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Omar Al-Farouk : Maître des arcades

May Sélim, Lundi, 16 avril 2018

Disciple de Hassan Fathi, architecte réputé pour ses constructions islamiques et fin collection­neur de pièces antiques, Omar Al-Farouk est un véritable passionné, qui soutient également les jeunes créateurs d'art.

Omar Al-Farouk
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Dès qu’on franchit le seuil de son cabinet d’architecture Arcade, on se détache du présent et l’on se sent comme envahi par un parfum d’autrefois. Car son bureau est composé de meubles antiques, de tableaux en noir et blanc, de sculptures en plâtre d’artistes naïfs, d’outils épistolaires et d’une bibliothèque archaïque. Il est assis sur un bureau en arabesque, entouré d’une table de réunion, avec plusieurs maga­zines contemporains en français, allemand et anglais. Disciple de Hassan Fathi et construc­teur de multiples mosquées en Egypte et dans le monde arabe, Omar Al-Farouk souligne : « Arcade est la contraction d’Arab Research Center for Architectural Design in Egypt. En fait, cette abréviation résume mon travail et désigne en même temps une forme géométrique propre à l’architecture islamique, très récur­rente dans mes designs ».

L’architecte adore tout simplement les pièces antiques. Son bureau est presque un musée, où se mêlent des motifs de l’architecture islamique, des meubles classiques et d’anciennes portes du Caire. Sur l’une d’entre elles est inscrit en arabe le nom de son ancien propriétaire : Moustapha Ahmad bey Ismaïl. « Ces pièces constituent une part de notre histoire et de nos trésors. Elles portent en elles la mémoire de nos parents et grands-parents ». Puis d’ajouter d’air moqueur : « Les lois du ministère des Antiquités sont illo­giques. Comment empêcher une personne de s’approprier un trésor qui lui appartient, sous prétexte qu’il a plus de 100 ans ? Du n’importe quoi».

Pour sa collection privée regroupant des chefs-d’oeuvre égyptiens et islamiques, déclarés comme antiques, Al-Farouk reçoit tous les ans des visites d’inspection de la part des fonction­naires du ministère des Antiquités. Il signe éga­lement les papiers nécessaires, confirmant sur l’honneur que sa collection est intacte. « Mon amour pour les pièces antiques date de l’en­fance. C’est ce qui m’a attiré vers l’architecture islamique ».

Al-Farouk se rappelle qu’à l’âge de 14 ans, il se rendait avec ses parents aux enchères, tenues dans le Vieux Caire fatimide ou dans les mai­sons des grandes familles égyptiennes. « J’allais souvent fouiller dans les boutiques d’antiquités à Haret Al-Yahoud (ruelle des juifs) ou dans le quartier d’Al-Azhar. Auparavant, l’Egypte autorisait les marchands des bazars à vendre leurs collections. Hatoune et Qattane étaient deux grands vendeurs de l’époque. J’ai même des pièces certifiées, avec des documents signés par ces vendeurs. C’étaient des juifs d’Egypte ».

En marchant dans les rues et les vieux quartiers d’Al-Azhar à la recherche de quelques perles rares, Al-Farouk s’est épris d’architecture islamique. « J’étais souvent impressionné par les arches islamiques du Caire fatimide, qui vous permettent d’avoir une vue panoramique sur toute la rue ». Les rues, les arches, les motifs et les moucharabiehs, tout attirait le petit Omar. Il se sentait à l’aise dans ces endroits mythiques.

Aux beaux-arts, Al-Farouk s’est spécialisé en architecture. « J’ai approfondi mes études et recherches sur l’architecture islamique à tra­vers mes lectures et l’observation. A la faculté, on étudiait plutôt les architectures occidentale et gréco-romaine. Les matières consacrées à l’ar­chitecture islamique étaient indisponibles », évoque le septuagénaire. Pendant ses études universitaires, Al-Farouk se sentait désespéré par le système éducatif, à tel point de décider d’abandonner ses études. Mais une conférence donnée par l’architecte égyptien résidant en Grèce à l’époque, Hassan Fathi, a bouleversé la vie du jeune rebelle. Par respect, il cite toujours le nom de celui-ci précédé du titre « Bey » (titre de noblesse datant de la royauté). « En écoutant Hassan Bey parler de son art et de sa philosophie, j’étais complètement sous le charme. J’ai eu l’impression d’entendre et de voir un homme d’un autre monde, miraculeux ».

Une fois la conférence terminée, Al-Farouk est allé voir Fathi, abordant les problèmes rencontrés à l’université. Le professeur lui a alors conseillé de poursuivre ses études et de passer les vacances d’été en Grèce pour travailler avec lui et se joindre à son équipe. « Hassan Bey est mon mentor et mon professeur. J’aime sa devise: l’architecture au service de la société. Durant les années 1960, le cabinet de Hassan Fathi a été choisi pour déve­lopper et construire les villages d’Al-Qorna en Haute-Egypte. Le design du village était idéal et fut étudié comme un modèle à suivre dans les facultés d’architecture dans toute l’Egypte », dit-il avec fierté.

