Salwa al-maghrabi a tout appris sur le tas : le journalisme, le cinéma, le business de l’art … La propriétaire de la galerie Khan Maghrabi sait ce qu’elle veut vivre, mais surtout, ce qu’elle ne veut pas vivre.
Née à Alexandrie, dans le quartier de Moharram Bey, de mère tunisienne d’origine turque et de père libyen, sa famille paternelle a autrefois quitté l’Andalousie à destination de la Libye. Mais comme pour rallier ses origines différentes, Salwa Al-Maghrabi s’est toujours identifiée en tant qu’Alexandrine. Car c’est dans la ville côtière qu’elle a vécu ses plus belles années. D’ailleurs, elle aime à présent passer ses vacances d’été dans sa ville natale.
« Mon Alexandrie est cette ville cosmopolite où tout le monde vivait en harmonie : Grecs, Italiens, Arméniens, juifs égyptiens. J’adore me balader sur la plage. Notre maison à Alexandrie offrait une très belle vue, entre ciel et mer. Il y avait à proximité un marché de légumes et de fruits, où tout était bien rangé. Je montais au 2e étage du tramway pour contempler la belle architecture des anciens immeubles. Les cafés avaient un cachet parisien. C’est ce que je disais à mes amies parisiennes lors de mon voyage en France en 1970 pour approfondir mes connaissances sur l’art. Aujourd’hui, la ville est en proie au chaos, mais l’odeur iodée de sa mer me chatouille toujours les narines et m’hypnotise », dit Salwa Maghrabi.
Elle a cependant quitté cette ville mythique à l’âge de 13 ans, pour s’installer au Caire où son père devait occuper le poste de directeur à l’entreprise américaine Ford, puis il a travaillé comme steward à la compagnie aérienne British Airways. Salwa fut envahie par un sentiment d’expatriation. « Au Caire, on sentait plus la cruauté des relations humaines, contrairement à Alexandrie, marquée par une plus grande tolérance. Mes parents assez conservateurs m’interdisaient de descendre seule dans la rue ; il fallait que je sois accompagnée de mon frère. Cela me révoltait. Et pourtant, j’étais chanceuse d’avoir une mère qui aimait la peinture, s’inspirant des toiles classiques européennes », précise Al-Maghrabi, qui aimait lire depuis son âge tendre. En fait, c’est le fameux poète Ahmad Rami, un ami à son père, qui a développé son amour de la lecture. Elle lisait Tewfiq Al- Hakim et Taha Hussein pendant ses études scolaires passées à l’établissement Al-Amira Fayza à Alexandrie, puis celui de Qassem Amin dans le quartier huppé de Garden City, où habitaient ses parents.
« Le livre Al- Ayam (les jours) de Taha Hussein est mon préféré. C’est une admirable autobiographie mélancolique, un beau parcours de réussite, d’espoir et de volonté », indique Maghrabi. Lauréate, tous les ans, du Prix de la lecture octroyé par son école ; elle était toutefois une petite fille agitée qui adorait les cours d’Histoire. « L’Histoire interroge le passé. J’aimais bien tout ce qui était en lien avec les histoires des monarchies, des familles au pouvoir. La période des conquêtes islamiques m’intéressait particulièrement. Je me demandais comment des nomades du désert, illettrés, ont réussi de telles invasions ! J’admirais également la Renaissance de Mohamad Ali et l’empire des Omeyyades, bien que je n’aime pas la personne de Maawiya Ibn Abu Sufyan qui était la cause de la mort de la famille du 4e calife de l’islam, Ali Ibn Abi Taleb. J’admire ce dernier, son intelligence, sa modestie et son ascétisme », déclare Salwa Al-Maghrabi qui a épousé Ahmad Hégazi, surnommé « le philosophe de la caricature ». Celui-ci fut son âme soeur. « Ahmad était un ascète à sa manière. Il a toujours fait preuve d’abnégation et d’intelligence. Ceci m’allait bien, moi qui n’a jamais supporté la frivolité, la méchanceté et l’idiotie ». Après une longue histoire d’amour, ils se sont mariés en 1968 et ont fait face à tant de défis. « J’ai rencontré Ahmad en 1960, à la revue Rose Al-Youssef. Il m’a offert une cigarette, puis on a commencé à parler de nos loisirs en commun et à sortir ensemble. J’aimais son côté self-made-man. Et lui, il a accepté mon côté révolté, sans chercher à me changer. Il ne s’est jamais conformé aux traditions. Il a toujours voulu choquer l’opinion publique, dans l’intention d’opérer un changement », affirme Maghrabi, assez fidèle à son époux.
En novembre 2012, elle a d’ailleurs organisé une exposition qui lui était dédiée à la galerie Khan Maghrabi, regroupant ses oeuvres réalisées entre 1960 et 1980. « Hégazi et moi, nous n’étions pas contre Nasser, mais contre la dictature et la prison de milliers d’opposants, à l’époque. Mais il y avait une effervescence artistique et culturelle ». Ses études à la faculté des lettres, Université du Caire, lui ont accordé une expérience assez riche. « C’est là où j’ai rencontré l’écrivain Taha Hussein. J’étais ébloui par sa voix posée et ses principes sur la liberté de l’enseignement », raconte Al-Maghrabi.
