« Je crois fort en le pouvoir des mots. Au commencement était la Parole (ndlr : prologue de l’Evangile de saint Jean), et une sourate du Coran ordonne : Lis au nom de ton Seigneur », dit Dalia Younis, interprète de chants religieux. Pluridisciplinaire, elle est à la fois médecin, chanteuse, rédactrice, publicitaire, blogueuse, animatrice d’ateliers d’écriture créative, freelance en média numérique, active dans le domaine de l’industrie du contenu, collaborant avec Unicef Egypte. Elle met en scène des vidéos en ligne sur le site officiel de l’Unicef, qui traitent des enfants migrants, des réfugiés, de l’éducation contre la violence, de campagnes de sensibilisation pour la vaccination, d’adduction d’eau dans les villages reculés, etc.
« L’un des projets dont je suis fière est celui qui a consisté à convertir, en 2016, la rapport de l’Unicef, basé sur une étude de terrain, Hikayat Waraä Al-Arqam (histoire derrière les chiffres), en une copie électronique, format PDF. Il s’agit d’une compilation d’histoires humaines, sur le mariage précoce, le mariage forcé, la circoncision, etc., qui a été visionnée plus de 9 millions de fois sur Internet », indique Dalia Younis.
Pour elle, la technologie et les moyens de communication modernes sont des paramètres essentiels pour tout genre de recherches, visant par-dessus tout à rapprocher les gens. Elle aime l’interaction directe avec le public, sous toutes les formes. D’ailleurs, son dernier concert à l’Institut Français d’Egypte (IFE, Mounira) en est un vif exemple. « J’ai choisi de chanter 83 vers d’Al-Burda (le manteau), de l’imam Charafeddine Al-Bosayri, soit le poème le plus célèbre de l’islam, consacré à l’éloge du prophète », déclare Dalia Younis. Et d’ajouter : « Al-Burda n’est pas un poème facile à comprendre. Ma dernière performance mêlait les maqamate classiques (musique modale) à des harmonies occidentales diversifiées, jouées par le luth, les percussions et le qanoun, pour créer quelque chose de nouveau. Le chant est un autre moyen de communication ».
Younis est très influencée par son idole, la diva libanaise Fairouz, mêlant les styles oriental et occidental. Elle s’intéresse particulièrement à la musique comme thérapie, après avoir remarqué son effet sur son enfant autiste, dormant plus facilement en lui chantant des berceuses. La maman, consciente des troubles de communication sociale dont souffre son fils, elle a enregistré, en pianissimo, un bon nombre de chansons égyptiennes pour enfants et les a téléchargées sur SoundCloud. « Cette expérience a été reprise par des associations caritatives, afin d’aider les mères qui ne peuvent pas chanter par elles-mêmes », précise Dalia Younis. En outre, elle poste sur sa page Facebook des chansons populaires comme Ali Ya Ali, de Taha Abou-Lamouna. « Ali Ya Ali a fait deux millions de visiteurs, de quoi avoir attiré l’attention des radios et de la télévision égyptiennes. J’ai été conviée par la suite afin d’animer des concerts régulièrement dans des centres culturels, partout en Egypte », dit Younis, disciple du luthiste Magued Soliman.
Après son divorce en 2016, Dalia Younis se concentre mieux sur son travail musical. En février 2017, elle chante dans un premier concert, au centre Dawwar, au centre-ville cairote, le jour de la Saint-Valentin. « J’avais annoncé que mon concert était réservé aux célibataires, pour célébrer l’amour différemment. C’est toujours au centre Dawwar que je tiens un cercle mensuel intitulé Qaedet Mazzika (soirée musicale) regroupant pas mal de jeunes talents », signale Younis, membre de la chorale de l’Université allemande du Caire (GUC) et de la chorale Fayhaa d’Egypte.
« Chanter a capella, dans toutes les langues, transmet un message de paix et d’amour au monde entier », souligne Younis qui vient d’initier cette année un projet musical intitulé Fusic (Finding Unexpected Stories In Common), réalisé en collaboration avec l’association égyptienne caritative de l’homme d’affaires Chafiq Gabr. « En naviguant sur Internet, je suis tombée par hasard sur une bourse de l’association Chafiq Gabr, sur le dialogue interculturel. Et ce, à travers les histoires rapprochant 10 jeunes Egyptiens et 10 jeunes Américains, en 10 jours. J’ai choisi de rassembler et de rapprocher dix chansons égyptiennes et américaines. Par exemple, à la chanson égyptienne Ya Balah Zaghloul, de Sayed Darwich, répond la chanson américaine Wade In The Water, de Bob Dylan. La première parle allégoriquement du leader Saad Zaghloul à un temps d’une quête d’indépendance, alors que la seconde servait de messages codés à l’intention des esclaves noirs en fuite », souligne Dalia Younis dont la passion pour la musique est née dès sa tendre enfance.
Elle ne dormait que sur la musique de Mozart et de Beethoven, émanant du bureau de son père. Née en 1986, dans le quartier cairote de Mohandessine, son père, Ihab Younis, était un dermatologue, et sa mère neurologue. La fille garde de bons souvenirs de la maison de son enfance, où elle vit jusqu’à présent. « Bien que considéré comme un quartier chaotique, Mohandessine m’est un endroit cher à mon coeur. C’est assez central, on est capable de se balader sans voiture, tous les services se trouvant à proximité ».
