Avec sa dernière pièce
Carnivorous, il fait toute une tournée qui a commencé en Egypte, le mois dernier, puis il la présente au Liban, ensuite en Allemagne et en France. Il en est l’auteur, le metteur en scène et l’acteur principal. Au Caire, sur les planches du théâtre
Al-Falaki, son regard parcourait les spectateurs, examinait leurs visages et leurs impressions. Les yeux dans les yeux, il parvient à capter l’essentiel. «
Ce petit test est toujours un moment de soulagement. Le public est là, il a bien saisi ce que j’ai voulu dire, il a accepté d’être complice et de s’impliquer dans le jeu », explique Issam Bou Khaled, non sans passion. A ce moment, il était au comble de la joie.
Et ce, parce qu’il a dit tout ce qu’il avait sur le coeur. Sa dernière création aborde la vie de couple. Le fils de la famille dont il est question dans la pièce est accusé de terrorisme, ayant fait exploser un centre commercial. Les parents ont subi un interrogatoire frustrant, la mère a été violée et s’est ensuite suicidée. Les médias et les réseaux sociaux qui ont d’abord condamné le fils ont fini par le déclarer innocent, mais c’était déjà trop tard.
« J’ai écrit Carnivorous parce que j’ai senti à quel point notre société est devenue consommatrice dans le mauvais sens du terme. Nous sommes influencés par une information donnée et l’on fait du boucan dessus, comme si on était tous des Corneilles ! C’est affreux ! », s’exclame Bou Khaled sur un ton nerveux. Ses textes, souvent pleins de sarcasme, sont accompagnés d’une scénographie et d’un décor intéressants. Bou Khaled innove sur le plan visuel. Il crée des scènes captivantes, nouant un rapport de confiance avec le public qui attend ses pièces impatiemment.
Son jeu bouleversant fait rire. Il dénonce la guerre, la violence et le terrorisme avec beaucoup d’humour. « Faire du théâtre est à la fois une prise de position politique et un moyen de s’exprimer librement », dit-il, noir sur blanc. Le petit baccalauréat en poche, il a choisi de faire des études universitaires de théâtre, sans le consentement de ses parents. « J’étais un bon élève au baccalauréat scientifique. Ma spécialisation était les mathématiques. Grâce à mes bonnes notes, mes professeurs s’attendaient à ce que je fasse ingénierie. Mon père aussi. J’étais l’enfant prodige à leurs yeux. Mon choix était décevant pour tout le monde ». A l’école et aux scouts, il faisait déjà du théâtre, pendant la guerre civile libanaise.
Par la force des choses, il s’engage sur le champ politique, luttant contre les dérives sectaires, l’invasion israélienne, le massacre de Qana, etc. « Encore petit, j’ai connu très vite les exils. Parfois pour des raisons politiques, parfois pour des raisons religieuses », lance-t-il. Puis, d’ajouter : « Mon nom de famille prêtait à confusion ; il invoquait le lien avec une zone géographique en particulier, du coup, il suggérait une certaine appartenance et impliquait une position politique déterminée. A cause des multiples malentendus qui en résultaient, nous étions souvent obligés, ma famille et moi, de nous déplacer d’un endroit à l’autre ».
Une vie mouvementée et absurde qui était difficile à assumer, mais qui a forgé l’identité de Bou Khaled. Il suffit de rappeler sa trilogie Archipel, Marche et Banafesj pour s’en rendre compte. Car on y retrouve la guerre du Liban, ses causes et ses effets. « Cette trilogie résume bien ma relation avec la guerre et la mort », fait-il remarquer. Maassati (ma tragédie), Black Box, Page 7 sont également d’autres spectacles reflétant ses positions politiques.
Bou Khaled ne le nie aucunement. « Notre premier déplacement à cause de la guerre libanaise reste gravé dans ma mémoire. Mais je crois être capable de vaincre toutes mes peines par le rire, au lieu de sangloter et de sombrer dans le mélodrame. Ceci ne peut qu’accentuer nos traumas. Le plus fort se moque de tout. La comédie pousse le public à réfléchir », estime-t-il. Bou Khaled est un comédien professionnel qui joue au cinéma comme au théâtre, mais c’est aussi un dramaturge polyglotte, un instructeur de présentateurs de télévision, etc.
