On n’est pas obligé de fouiller dans les livres écrits par des spécialistes du développement humain, ni d’écouter les paroles des hommes de religion pour trouver une bonne définition du terme « croyance » ! Il suffit de passer quelques minutes avec ce jeune homme pour en comprendre le sens. A vrai dire, pour découvrir ce qu’est « une vraie vie » et se remettre en question.
Nul n’est à l’abri d’un accident de vie. Un événement inattendu qui rompt l’équilibre, finalement fragile, de notre existence. Cependant, personne n’est capable de remonter la pente. Amr Abdou, lui, a bien réussi.
Sur son fauteuil roulant, Amr Abdou, jeune homme aux yeux vifs, nous reçoit dans l’un des bureaux de Dar Al-Mona, un hôtel conçu spécialement pour accueillir les personnes handicapées. « Cet endroit a remplacé ma maison. En effet, je m’y sens vraiment à l’aise. Je ne suis pas rentré chez moi depuis l’accident », explique-t-il en toute simplicité.
Amr avait à peine 25 ans lorsque tout a basculé. Un accident terrible sur la route désertique de la Côte-Nord a fait perdre à son cousin la vie. Amr, quant à lui, était dans un état grave, entre la vie et la mort. « Avec une fracture dans le cou, la cage thoracique, et une lésion de la moelle épinière, mon coeur s’est arrêté de battre à quatre reprise », raconte Amr Abdou, se rappelant de ce moment de peine et de chagrin. Et d’ajouter : « J’ai vécu une scène tragique, très commune au cinéma égyptien. Un jour après avoir retrouvé ma mémoire, suite à une amnésie temporaire, le médecin était venu me dire que je suis devenu tétraplégique. A sa surprise, je lui ai répondu : Dieu merci. C’est tout ! ». Et avec un grand sourire, il poursuit : « Il est sorti chercher trois psychiatres … ».
Etre confronté à une situation pareille et accepter l’idée d’une perte complète de la motricité des bras et des jambes n’est pas une chose évidente. Une fois la dépression guérie, Amr Abdou passe à un état d’introspection. « J’ai ressenti que je suis au milieu d’un pont. La partie que j’ai déjà parcourue s’est écroulée. Je n’ai que deux choix : soit rester à ma place, soit poursuivre mon trajet pour atteindre l’autre bout du pont. J’ai décidé d’opter pour le deuxième choix ». Le jeune homme ne se laisse pas abattre. Il a donc rapidement transféré toutes ses frustrations et son énergie dans le domaine du sport. Pourtant, se remettre à l’eau ne s’est pas imposé tout de suite. Normal. Boxeur à l’origine, il ne savait pas nager et ne s’intéressait absolument pas à la natation. Jusqu’au jour où le défunt brigadier, Yousri Abdel-Aziz, le grand champion handisport en natation et basket, lui reconnaît un potentiel de grand nageur. « Il m’a tant encouragé, tout en me répétant la citation suivante : Swimming is the only sport, everything else is just a game (la natation est le seul sport, tout le reste n’est qu’un jeu). Dorénavant, la natation devient un grand amour pour moi ».
Après deux ans d’entraînement, l’ex-boxeur se transforme en un vrai nageur et décide de participer au Championnat national en 2015. « Cette première perte a été mon premier gain. Il faut apprendre à perdre pour apprendre à gagner … C’est justement la perte qui m’a appris qu’il faut se remobiliser pour réussir ».
Depuis, le grand nageur n’a cessé de remporter des médailles et de battre des records. Etant donné qu’il est le seul Egyptien classé SB1 (une classification mondiale des nageurs ayant des problèmes sévères au niveau des quatre membres et capables d’une utilisation minimale de leurs épaules seulement. Les nageurs de cette classe utilisent d’habitude un fauteuil roulant et sont dépendants. Au niveau mondial, ils sont seulement 8, Amr inclus), il a accepté d’entrer en compétition avec les classes SB2 et SB3 (deux classes dont le handicap est moindre) au Championnat national en février 2017. Surprise : il y a décroché la médaille d’or. Avec un sourire radieux, ce personnage atypique ne cesse d’irradier l’enthousiasme. Il a choisi le sport pour s’accomplir et rêve de participer aux jeux paralympiques en 2020.
Le handicap n’est pas un handicap, puisqu’il ne rend pas incapable. A la salle de gymnastique, il suit quotidiennement une routine stricte : 5 heures environ d’entraînement et 4 heures dans l’eau. On lui attache les poids à la main avec des pansements, qu’il doit enlever par la suite grâce à un mouvement de l’épaule. « Je me suis fait opérer en Chine, en Arabie saoudite, en République tchèque et j’ai été hospitalisé en Egypte. Je me suis rétabli grâce à Dieu et à l’aide de très bons médecins. Seuls mes yeux bougeaient, alors que tout le reste était figé. Maintenant me voilà, je respire, je parle et je suis capable de réussir ». En effet, Amr Abdou démontre que la beauté ne se limite pas à un corps parfait, elle est plutôt celle d’un « beautiful mind ». Il souligne : « Il faut dire aussi que mes parents sont ma nouvelle colonne vertébrale. Ils ne cessent pas de m’encourager à réaliser mes rêves, sans jamais me laisser sentir le poids de mon handicap. Alors, comment, après tout cela, sombrer dans le désespoir et être incapable de savourer la vie ? ». Ses paroles donnent des larmes aux yeux. « J’aurais bien aimé vous passer le kleenex ! », dit-il gentiment et avec un grand sourire, ajoutant tout de suite pour décontracter l’ambiance : « Je n’ai même pas pleuré ! Imaginez-vous ! ».