Très attachée aux objets antiques de la maison de ses parents, de la famille Abou-Haggar, venue du Fayoum pour s’installer au Caire il y a belle lurette, elle raconte : « Ce piano que j’ai hérité de ma grand-mère faisait partie de son trousseau, signe de distinction sociale à l’époque. Il existe des liens de parenté entre ma mère et mon père. Ceci dit, ils avaient des gènes en commun ». Et de poursuivre : « Mon père et moi, nous nous entendons bien en termes d’engagement social. Nous aimons la technologie, la recherche du nouveau et du créatif. Nous étions parmi les premiers Egyptiens à avoir Internet chez soi, dans les années 1990 ».
Dalia Younis a été admise, en 2004, à la faculté de médecine, de l’Université de Aïn-Chams, afin de faire plaisir à ses parents. Pour remédier à son malaise, pendant ses années d’études, elle contribue, en 2007, à un convoi médical pour l’un des villages démunis de la Haute-Egypte. « J’essayais de les initier aux mesures de secours primaires, comment se comporter en cas de brûlure au four à pain, comment traiter les fractures chez les bébés, causées par le piétinement des animaux. Je passais des heures à chanter la nuit avec les enfants du village, privés de tout », dit Younis. Etudiante brillante du lycée gouvernemental Al-Talaie Al-Islamiya (avant-garde islamique) à Mohandessine, Dalia Younis possède un esprit libre et créatif.
« Un jour, à l’école, on nous a demandé de rédiger une dissertation sur le Grand Baïram, la fête du mouton. J’ai alors écrit une histoire donnant la parole à un mouton. J’avais appris dans les cours de religion islamique qu’il faut sacrifier un mouton, durant la fête, et donner à manger aux pauvres. J’ai alors imaginé le discours d’un mouton orgueilleux, en bonne santé, qui ignore ce qui va lui arriver. Mon professeur était impressionné. Et j’ai commencé à découvrir mes compétences langagières », raconte Younis qui doit beaucoup à son mentor, l’écrivain et médecin Ahmad Khaled Tewfiq, lequel vient de disparaître il y a quelques mois. « Adolescente, je n’étais pas le genre de filles qui aimaient aller au cinéma, se farder ou faire les magasins. Je préférais passer mon temps de loisirs à installer un software ou à lire un roman. Un jour, en lisant Ma Waraä Al-Tabia (métaphysique) et Fantasia, de la série Livres de poche d’Ahmad Khaled Tewfiq, j’étais touchée par son style d’écriture assez simple. J’ai commencé à correspondre avec l’écrivain et à entretenir un rapport très particulier avec lui. Il me portait conseil, m’aidait à développer mes compétences langagières, etc. ».
Dalia Younis s’introduit dans le domaine de l’industrie du contenu, et décroche, en 2011, un emploi dans une compagnie pharmaceutique, en tant que correctrice et rédactrice publicitaire. « J’ai l’art de convaincre et de promouvoir un produit ou une idée. Avec mon savoir-faire en pharmacologie, je faisais un bon travail de marketing, auprès des médecins », accentue Younis laquelle crée, en 2008, le site Web Lancer’s café, qui initie toute personne intéressée au travail à domicile en freelance. Et en 2010, elle participe en bénévole, à l’événement Google pour le développement des femmes, aidant les femmes de son âge à créer sur Internet une identité numérique qui leur correspond, pour se trouver un emploi. Puis en 2015, la chanteuse touche à tout, obtient un master en administration des affaires et marketing international, de l’ESLSCA, le Business School de Paris, en partenariat avec la faculté égyptienne de l’éducation électronique, de l’Université de Aïn-Chams. « En fin de journée, je passe au lit, totalement épuisée. Je suis une personne hyperactive qui aime accomplir des tâches multiples », avoue Younis qui n’aime pas parler politique, mais plutôt travailler en bénévole, pour la sensibilisation sociopolitique, notamment à la suite de la révolution du 25 janvier 2011. Younis se lance également dans le domaine éducatif en freelance à Tahrir Academy (Académie Al-Tahrir), une ONG à but non lucratif, née au lendemain de la révolution. « Créée par le cyberdissident Waël Ghoneim, pour s’adresser aux jeunes, entre 13 et 18 ans, l’ONG offre un cursus de formation gratuite, via Internet et les jeux vidéo », affirme Younis qui a été refusée lors d’une audition pour un documentaire, à cause de son voile. « Je ne suis pas obligée d’ôter le voile pour me faire accepter ou gagner mon pain. Je suis libre comme un papillon. J’aime choisir et expérimenter, sans contrainte ni restriction », conclut Younis .
Jalons :
1986 : Naissance au Caire.
2010 : Diplôme de médecine, de l’Université de Aïn-Chams.
2015-2016 : Programme éducatif Khareg Al-Manhag (en dehors du programme) avec la boîte de production Hot Spot, à Dubaï.
Depuis 2016 : Responsable de média numérique à l’Unicef Egypte.
Depuis 2017 : Qaedet Mazzika, (rencontre musicale mensuelle, regroupant des jeunes talents) au centre Dawwar.
2018 : Concert à l’IFE, durant le Ramadan.
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