« Tout ce que je fais est en rapport avec le théâtre. J’aime jouer, je peux interpréter plusieurs personnages très différents les uns des autres. J’aime le cinéma également. Avec mon ami et collègue Saïd Serhan, nous comptons réaliser un long métrage dont j’ai écrit le scénario. Dans la mise en scène sur les planches, il y a le plaisir de découvrir. La création en elle-même est une joie indéniable. Si je dis que j’en fais simplement mon métier, je ne pourrais plus faire du théâtre », souligne Bou Khaled, co-fondateur du centre du théâtre libanais Dawar Chams, et qui aime se lancer dans la mise en scène en aventurier.
Marié avec la comédienne Bernadette Houdeib et père de deux enfants, Bou Khaled affirme être un metteur en scène assez difficile. Sa femme partage la vedette avec lui, de toutes ses pièces, et supporte tant bien que mal son caractère exigent. « Je sais qu’elle en souffre, mais c’est une comédienne absolument fascinante. On a l’impression qu’elle ne joue pas. Parfois, je lui parle, et d’un coup, elle entre dans la peau du personnage qu’on présente. Nous nous sommes rencontrés à l’université, et depuis, on ne s’est jamais quitté, mis à part pour une seule pièce, car elle était enceinte. Mais elle m’a quand même donné un coup de main pour l’éclairage et le son », raconte-til en souriant. Après Black Box en 2013, Bou Khaled était convaincu qu’il fallait s’éloigner de la scène. « La pièce a été donnée en Allemagne et a eu un succès fou. Il fallait ensuite la reprendre à Beyrouth, mais on était tous épuisés. Il faut surtout la rejouer plus tard ».
Dans cette pièce de théâtre, Bou Khaled évoque les révolutions arabes ou le printemps arabe. « C’était ma réaction vis-à-vis de ces révolutions qui ont donné lieu à des violences et des discriminations », lance le metteur en scène. Puis d’ajouter : « J’avais besoin de faire halte pour savoir si je continuerais à nourrir la même passion pour le théâtre et pour la création, tout court. Au Liban, faire du théâtre est exhaustif. Les troupes sont indépendantes et les théâtres sont privés. A chaque fois, il faut recommencer à zéro. Le système de production est absurde ».
Il fallait donc attendre trois ans pour que cet homme recharge ses batteries et écrive les deux pièces Carnivorous et Maassati qu’il a montées en 2017. « Les réseaux sociaux et les nouveaux médias sont si influents et libres, alors je me demande pourquoi la censure est-elle toujours si intransigeante avec nous ? Tout simplement, car le théâtre est toujours aussi puissant ; c’est un moment de contact direct avec le public. Il ne peut jamais perdre son charme. Sinon, comment les textes de Shakespeare et des dramaturges gréco-romaines sont-ils toujours aussi vivants ? »
Avec sa compagnie de théâtre pour les sourds-muets Décibel, Issam Bou Khaled a créé un langage mimique. « J’ai été initié à créer un spectacle de théâtre pour un groupe de sourds-muets, grâce à un ami et un collègue. En travaillant avec les jeunes, je n’ai voulu ni adopter le langage des signes qu’ils utilisent normalement, ni imposer le mien. Donc ensemble, nous avons créé nos propres signes, mimes et sons. Le spectacle Alam Bala Sawt (un monde sans voix) a été notre première production. Et c’est ainsi qu’est née la troupe Décibel ». Aujourd’hui, grâce à son partenaire et ami Chafiq Lilat, Décibel s’est transformée en une association artistique accueillant les différents moyens d’expression artistique. Bou Khaled souligne que ses meilleures productions théâtrales sont liées au chiffre 7. Cela dit qu’« il faut attendre jusqu’à 2027 pour connaître d’autres vrais tournants dans la vie », conclut-il, avec unclin d’oeil.
Jalons
1997 : Première mise en scène Trio.
2000 : Mariage avec la comédienne Bernadette Houdeib.
2004 : Naissance de sa fille aînée Loulou.
2007 : Naissance de son fils Jad et création de la troupe Décibel.
2017 : Création de Carnivorous et Maasati.
2018 : Carnivorous en tournée. Préparation de son premier long métrage.
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