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Ali Nouri : Sculpter pour se sentir vivant

Soheir Fahmi, Mardi, 13 novembre 2018

Ali Nouri est un sculpteur iraqien qui a élu domicile en Egypte. Tranquille et paisible en apparence, il porte en lui le feu des années de guerre et d'un art qui le passionne.

Sculpter pour se sentir vivant

Il est iraqien. Il est sculpteur. Il est exilé en Egypte. Ces quelques phrases résu­ment brièvement l’histoire des Iraqiens qui ont été forcés à quitter leur terre à cause des vicissitudes et des remous du jeu politique et de l’atrocité de la guerre. Comme tant d’autres, l’artiste Ali Nouri vit depuis de longues années en Egypte. Il est sculpteur et ce métier nourrit son âme et lui permet de sur­vivre à tous les drames.

Dans son atelier situé à Maadi, une banlieue du Caire, il sculpte dans son grand jardin ses oeuvres énormes. Car il aime travailler le gra­nit, cette pierre pharaonique par excellence et qui se prête aux grandes formes. C’est dans les carrières d’Egypte, à Assouan plus précisé­ment, qu’il puise son granit. Il s’y était retrouvé pour la première fois à l’occasion du Symposium d’Assouan pour la sculpture, en 2008. Son énorme sculpture taillée à l’époque fait partie de l’immense musée à ciel ouvert de la ville, au même titre que les trésors de sculpture du monde entier, fruit des années consécutives de créativité du symposium.

Arrivé en Egypte il y a 11 ans, il s’y sent chez lui. « Cette terre d’Egypte accueille de manière naturelle et cordiale les étrangers », répète-t-il souvent. Ses trois enfants ont grandi en Egypte. Il sourit en ajoutant : « Tout en me sentant en harmonie avec l’Egypte, j’ai du mal à parler le dialecte égyptien après toutes ces années, chose qui semble si aisée pour mes enfants ». Toutefois, cela n’empêche pas Nouri de racon­ter avec vivacité son parcours de vie, où la sculpture tient le rôle principal. Tous les jours, sans exception, tôt le matin, il se met au travail. « Je travaille d’abord six heures, à partir de 8h. Ce sont mes meilleures heures. Puis je me sens fatigué, je bois un café, je prends une pause et je poursuis ensuite », explique-t-il. Malgré les années, l’angoisse le remplit au début de chaque oeuvre. Mais chemin faisant, alors que celle-ci commence à prendre forme, il soupire et se repose. « Le jour où je ne travaille pas le matin, je me sens propre à rien, un être lamentable ! ». Peut-être est-ce dû à l’enfance de Nouri, syno­nyme d’une éducation stricte. « On n’avait pas le loisir de se réveiller tard ou de ne rien faire. Même les jours de congé, il fallait travailler. On n’avait pas le droit à l’oisiveté », raconte le sculpteur.

La journée de Nouri s’articule tous les jours autour du déjeuner — sacro-saint — en famille, de la sieste et du sport. En effet, le sport est lui aussi important dans l’iti­néraire de ce cham­pion de body-buil­ding, tout comme la lecture. « Je n’ai pas une vie sociale très grande », indique Nouri. Dans son appartement, situé non loin de son atelier, il mène une vie paisible, scandée par la sculpture, qui prend la place la plus impor­tante de sa vie.

Par ailleurs, l’artiste croit beaucoup à la puis­sance des gènes. Dans la famille, on retrouve cette prédilection pour l’art à tous les échelons. Son père et ses oncles étaient des calligraphes de renommée. En relatant ses origines artis­tiques, Nouri s’arrête longuement sur sa relation avec son frère aîné : « Mon frère, qui a dix ans de plus que moi, aimait dessiner et je le regar­dais colorier avec admiration. Très tôt, il a vu mon talent et m’a aidé à prendre les chemins qu’il fallait prendre pour accéder à l’art ». Mais il y a eu un événement, alors qu’il était en pre­mière primaire, qui a persuadé toute sa famille de son talent. « On visionnait en famille, à la télévision, l’octroi d’un prix à un peintre iraqien handicapé. Spontanément, je l’ai dessiné avec une grande précision. Toute la famille a alors compris que je devais suivre le chemin de l’art », raconte Nouri.

Plus le temps passait, plus Nouri s’est senti attiré par la sculpture, notamment grâce à un voisin sculpteur et professeur à la faculté des beaux-arts, Chéniore Abdallah. Lorsqu’il est entré à la faculté, il a d’abord fait des études de céramique, donnant toutefois à ses oeuvres la forme de sculptures.