Après la réussite de l’expérience d’Al-Qorna, l’Organisme du développement du désert a voulu construire 12 villages dans le Sahara égyptien. Le cabinet de Fathi a été choisi pour la construction d’un village à l’oasis de Paris. Après de longues recherches et études, Fathi a décidé de construire un marché, afin de fournir aux habitants une possibilité de gagne-pain.

En citant cet exemple, précisément, Al-Farouk fait un clin d’oeil en allusion aux projets actuels : « Les projets lancés par l’Etat aujourd’hui et la déclaration de la construction de deux millions de logements me déçoivent. En quelques années, ces logements seront désertés. Il faut d’abord réfléchir aux habitants, leur fournir un moyen de gagne-pain, afin d’assurer la durabilité ou la survie de ces agglomérations. Autre problème : pourquoi construire un immeuble de 8 étages, opter toujours pour un prolongement vertical suffoquant? pourquoi ne pas s’étendre horizon­talement ? ».

Al-Farouk reprend ses souvenirs et déplore l’arrêt du projet du village de l’oasis de Paris par le gouvernement de l’époque, « à défaut de budget », a-t-on dit. « Hassan Bey était furieux, triste et désespéré, mais il a continué à tra­vailler et à nous encourager. Malheureusement, sous le régime nassérien, vers la fin des années 1960, le marché s’est transformé en une prison accueillant des détenus politiques ».

Son diplôme en poche, Omar Al-Farouk a été envoyé par son maître Hassan Fathi en Angleterre, afin d’étudier à l’Institute of Appropriated Technology à l’Université de Londres. Le bey aspirait à instaurer un institut similaire en Egypte, afin de construire des vil­lages pour les gens de la campagne, avec des matériaux locaux, empruntés à la nature. « En Angleterre, après avoir terminé mes études, j’ai commencé à travailler en tant qu’architecte et designer. J’ai enseigné l’architecture islamique et les spécificités des maisons arabes à l’univer­sité pendant 11 ans », raconte l’architecte qui adopte, comme son maître, un style qui assure une climatisation naturelle des maisons.

D’un succès à l’autre, Al-Farouk s’est fait un nom dans le monde arabe. Ses projets au Yémen, au Sultanat d’Oman et au Koweït en témoignent. « Je me suis interrogé: quoi après? J’avais besoin de retourner en Egypte et d’ou­vrir mon propre cabinet d’architecture. J’ai voulu suivre les traces de mon maître, faire de l’architecture pour les gens », souligne-t-il.

Dans la banlieue de Maadi, il a choisi un ancien bâtiment pour y installer son bureau. « Les escaliers de cette maison étaient en pierre. Arcade a vu ainsi le jour », raconte l’architecte. Les projets se sont multipliés et Al-Farouk a commencé à construire sa maison de rêve ou Architecture Dream au village de Tunis à Fayoum. « Le travail a duré 21 ans. La maison résume ma passion pour l’architecture isla­mique et pour les oeuvres antiques ». Cette mai­son est devenue aujourd’hui un point de repère à Fayoum.

Arcade a ensuite élargi ses domaines de spé­cialisation. Ce n’est plus un simple cabinet d’architecture et de design, mais plutôt un centre de recherche, avec une galerie d’art contempo­rain et une école d’art. « Ma fille, diplômée des beaux-arts, poursuit mon parcours. Elle dirige la galerie et l’école artistique, qui s’adressent essentiellement aux jeunes artistes contempo­rains ». La galerie a été inaugurée en 2017 par une exposition du peintre Mohamad Abla. « J’étais de la même promotion que Chadi Abdel-Salam, Adam Hénein et Salah Jahine. Nous avons partagé le même atelier à Imbaba pendant de longues années. J’ai toujours eu de bonnes relations avec les artistes et les plasticiens. L’architecture est en fait la mère de toutes les formes d’art », déclare Al-Farouk. Quant à son fils Ali, égale­ment architecte, il s’est lancé dans des études musicales au Canada et est devenu professeur là-bas. Le père n’a aucun regret, il se sent fier d’avoir des enfants aussi passionnés que lui.

En 2014, Al-Farouk a achevé la restauration de la mosquée de Sidi Hassan Al-Chazli, située entre la vallée Homaysséra, Assouan et Marsa Alam. Un projet dans lequel il a mis 15 ans de travail, rendant hommage à un descen­dant du prophète Mohamad. « Ce genre de travail, je le fais bénévolement. Je me rappel­lerai toujours la première fois que j’ai visité l’ancien site. L’odeur du musc se dégageait de la terre. Les mausolées de saints abondent de miracles », dit-il avec un sourire de gratitude. Al-Farouk se prépare en ce moment à construire une nouvelle mosquée dans les nou­velles zones du Caire. Un autre défi à relever. Il n’en révèle pas les secrets.

Jalons:

2 novembre 1942 : Naissance au Caire.
1959 : Rencontre avec Hassan Fathi.
1963 : Diplôme en architecture de la faculté des beaux-arts.
1968 -1979 : Séjour d’études à l’Univer­sité de Londres.
1978 : Retour en Egypte et fondation du cabinet Arcade.
2014 : Fin de la restauration de la mos­quée Sidi Aboul-Hassan Al-Chazli.
2017 : Ouverture de la galerie et de l’école artistiques d’Arcade.

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