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Fatma El Boudy : Le travail avec le sourire

Soheir Fahmi , Dimanche, 17 décembre 2017

Fatma El Boudy est la fondatrice et la directrice de la maison d’édi­tion El-Ein, qui est devenue, au fil des années, l'un des grands noms de l’édition. Portrait d’une femme qui rayonne de positivité.

Fatma El Boudy

Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on pénètre dans la maison d’édition El-Ein (l’oeil), c’est l’at­mosphère qui y règne. La fonda­trice et la directrice, Fatma El Boudy, accueille avec simplicité et bonne humeur ses invités et tous ceux qui y travaillent. Cette femme, qui s’est lancée avec cou­rage dans le monde difficile de la publication de livres, a choisi de gérer son monde et ses défis en mettant en avant les relations humaines. « Je ne peux pas tra­vailler avec des personnes que je n’aime pas », affirme-elle avec le sou­rire. Dans toutes les salles de la maison d’édition, qui a su se forger une place parmi les grandes maisons d’édition en Egypte, on privilégie les relations humaines et le travail d’équipe. Très vite, on se sent chez soi dans cet appartement du centre-ville qui, toutefois, grouille de gens et de travail. Fatma El Boudy y est pour beaucoup. Et pourtant, l’édi­trice, qui y a fait ses premiers pas en se lançant dans ce domaine avec la fondation d’El-Ein dans les années 2000, vient d’un monde bien différent. D’ailleurs, c’est là l’une des clés de la personnalité de cette femme, qui aime explorer des terrains nouveaux et relever des défis.

De formation scientifique, Fatma a obtenu un doctorat avec une thèse en biochimie en 1990 et a travaillé dans ce domaine de nom­breuses années, avant de créer El-Ein. Et comme à son habitude, elle cumule les activités. Elle a continué son chemin scientifique en tant que conseillère tout en s’ouvrant un nouvel horizon dans l’édition. Elle aime se jeter à l’eau, mais sait garder la tête à la surface. Lors d’une soirée entre amis, Mohamad Mostaguir, le grand scientifique, lui propose de fonder une maison d’édition pour la publi­cation de livres scientifiques. Un élément qui manque en Egypte. Et Mostaguir d’ajouter en riant : « Nous faisons de la recherche et nous écrivons, sans pouvoir être publiés ». Et Tayeb Saleh, le grand écrivain soudanais, qui était de la compagnie, d’ajouter : « Mon pro­chain livre, je te le donne à publier ». Ces paroles ne tombent pas dans l’oreille d’une sourde. L’idée commence à germer. Et elle fonce. Elle choisit le mot El-Ein pour le nouveau-né, qui va avancer à pas de géants. Elle explique : « L’appellation d’El-Ein se justifie, car on dit en arabe : l’oeil est le miroir de l’âme ». Et c’est en s’aidant de toutes les forces de son âme qu’elle avance dans la vie.

Fatma El Boudy interrompt le dialogue pour décrocher son por­table, qui n’arrête pas de sonner. Elle répond au téléphone, donne une information, commande un café, vous invite à manger un bis­cuit aux dattes et continue de raconter avec limpidité et transpa­rence. Elle sait vous donner le sentiment d’être tout entière dans son dialogue avec vous. Elle pour­suit : « Je suis une scientifique, mais je ne suis pas loin de la publi­cation des livres. Mon père tra­vaillait dans l’impression commer­ciale ».

Très vite, El-Ein va toucher à d’autres domaines. Les romans de jeunes écrivains, qui sont primés à travers ses publications, la poésie, qui occupe une place de plus en plus grande, les livres de recherche ainsi que les grands noms de la littérature arabe et égyptienne. « Nous publions 70 livres par an, au rythme de cinq livres par mois », fait remarquer Fatma El Boudy en souriant. Les titres de qualité obtiennent des prix en Egypte et dans les pays arabes. Et pourtant, combien difficile est la diffusion de livres dans les pays arabes ! Les obstacles sont nom­breux, dont les coûts, les législa­tions différentes d’un pays à l’autre et la censure. En plus, avec la hausse des prix du papier, les choses se sont encore compliquées. Néanmoins, Fatma El Boudy projette de diffuser ses livres, cette année, dans tous les gouvernorats d’Egypte. Elle vient d’accomplir un voyage en Haute-Egypte, à Minya, où on lui a décer­né un prix. Elle est admirative des jeunes qui se cultivent et de l’intel­ligence d’une nouvelle génération qui nous surprend. Ceci, en plus de ses pérégrinations dans tous les salons du livre à travers le monde pour ouvrir de nouveaux horizons et faciliter les échanges. Sans oublier la traduction de livres importants, comme ceux de Hopkins et d’autres. Et la gestation d’un nouveau projet de livre électronique. « C’est l’ave­nir du livre, et il ne faut pas man­quer l’occasion de le réaliser ».

