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Nada Ahmed Hassan : Nada, la scientifique que l’on écoute

Nada Al-Hagrassy, Dimanche, 28 octobre 2018

Nada Ahmed Hassan est une inventrice de talent. A 22 ans, la jeune Alexandrine s'est déjà distinguée lors de conférences internationales. Malentendante, elle fait sauter les barrières du handicap et se place au même rang que les autres scientifiques.

Nada Ahmed Hassan
(Photo:Essam Choukri)

Lorsqu’on lui a demandé de présenter à la Conférence internationale des robots aux Etats-Unis, en 2012, une recherche sur des solutions scientifiques au réchauffement climatique, Nada Ahmed Hassan l’a brillamment fait pour son pays. La jeune femme de 22 ans, originaire d’Alexandrie et malentendante, a décroché la première place parmi les candidats de 85 pays ayant participé à cette compétition scientifique.

Alexandrie, sa ville, la perle de la Méditerranée, est menacée par la montée des eaux à cause du réchauffement climatique. Nada pense que la construction de digues tout au long de la corniche d’Alexandrie réduirait de façon significative ce danger. Le gouvernorat d’Alexandrie, après avoir étudié cette solution, l’a mise à exécution. « Lorsque je me promène sur la corniche d’Alexandrie, je me sens tellement satisfaite de voir les travaux de construction des digues. J’aime tant Alexandrie et je suis heureuse de pouvoir faire quelque chose pour lui éviter un si grave danger », dit fièrement Nada Ahmed Hassan, d’une voix frêle et douce.

Un léger sourire se dessine sur les lèvres de la jeune femme, contemplant la mer depuis son café préféré le célèbre Trianon et sirotant avec plaisir son jus de citron. Impossible de ne pas remarquer sa confiance et sa fierté. Le résultat sans doute de ses brillants succès. Outre l’obtention d’une médaille d’or lors de cette compétition scientifique aux Etats-Unis, elle a aussi reçu cette même récompense lors d’une conférence internationale tenue au Japon. Cette fois-ci, la recherche scientifique présentée abordait les meilleures solutions de recyclage d’ordures.

Très impressionnés par son talent et ses compétences, les organisateurs de la conférence au Japon lui ont proposé de s’installer au pays du Soleil Levant et de lui fournir toutes les facilités techniques nécessaires à ses recherches et inventions. Mais Nada a préféré décliner cette offre pour poursuivre ses inventions au profit de son pays, l’Egypte.

Depuis son plus jeune âge, Nada est une « collectionneuse d’or ». Elle décroche toujours la première place lors des compétitions et des conférences internationales auxquelles elle participe. De la Jordanie au Japon, en passant par les Etats-Unis, et aussi dans son pays natal, cette jeune fille fait parler d’elle. Par sa passion, par ses inventions scientifiques surprenantes, elle sait attirer les regards sur les sujets qui lui tiennent à coeur et faire oublier son handicap. « Je déteste qu’on me qualifie de handicapée. Je ne me sens pas comme telle », souligne-t-elle.

Née à Alexandrie, dans une famille de la classe moyenne, Nada est la benjamine d’une famille de trois enfants. Elle a été frappée par un accès de fièvre à l’âge de deux ans, maladie qui l’a laissée malentendante. Ce problème, ce « besoin spécial » comme elle l’appelle, a fait naître en elle un désir ardent d’imiter les personnes « normales », et même de les surpasser.

Sa mère, qui était maîtresse d’école, a quitté son travail pour se consacrer à elle. Mais c’est grâce à son grand frère, aujourd’hui ingénieur, que Nada s’est prise de passion pour les sciences et les mathématiques. « Je regardais mon frère résoudre des équations de mathématiques. Je l’imitais. Je cherchais sur Internet des problèmes et des équations à résoudre. Et je réussissais toujours à trouver les étapes menant à la solution ». Du fait de son amour grandissant pour le domaine des mathématiques, Nada décide, à l’âge de huit ans, de devenir ingénieure coûte que coûte.

A cause de son « besoin spécial », Nada est admise à l’école Al-Mostaqbal (l’avenir) pour les sourds-muets et les personnes ayant des difficultés à entendre. Cette école coopère avec l’Académie arabe des sciences, technologies et transport maritime, qui encourage les talents des enfants atteints d’un handicap. C’est grâce à ce protocole entre les deux institutions que Nada a pu non seulement réaliser et assouvir son goût pour l’invention technologique, mais aussi poursuivre ses études supérieures en polytechnique à l’académie.