En effet, les paroles de Amr Abdou et sa façon d’être impressionnent beaucoup. On se retrouve ému, non pas à cause de sa situation, mais plutôt car il nous fait sentir notre faiblesse, sinon notre fragilité. « Déjà, il faut accepter son statut … Moi, j’ai eu de la chance de l’avoir vite fait, de m’accepter, de m’habituer … mais aussi d’insister sur le fait qu’un jour je quitterais ce fauteuil ». Dr Magdi Khaïri Samra, neurologiste et propriétaire de Dar Al-Mona, explique de son côté : « Autrefois, on disait que la cellule nerveuse, une fois morte, ne reprend plus vie. Aujourd’hui, on confirme que la cellule saine remplace la cellule morte, sous deux conditions : concentration et répétition. Amr donne un bon exemple d’insistance et de persévérance ».
Le fait d’être sourd n’a pas empêché Beethoven de devenir un compositeur de génie, et la tétraplégie n’a pas empêché Stephen Hawking, non plus, de devenir un grand physicien et cosmologiste. Les handicapés n’existent pas, dit-on, il s’agit plutôt de personnes en situation de handicap. Ce sont les conditions qui les entourent qui constituent un obstacle quant à leur adaptation à la vie de tous les jours. « Il faut absolument que les mentalités changent. On continue encore en Egypte à regarder les personnes en situation de handicap autrement. Dans la rue, au marché et partout, on a tendance à concentrer son regard sur son fauteuil roulant ou sur sa prothèse auditive, etc. On est incapable d’accepter la différence et d’apprendre comment agir avec ces gens ». Amr Abdou avoue lui-même avoir vécu dans un cercle clos avant l’accident. « Je ne faisais jamais attention aux handicapés. Ma vie était partagée entre mon travail et la boxe », raconte-t-il. Ayant une licence en droit, il s’engage dans une réflexion sur les droits des personnes en situation de handicap en Egypte. « Il faut changer le statut des personnes en situation de handicap en Egypte de manière à cesser d’en faire des citoyens de deuxième degré. De nouveaux articles de loi doivent être ajoutés, des anciens sont à modifier ou doivent être appliqués avec une plus grande rigueur ». L’Etat doit agir efficacement ou de manière plus positive vis-à-vis de ces personnes. Amr Abdou vient de décrocher une médaille d’or à Berlin, à la sélection finale pour le Championnat du monde, en juillet dernier. Il représentera l’Egypte bientôt au championnat qui va se dérouler au Mexique. Et l’Etat reste sans aucune réaction. « L’équipe nationale des sourds-muets est classée troisième sur le plan mondial, et personne ne s’en rend compte. Aucun soutien ne leur est accordé ».
Amr Abdou préfère agir positivement : il a pris part à Helm (rêve), une ONG qui s’est engagée depuis 2014 à mettre en oeuvre une politique commune et volontariste en matière d’aide et de soutien, permettant à des personnes en situation de handicap de mener une vie indépendamment des autres. Et ce, en compensant, par des mesures adaptées, les conséquences du handicap dans leur quotidien. « La vie est un chemin sur lequel on doit avancer sans jamais regarder en arrière ». C’est ainsi qu’il résume simplement sa conception de la vie. Chaque jour est un nouveau début, chaque réussite impose de nouveaux objectifs à réaliser. Nager, écrire un livre sur son handicap, animer un blog humoristique : Kelma Wa Noss (un mot et demi), l’agenda de Amr est bien garni. Il se laisse inspirer aussi par des films comme In Time, film américain de science-fiction sorti en 2011, écrit et réalisé par Andrew Niccol. Le temps est le vrai protagoniste dans ce film. Les événements se déroulent en 2020. Le temps devient la nouvelle unité monétaire mondiale payant factures, denrées alimentaires, etc. L’homme devient génétiquement modifié, de façon à ne pas vieillir après l’âge de 25 ans. « A partir de cet âge, un ordinateur intégré à l’avant-bras de chacun, crédité d’une année, se met en marche : s’il tombe à zéro, l’individu meurt. Ce compteur est rechargeable au moyen d’appareils se plaquant sur le bras. On gagne du temps sur cet ordinateur par son travail, par la charité, la solidarité entre amis ou en famille, etc. C’est un film à voir absolument ! », raconte-t-il, les yeux brillants. Et d’ajouter : « Mon compteur a été chargé … C’est à moi de le recharger dorénavant ! ».
Jalons :
21 septembre 1985 : Naissance au Caire.
2006 : Licence de droit, Université de Aïn-Chams.
2015 : Participation au Championnat de la République.
2016 : Troisième place à la Coupe d’Egypte.
Juillet 2017 : Médaille d’or à la sélection de Berlin pour le Championnat du monde.
26 novembre 2017 : Championnat du monde de la natation au Mexique.
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