Et d’ajouter : « Un jour, en première année d’université, je suis allée avec mes amies rencontrer Moustapha Amin, fondateur du journal Al-Akhbar. J’admirais la subtilité et la facilité de ses écrits. Puis, j’ai travaillé en tant que pigiste aux archives du journal ». Al-Maghrabi, qui s’ennuyait dans le travail d’archives, a décidé, à 18 ans, d’aller voir le fameux journaliste Mohamad Hassanein Heikal, au quotidien Al-Ahram. « Ambitieuse, je voulais passer une nouvelle expérience. La presse était pour moi le métier de la liberté de l’expression, je me voyais bien exercer cette profession. Heikal m’avait alors présentée au journaliste Kamal Al- Malakh, responsable de la dernière. J’avais travaillé avec lui dans cette rubrique d’actualité. Ensuite, le journaliste et critique Sami Daoud m’a ouvert la voix de la radio et du théâtre. J’ai effectué tant de belles rencontres », se souvient Al-Maghrabi qui a travaillé à Al-Ahram de 1957 à 1959.
La presse lui a donné l’occasion d’interviewer des cinéastes, des comédiens, des plasticiens, des designers, des écrivains, des ingénieurs et d’autres. Al-Maghrabi aime se décrire comme une « sauterelle » qui aime beaucoup se déplacer. En 1961, elle quitte la presse pour le cinéma. « Je suis aussi une passionnée de cinéma. C’est la mère de tous les arts. Mon père spirituel n’était que le réalisateur Helmi Halim, qui m’a beaucoup aidé dans ce domaine. J’étais son assistante pendant le tournage du film Tariq Domoue (la route des larmes), sur la vie du comédien Anouar Wagdi. J’ai également travaillé avec le réalisateur Youssef Chahine dans le film Le Nil, sur le Haut Barrage », indique Al-Maghrabi qui est passée par une période de dépression qui l’a poussée à quitter l’Egypte pour Londres en 1968.
Elle y a passé douze ans, au Nice Bridge ; sa maison donnait sur une vue panoramique, avec de la verdure tout autour. Al-Maghrabi avait besoin d’une période de détente, afin de retrouver son équilibre au lendemain de la défaite de 1967. Pour compenser le vide qu’elle sentait grandir en elle, Al-Maghrabi faisait le tour des musées, des galeries, des théâtres et des salles de ventes aux enchères. Elle a suivi des cours sur l’histoire des arts plastiques et sur la littérature comparée, dans des instituts pour adultes, à Holborn, Londres. « Avant mon voyage, l’égyptologue et journaliste Kamal Al-Malakh m’a donné une lettre de recommandation adressée à son ami, conseiller à l’ambassade d’Egypte à Londres. Grâce à cette lettre, j’ai été embauchée au bureau commercial de l’ambassade », se souvient Al- Maghrabi qui a également travaillé à la boutique Chanel.
Vivement intéressée par les arts plastiques, elle a acquis une belle expérience en la matière. De quoi lui donner l’idée, en 1995, une fois rentrée en Egypte, d’ouvrir une galerie d’art. « Mes artistes fétiches sont Van Gogh, avec son style inimitable très coloré, Mahmoud Saïd, le père de la peinture égyptienne, notamment sa toile Les Belles Alexandrines ou Les Filles de Bahari ». Elle a installé la galerie Khan Maghrabi au rez-de-chaussée d’un ancien immeuble de Zamalek. « Dans les années 1990 en Egypte, il n’y avait que la galerie Extra à Zamalek et la galerie Machrabiya au centreville. Moi, j’ai toujours exposé des oeuvres qui me touchent personnellement. J’aime aussi exposer les tableaux d’artistes tombés dans l’oubli, en côte à côte avec des jeunes. J’ai une forte compassion pour les artistes femmes qu’il faut encourager ».
Ayant eu des problèmes de santé, Salwa Al- Maghrabi a dû fermer sa galerie en 2013, après avoir tenu une exposition collective intitulée La Chanson d’adieu. Puis, elle a rouvert en mars 2017, avec une exposition du sculpteur alexandrin Gaber Hégazi. « Ce n’est pas à cause de la révolution du 25 janvier 2011 que j’ai pris cette décision de fermeture, mais pour des raisons de santé. Sous les Frères musulmans, je vendais bien et les revenus étaient consacrés aux blessés de la révolution, à la Fondation Magdi Yaacoub et à l’institut du foie ». Et d’ajouter : « Avec ma spontanéité, je trouve du mal à me faire comprendre. Puis, les gens finissent par découvrir mon côté bienveillant, sans hypocrisie », conclut Al- Maghrabi qui réserve toujours un bon accueil aux visiteurs de sa galerie .
Jalons :
Novembre : Naissance à Alexandrie.
1995 : Ouverture de la galerie Khan Maghrabi, avec une exposition de l’artiste peintre Adli Rizkallah.
1986-1987 : Assistante de l’ambassadeur américain, au Caire.
1989 : Traductrice free-lance.
2014 : Ouverture du magasin Sandouq Al-Dounia à Zamalek, pour la vente d’objets antiques.
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