Après avoir terminé ses études préparatoires, Nada a été admise à l’école secondaire technique pour filles Imbrozzo à Alexandrie. Elle a dû y apprendre à communiquer et à interagir avec tout le monde, avec des « gens normaux ». Cette confrontation à la société l’a rendue encore plus déterminée à devenir la porte-parole des sourds-muets et des malentendants. Elle se souvient d’un événement qui l’a profondément marquée. « J’étais en première année secondaire. Lors de l’examen de dynamique, j’étais complètement absorbée par la résolution des équations. La directrice de l’école a retiré mon papier en m’accusant de connaître l’examen. Je ne savais pas de quoi elle parlait jusqu’au moment où elle m’a accusée franchement de tricher et m’a interdit de terminer l’examen », se souvient Nada, non sans un léger frémissement dans la voix. La jeune femme est rentrée chez elle complètement dévastée, croyant que son avenir était perdu.

Suite à cela, sa mère a décidé de se rendre à la direction de l’éducation technique d’Alexandrie pour plaider la cause de sa fille. Les responsables ont formé un comité conjoint de médecins et de professeurs pour évaluer le cas de Nada. Présente, l’élève a profité de cette séance pour défendre la cause des sourds-muets en général. « Nous ne sommes ni des simples d’esprit ni des imbéciles. Pourquoi alors nous traite-t-on de la sorte ? », a-t-elle dit au comité. Parmi les membres de ce dernier se trouvait M. Galal, directeur de l’école de Moustapha Kamel pour l’éducation technique.

Touché par le courage et la volonté de cette jeune fille au visage rond et dont les grands yeux noirs étincèlent d’intelligence, il lui a proposé de poursuivre ses études dans son école. « Là, j’ai trouvé une place que je qualifierais de maison et que je ne veux pas quitter », indique Nada. L’école de Moustapha Kamel abrite le club Al-Tamayoz we Al-Ibtékar (le club de la distinction et de l’innovation). C’est grâce à ce club que Nada a pu donner libre cours à son talent d’invention scientifique. Et c’est là qu’elle a eu l’idée, avec l’aide de camarades, de construire un robot sous la houlette de l’Académie. Ce projet lui a valu une médaille d’or à la conférence Défi, distinction et recherche scientifique, tenue en Jordanie, pour la « meilleure gestion d’une équipe scientifique ». Nada a pu sélectionner et diriger une équipe de cinq personnes, dont chacune était spécialisée dans une branche technique de la création de robot.

Les accomplissements de Nada ne se limitent toutefois pas aux sciences. La jeune alexandrine a pris pour mission d’exceller et de se surpasser dans tout ce qu’elle touche. C’est à travers un sport de loisir, la danse gymnastique, qu’elle a une fois de plus surpris son entourage. La jeune femme n’entend pas la musique et pourtant, « je sens les vibrations de la musique à travers le sol. Et c’est à travers mes sensations que je danse ». Elle a réussi à maîtriser parfaitement ses pas et a été choisie pour danser sur la musique de la célèbre chanson Halawet Chamsena (notre beau soleil), de la troupe folklorique Réda, lors du Forum de la jeunesse, qu’a organisé le gouvernorat d’Alexandrie en mars 2018. « Je tiens à participer à toutes les activités possibles pour prouver que les handicapés peuvent très bien intégrer la grande société et même surpasser ce qu’on attend d’eux », déclare Nada.

Sa plus récente décoration est celle attribuée par le chef de l’Etat lors de la conférence intitulée La Technologie au service des handicapés, tenue au Caire en 2017. Nada a créé une batterie pour les appareils auditifs qu’utilisent les sourds-muets et qui se charge par l’énergie solaire. « Les batteries utilisées actuellement se chargent par l’électricité, comme celle du portable. Elles coûtent cher et peuvent causer parfois des maladies à cause de leur usage sur la durée », explique Nada, qui ne cache pas son désespoir de ne pas, jusqu’à présent, avoir trouvé de sponsors pour financer ce projet. Mais elle continuera à le défendre jusqu’au bout.

L’impressionnant parcours de Nada a poussé un groupe de jeunes réalisateurs amateurs originaires d’Alexandrie à produire un documentaire sur sa vie. Le film a reçu cette année le deuxième prix au Festival My Love Michelle, aux Etats-Unis. La détermination de Nada à elle seule mériterait un prix.

Jalons :

1996 : Naissance à Alexandrie.
2008 : Création d’un robot lors d’une compétition organisée par la Bibliothèque d’Alexandrie.
2010 : Médaille d’or lors de la conférence Défi, distinction et recherche scientifique en Jordanie.
2011 : Médaille d’or au Japon pour le meilleur projet scientifique sur le recyclage d’ordures.
2012 : Médaille d’or de la meilleure recherche scientifique sur le changement climatique.
2014 : Invention d’une batterie qui fonctionne par l’énergie solaire pour les appareils auditifs des sourds-muets.
2015 : Diplôme de l’Académie arabe des sciences, technologies et transport maritime.
2017 : Honorée par le chef de l’Etat lors de la conférence La Technologie au service des handicapés.

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