Pendant les derniers jours du Ramadan, l’Egypte se prépare pour la Coupe du monde de football et le travail bat son plein à l’usine de Meubles Al-Charq, appelée communément « Masnaa Al-karassi » (l’usine des chaises). On doit augmenter la production de chaises pour répondre à la demande du marché, car il y aura un besoin accru en chaises pour les supporters lors des matchs. « Notre usine a lancé une nouvelle ligne de chaises portant les couleurs du drapeau égyptien et sur lesquelles on a inscrit les numéros et les noms des joueurs de l’équipe nationale. On a également ajouté le slogan suivant : Encourage l’Egypte », explique l’ingénieur et businessman Ahmad Helmi, PDG de Meubles Al-Charq et président de la Chambre de l’industrie du bois et de l’ameublement.
Il sourit en évoquant cette récente série de chaises, fait l’éloge des designers de son entreprise et dit : « On essaie de produire des meubles qui répondent aux besoins de la clientèle et aux nouvelles circonstances. C’est notre stratégie de base ». La nouvelle ligne en question est, en effet, très demandée par la clientèle. Sur Facebook, les supporters de l’équipe de football en raffolent. Ils se renseignent sur les prix et font des commandes, selon leurs joueurs préférés.
« Fabriquer des chaises » a toujours été, pour l’ingénieur Ahmad Helmi, une affaire de famille. Sur le grand bâtiment de l’usine de Madinet Nasr est illustrée une chaise énorme, symbolisant cette tradition de longue date, transmise de père en fils. Car l’usine s’est d’abord fait un nom grâce aux chaises en bois qu’on retrouve dans les cafés populaires, les restaurants ou parfois dans les salles de conférence ou autres. A l’entrée de son bureau, Helmi a affiché le slogan suivant : Karassi Al-Charq, Karassi Kaman wa Kaman (les chaises d’Al-Charq, encore et toujours). « Je représente la troisième génération dans ce business familial. Je suis très reconnaissant à mon père et à mon grand-père. J’apprécie surtout la force et la volonté de ce dernier, qui était un autodidacte et a suivi son rêve jusqu’au bout », souligne Helmi. Le portrait de son ancêtre est d’ailleurs accroché au mur, juste au-dessus du bureau. Une autre photo bien cadrée regroupe les trois générations, posant ensemble.
Dans le showroom ouvert aux clients, les différents produits sont exposés : des chaises, des salles à manger, des fauteuils, des sofas, etc. Bref, tout ce qui a rapport à « être assis ». Helmi entend montrer aussi l’histoire du business familial. Il a donc placé des photos en noir et blanc partout, des publicités en arabe qui remontent aux années 1940, une machine à coudre utilisée autrefois dans la première usine, une photocopie immense du registre du commerce de l’usine des chaises, montrant que c’est la septième du genre dans le pays, et ainsi de suite. « Notre première usine a été créée en 1944 par mon grand-père Aly Helmi et son frère Zaki », raconte Ahmad Helmi. Les deux frères ont fait leurs débuts dans un petit atelier de menuiserie du quartier de Choubra, au Caire, où ils fabriquaient des chaises. Ensuite, afin d’élargir et augmenter la production, ils ont ouvert une usine dans la zone d’Al-Amiriya, puis une autre plus grande dans le quartier d’Imbaba.
Aly et Zaki Helmi ont même été honorés par Nasser pour la qualité de leur travail et leur dévouement. Pourtant, ils n’ont pas échappé à la nationalisation opérée par ce dernier. Leur usine a été nationalisée, comme pas mal d’autres, dans les années 1960. « Je n’aurais jamais eu le courage de faire comme mon grand-père à l’époque et de recommencer à zéro, un an après la nationalisation. Il était déterminé à revenir sur la scène industrielle et à tout reconstruire », raconte Helmi avec fierté. La nouvelle usine ouverte par les deux frères portait le nom de « Meubles Al-Charq », de quoi lui donner une touche orientale.
Récemment, l’entreprise familiale a initié un nouveau projet pour revivifier les styles du passé. « On veut profiter de la nouvelle technologie pour produire de l’ancien. Par exemple, on est en train de travailler sur de petites tables qui servent à charger les téléphones portables sans câble. En même temps, on utilise les designs et les formes de chaises à l’ancienne. Il y a un côté nostalgique auquel nous nous référons », explique Helmi.
