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Georgette Gebara : Ballerine corps et âme

Mireille Bridi, Mardi, 28 novembre 2017

Membre honoraire permanente de l’Institut international du théâtre, Georgette Gebara est l’icône du ballet classique au Liban. Son parcours, d'abord en Egypte puis au Liban, est des plus exceptionnels.

Georgette Gebara
Georgette Gebara, icône du ballet classique au Liban.

Aurore dans La Belle au Bois Dormant, Odette dans Le Lac Des Cygnes, ou encore Cendrillon, l’histoire de Georgette Gebara avec le ballet est une histoire de passion et de vie. Une passion certes, mais aussi une formation, une technique et des expériences ... Un dévouement total. « Le ballet classique est un art et un savoir, affirme-t-elle. C’est la clé qui permet d’ouvrir toutes les portes ». Ainsi parle Georgette Gebara, la « Jabbara » (géante), armée d’une forte déter­mination et d’obstination, de persévérance et de ténacité. Des qualités dont elle s’enorgueillit fièrement et qu’elle a réussi à cultiver tout au long de sa carrière.

La Ballerine nous accueille chez elle à Hazmieh, banlieue de Beyrouth. Menue de taille, un sourire gracieux souligne son visage rayonnant de joie de vivre. Un coeur d’enfant, une maturité de sage, un amalgame de sponta­néité et de profondeur. Un « Ahlan wa sahlan » de bienvenue sorti tout droit de son coeur suffit pour donner le ton à l’entrevue. Dans son salon trône majestueusement une vitrine garnie de hiboux tous genres et matériaux confondus. « Le hibou est un symbole de sagesse et de connais­sance », s’empresse l’hôtesse de remarquer, ajoutant : « Cette collection a été recueillie au fil de mes voyages, je l’enrichis toujours ». Des hiboux dans la vitrine, des plantes et des livres partout, alors que les olives de grand-mère, « Zaytoun Setti », sa recette préférée à base d’ail, olives vertes, céleri, poivron jaune, tomates qui, mijotés à feu doux, exhalaient leurs arômes, imprégnant le lieu.

Autant de hobbies qui font le grand bonheur de Georgette surnommée aussi la conteuse d’his­toires, « hakawatiya ». Et voilà notre ballerine bien partie pour entamer sa merveilleuse his­toire. « Je suis née d’un père libanais et d’une mère moitié française, moitié espagnole, dit-elle. J’ai appris l’espagnol de ma mère, le grec de ma grand-mère, l’anglais, l’arabe et le français à l’école du Bon Pasteur à Choubra, au Caire, où j’ai grandi. La capitale égyptienne était une ville très cosmopolite à cette époque, et c’est là où j’ai également appris l’italien, entre deux flirts. L’adage ne dit-il pas que lorsqu’on a bu de l’eau du Nil, on reste toujours attaché à l’Egypte ? », ajoute-t-elle toute joyeuse.

De l’école, elle garde le souvenir de Loubna Abdel-Aziz, la future star du ciné­ma, et de sa soeur Lamis Abdel-Aziz, « Sousou pour les intimes, qui était ma meilleure amie ».

Elle a 8 ans quand elle monte pour la première fois sur scène et récite le poème « Johnny Head-in-Air ». Ovationnée de toutes parts, elle était plutôt froissée « parce que le public me félicitait pour le poème récité et négligeait le chat couleur saumon que ma mère avait minutieusement brodé à la main sur la poche de ma veste », lance-t-elle.

A 14 ans, elle intègre l’école de ballet de Friedel Nichols, une Allemande, « la meilleure école de danse en Egypte », souligne-t-elle. Un orchestre de douze à quinze personnes accompagnait tous les spectacles. Côté études, Georgette Gebara, surdouée et trop jeune pour être admise à l’université, fait ses études secon­daires par correspondance à l’Université d’Ox­ford, et obtient des diplômes en lettres françaises et anglaises. Poursuivant son petit bonhomme de chemin chez Nichols, elle devient amie avec Maria Caridhias, alias Nadia Gamal, et Mahmoud Réda qui seront ses camarades et amis pour la vie. « Nous avons grandi ensemble et reçu une excellente formation à l’école de Mme Nichols. Plus tard, chacun de nous a choisi sa voie : Nadia est allée vers la danse orientale, l’illustre Mahmoud a créé sa troupe folklorique en Egypte, et moi vers la danse classique, ma passion », relate avec engouement Georgette Gebara. « L’important est que nous sommes restés toujours en contact, liés par une amitié solide. Il n’y a pas longtemps, Mahmoud a créé une chorégraphie pour le spectacle d’Amani, chez moi, à l’Ecole Libanaise du Ballet. D’ailleurs, un portrait de moi et une autre photo dansant en tenue de ballerine aux pyramides ont été pris par Mahmoud Réda lui-même », pour­suit-elle fièrement.

