Son immense bureau est plein de certificats de mérite que lui a accordés le ministère égyptien de l’Education. Des coupes, des trophées, des médailles, des articles de journaux, des photos — tous témoignent du fait que l’établissement scolaire qu’elle dirige depuis 1981 compte parmi les meilleurs.
Soeur Samiha Ragheb, directrice de Saint-Joseph Zamalek, nous accueille avec son sourire angélique et sa douceur habituelle. Dépendant du couvent des soeurs comboniennes, l’établissement rassemble 13 religieuses — égyptiennes , italiennes, portugaises et espagnoles. Il a son siège dans le quartier de Zamalek, au Caire. Une statue du saint italien Daniel Comboni (1831- 1881), premier évêque d’Afrique Centrale et fondateur des soeurs missionnaires comboniennes , décore l’entrée du jardin du couvent, garni de pierres dessinant par terre la forme du continent africain.
« Les soeurs comboniennes, arrivées en Egypte en 1888, suivent les principes missionnaires de Daniel Comboni, l’un des principaux missionnaires catholiques du XIXe siècle, pour l’évangélisation et la promotion humaine en Afrique. La mission de Comboni, évêque de Khartoum, au Soudan, a été d’abord destinée au rachat des esclaves noirs, puis, tout en essayant de lutter contre l’esclavage, il a réussi à créer des postes de missionnaires au Kordofan », explique soeur Samiha Ragheb, qui s’est bien préparée à la rentrée scolaire. Elle tient un petit discours tous les matins avant de saluer le drapeau et de chanter l’hymne national, pour réunir ses étudiantes autour de l’amour, de la fraternité et de la paix.
« Je suis très fière d’être égyptienne. J’aime transmettre cet amour pour la patrie aux générations futures ainsi que le sentiment d’appartenance et les principes de la citoyenneté », précise soeur Samiha. Son école a été invitée par la présidence, en janvier 2016, afin de participer à la célébration d’accueil réservée au président chinois Xi Jinping. « J’ai été ravie d’entrer au somptueux palais de Qobba en tenant le drapeau égyptien. Les étudiantes portaient des t-shirt avec les couleurs du drapeau chinois.
Le président Al-Sissi s’est approché de nous pour saluer. Pour rompre le silence total, j’ai lancé spontanément à haute voix : Vive l’Egypte ! ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas si facile de gérer la nouvelle génération, avec tous les progrès fulgurants. Pourtant, il faut avouer que cette nouvelle génération, celle de la technologie et des multimédias, est beaucoup plus mûre et clairvoyante. Il faut s’armer d’une grande patience et de beaucoup d’amour pour faire avancer les choses. Et surtout ne jamais perdre espoir dans l’avenir ». Née à Louqsor et ayant vécu jusqu’à l’âge de 15 ans à Assouan, la religieuse est issue d’une famille modeste.
Lors de ses études à l’école des soeurs comboniennes à Louqsor, elle a été fascinée par les pensées de Daniel Comboni et par sa mission de défendre les Noirs africains et de combattre contre le racisme. « A Khartoum, le climat difficile, les maladies, la mort de nombreux jeunes compagnons missionnaires et la pauvreté ont poussé Comboni à ne pas lâcher. Croyant fort au principe de l’égalité entre humains, j’ai choisi moi aussi de suivre son chemin ardu », déclare soeur Samiha. Et d’ajouter : « La porte de l’école Saint-Joseph est ouverte à tous. L’enfant doit y apprendre, avant tout, à valoriser la dignité humaine et à respecter l’Autre ».
C’est en 1968 que soeur Samiha a obtenu son baccalauréat au lycée combonien, à Assouan. Elle découvre sa vocation au sacerdoce à l’âge de 18 ans et quitte Assouan à destination du Caire. Et ce, pour suivre des cours de formation professorale dans un centre éducatif à Hélouan, dépendant du ministère égyptien de l’Enseignement. La jeune pédagogue obtient un diplôme de permis d’enseignement avec honneur, suivi d’un diplôme de qualification pédagogique. « Ma mère refusait au début que je me consacre à la vie religieuse et que je rentre au couvent. Mais me voyant si heureuse, elle a dû accepter l’appel de Dieu ».
En 1971, Samiha fait son entrée au couvent des soeurs comboniennes, à Doqqi, et devient une nonne habillée d’une robe et d’un voile beiges, avec une croix en argent suspendue autour du cou. Cet habit est le signe du dévouement total au Christ, de la pureté, de la chasteté de l’âme et de l’amour pour l’humanité. La direction des soeurs comboniennes d’Egypte a remarqué en elle une grande aptitude à l’enseignement. Du coup, elle a approfondi ses études en matière de pédagogie et est devenue l’une des premières nonnes à s’inscrire à l’Université. En dépit de quelques entraves et controverses au sein du couvent, soeur Samiha a obtenu le feu vert pour continuer ses études à la faculté de pédagogie de l’Université de Aïn-Chams, en section langue anglaise, et a obtenu son diplôme en 1981. « J’ai été bien respectée par tous mes collègues et professeurs.