Le businessman parle avec enthousiasme. Il éprouve une passion à l’égard des chaises et de son travail à l’usine. Surtout, il ne veut pas se reposer sur ses lauriers. « Je suis un ancien élève des Jésuites, j’ai l’habitude du travail public et des oeuvres de charité. On nous a appris à respecter tout le monde, à bien définir nos plans futurs, à être ponctuel, discipliné et à faire attention aux détails. C’est la recette de la réussite, ça m’a beaucoup aidé dans les affaires », affirme Helmi.
Effectivement, l’homme d’affaires accorde une attention particulière aux détails : la qualité des matériaux, les différents genres de bois, la finition, etc. Il a effectué des études en ingénierie à l’Université américaine du Caire. « Je cherchais à m’affirmer loin de la famille. J’ai poursuivi mes études aux Etats-Unis, à l’Université de Penn, et j’étais sur le point de m’installer là-bas. Aux Etats-Unis, les attraits sont multiples. Les entreprises cherchent souvent à profiter de la créativité des jeunes étudiants. Elles offraient de nous soutenir financièrement et socialement afin de garantir notre loyauté ». Mais, étant le seul jeune homme de la famille, c’était un bon prétexte pour le faire revenir. « Ma famille m’a jeté un appât », lance-t-il en riant. Et d’ajouter : « Mes enfants sont encore au lycée. Je n’ai pas de plan pour leur avenir professionnel. S’ils s’intéressent au business familial, ils peuvent y travailler et avoir des idées originales pour le développement de notre entreprise. Ils seront traités sur un pied d’égalité avec les autres employés ».
De retour en Egypte, Helmi a été embauché par la société ExxonMobil. « J’ai voulu m’éloigner des aides familiales et ne compter que sur moi-même », dit-il. Trois ans plus tard, la famille lui jette un autre appât : « Si tu veux poursuivre tes études supérieures, tu auras plus de temps en travaillant avec la famille, non ? ». Le plan du jeune Helmi était donc le suivant : passer deux ou trois ans dans le business familial, puis partir à l’étranger pour des études complémentaires. Mais, une fois sur place, Helmi s’éprend du monde bouleversant des chaises. Il touche de près aux problèmes de l’industrie et initie des projets ambitieux pour développer Meubles Al-Charq.
Devenu président du Conseil d’exportation des meubles en 2004, puis actuellement président de la Chambre de l’industrie du bois et de l’ameublement, il essaie de faire bouger les choses et a soumis quelques projets de loi au parlement, visant à faciliter les procédures d’obtention d’autorisations pour construire des usines ou ouvrir des ateliers. « L’essor économique d’un pays dépend de sa capacité de développer les petites et moyennes entreprises. On doit oeuvrer à soutenir ce genre de projets », souligne-t-il. Et d’ajouter : « Personne ne peut nier que la révolution du 25 janvier 2011 a été une belle occasion de se remettre en question pour mieux avancer. Notre entreprise, par exemple, a dû réviser sa stratégie d’exportation ».
Président de Meubles Al-Charq, Helmi s’est aussi lancé sur de nouveaux marchés internationaux. D’où l’inauguration du bureau Designocracy au Canada et la vente de ses produits en Europe, aux Etats-Unis et en Arabie saoudite. « On avait quelques commandes étrangères, mais le défi était de s’adresser à d’autres pays ayant une maturité et une force économique sur le plan international. Il fallait étudier les besoins de la clientèle étrangère, comprendre leur style et le fusionner avec le nôtre pour répondre aux critères de ces nouveaux marchés », explique l’homme d’affaires, qui a su allier les styles occidental et oriental.
Aujourd’hui, le showroom de Meubles Al-Charq est en réaménagement. Les espaces vides s’apprêtent à recevoir de nouveaux produits, mélangeant le moderne à l’ancien. « C’est la collection Roots (racines, ndlr) », conclut fièrement Helmi.
Jalons :
1974 : Naissance au Caire.
1995 : Séjour aux Etats-Unis.
1997 : Diplôme d’ingénierie de l’Université américaine du Caire.
1999 : Entrée dans l’entreprise familiale et mariage.
2004 : Président du Conseil d’exportation des meubles.
2012 : Bureau Designocracy Inc. Canada & North America.
2016 et jusqu’à présent : Président de la Chambre de l’industrie du bois et de l’ameublement.
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