Elle se souvient toujours de son premier spec­tacle avec Nichols. C’était au cinéma Rivoli au Caire. « Un grand théâtre où j’ai dansé en pré­sence du représentant officiel du président Mohamad Naguib », dit-elle avant d’ajouter : « Le hasard fera plus tard que je donne mon dernier spectacle en Egypte devant le président Gamal Abdel-Nasser ». C’était en 1956. Un camion de l’armée égyptienne emmène les danseuses de Madame Nichols au Club des officiers pour présenter devant le Raïs une danse saïdienne et une autre pharaonique. Des perfor­mances de Choukoukou et d’Oum Kalsoum figuraient éga­lement au programme. Un appel gouvernemental est lancé par la suite, demandant à toutes les écoles de danse de la capitale de participer au concours organisé à l’Opéra du Caire, en présence des membres du gouverne­ment et de Serge Lifar, le célèbre danseur fran­çais. L’objectif ? Recenser les bons éléments pour ouvrir une école nationale de danse.

Le résultat était positif et l’école de Mme Nichols a raflé le premier prix. « J’étais la vedette de la danse pharaonique, confie Georgette. Pour jouer ce spectacle, ils nous ont prêté les costumes originaux de l’opéra Aïda de Verdi, composé pour l’ouverture du Canal de Suez ».

D’où tient-elle cet amour de la musique ? « De mon père, répond-elle, Elie Gebara, un fin mélomane qui avait une station de radio au Caire. Tous les premiers samedis du mois, il donnait un concert de musique classique dans le jardin de l’All Saints Cathedral, au bord du Nil. Mais jusqu’à mon départ d’Egypte en 1956, relance-t-elle, l’antenne de la Radio Fouad de mon père était encore installée sur le toit de l’immeuble Chawarbi au Caire. J’aimerais savoir si aujourd’hui elle y est tou­jours », interroge-t-elle avec insistance. A 18 ans, elle retrouve son pays d’origine, le Liban. « A cet âge, j’avais toute la vie devant moi pour révolutionner le monde de la danse », avoue-t-elle. A l’école de danse de Mme Sylva, elle tient le rôle de Cendrillon devant la Première dame libanaise à l’époque, Zalfa Camille Chamoun. Le hasard a voulu qu’elle donne plus tard, en 1988, La Dernière Répétition, devant le président de la République libanaise Amine Gemayel, à Beit Al-Moustaqbal. Ce soir-là, elle crée la surprise en déposant à la fin du morceau ses pointes « au bord de la scène, puis j’ai invité l’une de mes danseuses à prendre ma place dans la danse, faisant ainsi mes adieux à la scène », dit-elle. La Ballerine a tenu à quitter honora­blement la table, laissant au public une belle image de son artiste. Et les souvenirs affluent.

A Beyrouth, Georgette Gebara est assistante et secrétaire exécutive aux Nations-Unies. Elle écrit aussi des critiques dans le Daily Star sur les ballets étrangers qui venaient se produire au Liban. Elle n’oublie jamais sa première ren­contre avec Béjart, au Festival de Baalbeck. « J’ai dû annuler mon voyage en Italie, où j’étais invitée, pour travailler avec lui. Nous étions cinq ballerines, et je me voyais déjà vedette debout sur le rocher, tenant un étendard devant le temple de Bacchus ». « Pour la petite histoire, reprend-elle, j’étais logée à l’hôtel Palmyra et je découvre, stupéfaite, que Béjart ne voulait pour le spectacle que des figurants. Remarquant ma déception, il nous demande de venir le lendemain en tenue de ballet pour pré­senter Les Quatre Fils Aymon, en présence de Jean Marais qui avait une récitation poétique à faire ». Durant ces répétitions, Béjart improvise une chorégraphie de cinq minutes pour la troupe libanaise. Le côté comique de la situation est que Georgette Gebara, ayant conservé son rôle sur ce rocher, se voit soudain voler dans l’air, en plein spectacle, soulevée par le danseur.