Qu’une soeur, vêtue d’un habit religieux, communique avec le monde extérieur et vive en société était assez étrange dans le temps. Au début, je me sentais différente, mais je me suis vite adaptée. Je prenais le métro pour me rendre à l’Université et passais ma vie entre la retraite au couvent et le travail social dans des écoles, des hôpitaux, des maisons de personnes âgées, des orphelinats, etc. », raconte soeur Samiha.
Et d’ajouter : « Mes deux vies, religieuse et sociale, se complétaient. Ma vie au couvent m’enrichissait spirituellement pour pouvoir coexister avec le monde qui m’entourait. Et ma vie de pédagogue, entourée constamment d’écoliers, me procurait une vive joie ». Etre toujours entre le religieux et le social, c’est ce qui caractérise soeur Samiha qui possède un master en programmes d’études et méthodes d’enseignement de la faculté de pédagogie de l’Université de Hélouan. Directrice de Saint-Joseph à Zamalek depuis 1981, elle passe souvent ses moments de loisirs à faire de la broderie. Et on la trouve aussi souvent sur les réseaux sociaux. « Au début, je refusais la grande responsabilité en tant que directrice, surtout que je suis une personne qui aime prendre ses aises en travaillant. Mais c’est le bon Dieu qui me guide dans la vie, c’est lui qui a choisi pour moi », confie soeur Samiha. Depuis 37 ans, elle ouvre son lycée à toutes sortes d’activités — peinture, cuisine, ballet, gymnastique, coutures, scout, et autres — jugeant que celles-ci permettent de faire évoluer la personnalité des enfants.
« En 2003, cinq ministères en Egypte, dont le ministère de la Culture, ont choisi l’établissement que je dirige parmi les 170 écoles catholiques en Egypte pour intégrer les nouvelles technologies au système éducatif. Je suis pour tout système créatif capable d’améliorer le niveau de l’enseignement en Egypte », déclare soeur Samiha. Et de poursuivre : « Les médias sont d’une importance majeure à mes yeux. Ils jouent un rôle efficace dans le domaine de l’enseignement ».
La réception de son école est décorée du dessin d’un arbre à 33 branches : amour, fraternité, solidarité, compassion, respect, etc. « Ce sont les valeurs que je prêche dans la vie et que j’apprends à mes étudiantes », lance soeur Samiha ou « Maman Samiha », comme on s’accorde à l’appeler. « Je suis la mère de tous », souligne-t-elle, expliquant qu’elle se lève à 5h30 tous les matins et assiste tous les jours à la messe catholique de l’église Saint-Jospeh. Et ce, avant de prendre son petit-déjeuner et de se rendre à 7h pile à la cour pour sonner la cloche.
« Le pape François, que j’ai rencontré à l’ambassade du Vatican, à Zamalek, lors de sa visite en Egypte en octobre 2017, m’a encouragée à poursuivre ma mission. Pour le recevoir, j’ai enregistré avec mes étudiantes des chansons écrites en espagnol et composées spécialement pour l’occasion », raconte-t-elle. La religieuse a aussi le souci de tout documenter, de tout archiver. D’ailleurs, elle a prévu de laisser à la postérité la grande pièce où elle réunit tous ces documents, c’est-à-dire de la transformer en un musée ouvert au public prochainement. C’est sa manière de raconter l’Histoire.
« J’ai des photos de Daniel Comboni, du khédive Ismaïl lors de l’ouverture du Canal de Suez, à l’hôtel Marriott, etc. », indique soeur Samiha, qui a contribué en 2017 à l’élaboration de la vision future du Conseil national pour la femme, jusqu’en 2030. « Il faut encourager l’éducation de la femme pour développer la société. Il faut que les femmes participent à la prise de décision. La mère est une école vivante qu’il faut bien instruire », conclut soeur Samiha .
Jalons
1981 : Directrice de l’école Saint-Joseph Zamalek.
2000 : Rencontre des étudiantes de Saint-Joseph avec l’ancien pape Jean-Paul II, devant l’ambassade du Vatican, en Egypte.
2001 : Désignée « directrice idéale » par le ministère égyptien de l’Education et « pédagogue idéale » par le syndicat des Enseignants égyptiens.
2015 : Célébration du 100e anniversaire de l’école Saint-Jospeh, à l’Opéra du Caire.
2017 : Participation de l’école Saint-Joseph à la cérémonie d’accueil de l’ancien président français François Hollande, au palais présidentiel.
2018 : Hommage par le pape Tawadros II au théâtre Al-Gomhouriya.
Lien court: