succès, Ebtissam sent toujours qu’il lui manque quelque chose. Elle ne cesse d’être hantée par le concept de design numérique dans son travail. Il l’attire comme la lumière attire un papillon. « Tous les projets auxquels j’ai pris part m’ont donné une grande expérience professionnelle et m’ont aidée à savoir exactement ce que je veux et ce que je ne veux pas ». Sur ce, elle a décidé de fonder Studio Encode en 2012, avec ses deux anciens camarades d’université. « Je considère que l’ouverture d’Encode (déchiffrer) est une étape bien importante pour ma carrière parce que c’est à travers Encode qu’on puisse concrétiser nos visions à travers la création des produits matériels et non de simples dessins », dit l’architecte distinguée en montrant sur son téléphone portable des photos, des plafonds et des murs ayant des courbes et des rondeurs. « C’est un mur qu’on a réussi à faire courber de la sorte à travers l’ordinateur ». Dans Encode, le travail ne se limite pas à l’architecture. Les co-architectes font aussi de la décoration et se sont récemment lancés dans la création des meubles. Ils ont fabriqué des chaises, des tables, des plafonds et des paravents décorés par des ornements islamiques ou, en d’autres termes, Ornematics (programme de recherche développé dans Encode).

« La révolution nous a posé la question de l’identité égyptienne et de sa redéfinition. Cela nous a conduits à vouloir revenir aux sources de notre identité. Cette démarche représentait aussi un bon moyen de montrer au public les potentialités qu’offrent l’informatique et les mathématiques appliquées au design », explique l’architecte dans la presse. Les motifs islamiques sont à l’origine des formes géométriques. Ils sont plus appropriés aux techniques du design paramétrique. « Une fois la forme géométrique déterminée, l’ordinateur donne un ordre à une machine spécifique de couper le matériel en question. C’est exactement la même technique d’imprimerie de papier. Sauf que c’est un matériel qu’on coupe. Ces ornematics sont appliqués sur toute forme de matériel : bois, carton, métal, cuire… », explique Ebtissam Farid. Par ces produits, Farid et ses collègues ont reçu une médaille d’or lors d’une exposition organisée par le Conseil égyptien d’exportation des meubles. Par la suite, ils ont eu la possibilité d’exposer leurs produits à la célèbre exposition Saloni Satellite, tenue à Milan en Italie.

« Je n’en serai pas arrivée là sans le soutien de ma famille. Mon mari et mes deux filles ne cessent de m’encourager », dit-elle avec reconnaissance. Finalement, l’architecte dévoile tout simplement sa devise et le secret de son succès. « J’enseigne toujours à mes étudiants à la faculté des beaux-arts qu’il est impératif de penser hors des sentiers battus. C’est le seul moyen pour se développer, évoluer et s’affirmer », conclut-elle .

Jalons

1978 : Naissance à Alexandrie.
2000 : Diplôme de la faculté des beaux-arts à Alexandrie, département de l’architecture.
2006 : Design du nouveau bâtiment de la faculté des beaux-arts à Alexandrie.
2011 : Premier prix pour la restauration du bâtiment historique de Sédnaoui Al-Khazendar et ses alentours, en collaboration avec l’architecte May Al-Tabbakh.
2012 : La fondation du Studio Encode pour le design numérique.
2012 : Médaille d’or du Conseil d’exportation des meubles.
2017 : Participation à Saloni Satellite, tenue à Milan en Italie.

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