Toutefois, l’éditrice sait déléguer et choisir ses adjoints. Certains d’entre eux, des jeunes, affirment en riant : « Fatma El Boudy nous a adoptés ». C’est le charme de cette femme qui, tout en étant une femme d’affaires d’une grande force, n’ou­blie pas sa féminité. Belle, elle assume son âge et a de petits-enfants qu’elle adore. Elle s’occupe avec soin de sa tenue et sait jouir de la vie comme une enfant. « Parfois, je me comporte avec l’espièglerie et l’ingéniosité de la gamine qui est en moi », dit-elle. Et pour­tant, dans son métier, les femmes ne sont pas nom­breuses, et lorsqu’elle a à affronter le monde des hommes, notamment dans les lieux d’impression des livres, elle sait conquérir son monde avec le sourire et l’approche humaine. Mais méfiez-vous, il ne faut pas minimi­ser sa force tranquille et sa persévé­rance !

Originaire de la ville méditerra­néenne d’Alexandrie, Fatma El Boudy y passe son enfance et y effectue ses études. Elle y obtient ses diplômes et se marie dès les années d’université avec un collè­gue, puis élève ses deux filles, qui vivent en ce moment à l’étranger avec leurs maris. « Mes filles ne travaillent pas, elles préfèrent éle­ver leurs enfants », constate-t-elle, sans jugements de valeur. Bien que son mariage se soit soldé par un échec et que sa vie n’ait pas tou­jours été facile, elle garde son opti­misme et son âme d’enfant, qui ne la quittent pas. Etant l’aînée de la famille et la seule fille, elle a été très choyée dans son enfance par sa mère, qui l’a initiée à la culture et à l’ouverture au monde. Ses parents ont forgé en elle cette confiance et cette sérénité. D’ailleurs, à Alexandrie, elle ne vivait pas dans une famille cellulaire, mais dans une prolongation de la famille, où les grands-mères, les tantes et les oncles apportaient amour et récon­fort. « Cela n’est plus souvent le cas aujourd’hui, notamment pour mes enfants », regrette-t-elle. D’ailleurs, elle a quitté la ville d’Alexandrie, car « malheureuse­ment, l’Egypte est un pays centra­lisé et tout se passe au Caire. Les contacts sont plus faciles au Caire, qui grouille de toutes parts ».

Presque tous les matins, avec un groupe d’amies du club, elles papo­tent, échangent les nouvelles des unes et des autres, et du monde, et surtout font de la marche pour garder la forme et pouvoir affronter les longues journées de travail et d’occupations. Entre ses nombreux amis, les voyages de travail, et surtout ses petits-enfants, Fatma El Boudy ne ressent pas le besoin d’un conjoint, car elle n’a aucun vide affectif à combler.

Fatma El Boudy vous regarde et dans un sourire, vous informe de son nouveau projet : El-Ein étant maintenant stable, elle veut faire du théâtre. « Il n’y a pas d’âge pour réaliser un désir ancien », déclare-t-elle avec cette grande liberté intérieure qui vous subju­gue. Son père lui avait interdit de participer à la troupe théâtrale de l’université. Il est temps de le réa­liser, ce souhait. « Mieux vaut tard que jamais », lance-t-elle avec détermination. Elle a donc contacté un metteur en scène ami, Khaled Galal, qui va lui donner une chance. Elle va foncer comme à son habitude, faisant fi des consé­quences, ne pensant qu’au plaisir de jouer. « On verra ensuite où cela va me mener, c’est une chose que j’ai très envie de faire ». Fatma El Boudy est le contraire de ces femmes qui se plaignent que la vie est dure et ne cessent de remâcher le passé et de penser à la vieillesse. Elle vit dans l’appréciation des moments précieux d’une vie qui demeure très courte malgré tout.

Jalons

1977 : Diplôme en sciences de l'Université de Aïn-Chams.
1984 : Sélectionnée par la version de la revue Forbes parmi les cent femmes d'affaires les plus influentes du monde arabe.
1990 : Thèse de doctorat en biochimie, Université de Aïn-Chams.
2000 : Fondation de la maison d'édition El-Ein.
2007 : Deux ouvrages qu'elle a édités figurent sur la liste du Prix Sawirès.
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