Toutefois, le décès de son père, en 1960, pré­cipite sa décision de fonder sa propre école de danse. En 1964, la première Ecole Libanaise de Ballet voit officiellement le jour, par décret pré­sidentiel. En 1972, elle inaugure sa deuxième école à Tripoli, suivie en 1985 d’une troisième à Zouk Mosbeh. Toutes ces écoles verront défiler les compagnies internationales de danse, à l’ins­tar de Maurice Béjart, du Ballet de Biarritz ou encore du Kremlin State Ballet. « Je leur offrais le local et donnais des workshops invitant tous les établissements de danse à y participer », dit-elle. C’est durant un week-end passé aux cèdres, en 1976, qu’elle rencontre Robert Arida. Un 14 février, le jour de la Saint-Valentin ... Il devien­dra son époux affectueux qui va l’encourager dans sa grande aventure de création de la troi­sième Ecole Libanaise de Ballet, sur 1 200 m2, alors que le Liban était en pleine guerre. « Je le respecte, confie Georgette, parce qu’il m’a acceptée telle que je suis. Il est resté à mes côtés et m’encourageait lorsque je faiblissais ».

Créative et innovante, Georgette dans ses cho­régraphies. La preuve, Al-Tariq, une danse qu’elle a créée. « Lors d’une conférence donnée aux Etats-Unis sur la danse au Liban, raconte-t-elle, plutôt que de parler, j’ai proposé de danser pour la paix. Al-Tariq est un message de paix dansé plutôt que parlé. Ce ballet est axé sur les mouvements de prière des trois religions mono­théistes nées dans notre partie du monde », pré­cise-t-elle.

Etait présent à ce symposium Walter Terry, grand historien et critique d’art. Impressionné par la danse, il demande à la revoir le lendemain pour une seconde performance avant de formu­ler sa critique. C’est lui qui lui suggère le titre The Way, Al-Tariq, et l’affublera du titre : « Do you know that you are a real story teller ? ».

Tout aussi mémorables également, les choré­graphies qu’elle a créées pour sept poèmes arabes, dont l’un est de Nizar Kabbani, la langue arabe étant bien rythmée et cadencée. « L’expérience était unique, reprend-elle, la première du genre au Moyen-Orient. J’ai créé ces chorégraphies pour le programme Shiir présenté par Nahida Fadli El-Dajani et produit par la télévision jordanienne. Le programme a été filmé à Télé Liban par le réalisateur, Simon Asmar. Je faisais avec Nahida un programme sur le ballet à Radio Liban, se rappelle Georgette. Nahida récitait ses poèmes et moi je sentais mon corps bouger ». L’émission a été diffusée dans tous les pays arabes. La ballerine n’oublie pas d’évoquer aussi Nachwa (euphorie), une autre chorégraphie qui lui tient à coeur et qui a été présentée en 1994 à l’hôtel Bustan. « Une oeuvre de seize stations qui représentent un état d’ex­tase chez l’être humain, tels le mariage, la prière ... », confie-t-elle.

Des souvenirs et des histoires que Georgette a voulu immortaliser dans un ouvrage relatant sa relation avec la danse. « Je rêvais de piloter un avion, mais la guerre a éclaté et je me suis contentée de voler sur scène », sourit la Ballerine qui ouvre aujourd’hui une nouvelle page de son livre de vie.

Jalons

1956 : Diplôme en lettres françaises et anglaises de l’Université d’Oxford, Royaume-Uni.

1964 : Fondation de la première Ecole Libanaise de Ballet à Hamra, Beyrouth.

1972 : Création de la deuxième école de ballet à Tripoli, Nord-Liban.

1985 : Ouverture de la troisième école de ballet à Zouk Mosbeh, nord de Beyrouth.

1988 : La Dernière Répétition, interprétée devant le président libanais Amine Gemayel.

1993 : Membre fondateur du syndicat des Artistes professionnels au Liban.

1999 : Honorée par la Fondation du Japon.

2011 : Membre honoraire à vie de l’International Theatre Institute Worldwide.

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