Malgré la forte répression politique et le manque de liberté, l’Etat iraqien donnait la pos­sibilité aux artistes de produire en les soutenant matériellement, comme le dit Nouri. Ce dernier concevait des façades et des devantures sur l’histoire de son pays, travaillait loin du poli­tique et gagnait bien sa vie. Il n’a d’ailleurs jamais fait de politique. Il avait vécu une enfance tranquille au sein d’un quartier où tout le monde se connaissait. « Ma maison avait 50 ans quand je suis né. Il me suffisait de sauter par-dessus le mur pour me retrouver chez les voisins. Dans cette vie tranquille, je rêvais d’avoir, après mon diplôme universitaire, ma voiture et ma maison à moi. Mais tout a été ébranlé par la guerre ».

L’artiste de 52 ans, à la petite barbichette blanche, au crâne nu et au corps élancé, donne l’impression de vouloir atteindre les cieux. Ses pièces de granit atteignent des dimensions de plus en plus majestueuses. Dans sa dernière exposition au complexe de l’Opéra du Caire, dans la grande salle d’Al-Hanaguer, il a pré­senté les corps déformés d’hommes et de femmes qui, sans doute, relatent l’histoire de son pays, l’Iraq, déchiré par les guerres. Le sculpteur a vécu la guerre entre l’Iraq et l’Iran ainsi que celle avec le Koweït et l’embargo qui s’en est suivi et qui était très pénible pour sa famille. Il est parti quatre ans en Jordanie, puis au Qatar, où il a travaillé au Musée d’art arabe contemporain. Il a également travaillé avec le sculpteur Ismaïl Fatah Al-Tork, recréant ses petites sculptures sous forme d’énormes pièces. Enfin, Nouri a fini par atterrir en Egypte, où il a élu domicile.

Nouri n’a pas de problème à parler de lui et de sa vie personnelle. Tout en étant persuadé que l’artiste a besoin de liberté et de mener une vie de bohème, il est très attaché à sa femme Aédoune, dont le prénom signifie « nous reve­nons ». Il raconte son histoire d’amour avec cette femme palestino-jorda­nienne, alors assis­tante aux beaux-arts, dont il est tombé for­tement amoureux dès le début. Il rit : « Je prétextais le travail pour aller la voir et la consulter. Sa personna­lité me subjuguait ». Séparés par la guerre en Iraq, ils partent dans des pays différents, mais sans aucun accord entre eux, reviennent l’un et l’autre et se retrouvent. Ils scellent alors officiellement leur union. Elle cesse alors de travailler pour s’occuper de sa famille.

Nouri, en toute simplicité, avoue une cer­taine dichotomie dans son comportement en tant qu’homme oriental. Notamment avec sa seule fille, Nour, qu’il couve beaucoup et avec qui il est très strict en ce qui concerne les libertés. Sans toutefois pencher pour un com­portement rétrograde. Sa fille travaille et s’épanouit dans un contexte de vie plutôt oriental. Cette capacité à l’autoréflexion est le point fort de Nouri, aussi dans le cadre de son travail. « J’ai toujours peur de voir le travail des autres pour ne pas être trop influencé malgré moi », reconnaît-il. Et d’ajouter : « En Occident, les gens ont une longue histoire en art et nous les copions. Pourtant, notre his­toire en Iraq, en Syrie et en Egypte est très profonde, mais il y a eu des ruptures ». Alors, tout comme pour les gènes au sein de la famille, les gènes de l’Histoire sont là, bien profondément ancrés. Le sculpteur est ainsi persuadé que l’Iraq renaîtra de ses cendres, comme cela a été le cas tout au long de son histoire. « Cela prendra le temps qu’il faudra, mais cela se fera ».

Installé dans son grand jardin ensoleillé, Nouri pense déjà à sa prochaine exposition. Il voudrait faire un amalgame d’art moderne et de figuratif. Préoccupé par la masse et l’espace avant toute chose, il s’intéresse peu aux détails. Ainsi, on peut voir dans ses sculptures des êtres aux visages perdus dans le brouillard, alors que les corps sont une masse ancrée dans la toute-puissance de la matière. Des rêves qui n’en finissent pas de générer de nouvelles formes. Espérons à tout jamais.

Jalons :

1965 : Naissance à Bagdad.

2008 : Participation au Symposium de sculpture d’Assouan.

2014 : Première exposition au Caire.

2018 : Exposition au centre Al-Hanaguer.

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