Réputé pour son courage et son sens révolutionnaire, ses oeuvres n’ont pas pour but de divertir, mais plutôt de réfléchir et de débattre. Serein et calme, il ne pense que cinéma, ne parle que cinéma et ne défend que son cinéma. Réalisateur, écrivain et cadreur, le Libanais Ziad Doueiri qui s’illustre par son ton méditatif, artistique et intellectuel, est une figure à part dans le cinéma libanais contemporain. Connu pour son esprit dynamique, Doueiri était bien heureux de se retrouver dans la ville de Gouna, pour assister à la projection de son film qui met en vedette un bouquet d’acteurs. C’était là qu’il a reçu deux prix : le prix Variety pour le meilleur film de l’année et l’Etoile Argentée de Gouna.
« Je suis super ravi pour l’accueil assez chaleureux réservé par le public et des critiques égyptiens à mon film. J’ai tant attendu à connaître la réaction d’un tel public assez cultivé et cinéphile, et le résultat était impeccable avec le prix du Festival de Gouna, ce nouveau-né des festivals arabes et qui est digne de toute estime et respect », annonce Ziad Doueiri sur un ton plein de joie et de reconnaissance.
Avec Al-Qadéya 23 (L’Insulte), beau film contemplatif sur la réconciliation et la citoyenneté arabe, Ziad Doueiri s’impose — de plus en plus — comme un réalisateur à suivre et à respecter. Prise dans son ensemble, son oeuvre témoigne autant d’un souci d’innover dans les pratiques et les formes, tout en s’attachant à raconter et à réparer les maux de l’humanité en les dévoilant et en les discutant ouvertement sur l’écran.
La passion du cinéma dévore Ziad Doueiri dès sa jeunesse. Il lui semble qu’il n’a jamais rien pu faire d’autre à part tenir une caméra. Ce lien physique et mental qu’il a avec le cinéma se traduit par une fusion totale avec sa coscénariste et ex-compagne, Joëlle Touma, avec laquelle il travaille toujours. Et puis, il faut le voir sur un plateau, son énergie, sa manière de ne pas rater un détail, de tout contrôler. « Ma façon de filmer est en effet très naturelle, ou plutôt très organique, je ne veux pas en faire une philosophie ».
Né en 1963, Ziad Doueiri a vécu au Liban jusqu’en 1983, date du déclenchement de la guerre civile, où Beyrouth était alors en pleine guerre civile. A 18 ans, il fuit la folie qui sévit au Liban et part étudier le cinéma aux Etats-Unis, à San Diego en Californie, où il suit des cours indépendants à l’UCLA. Cadreur de formation, il complète ses études aux Etats-Unis et travaille comme cadreur sur des films indépendants américains et français. Là-bas, il tourne quelques films courts en 8 et 16 mm. Cependant, Doueiri se spécialise dans le travail de caméraman, tandis que sa vie est partagée entre la France et les Etats-Unis.
La chance joue un rôle fatal dans la vie du jeune Ziad. Il fait la connaissance d’un groupe technique, avec lequel il vit ses expériences cinématographiques les plus brillantes, puisqu’il il accompagne Quentin Tarantino dans la première partie de sa carrière, participant à Reservoir Dogs, Pulp Fiction, Groom Service ou encore Jackie Brown en tant qu’assistant caméraman ou cadreur deuxième équipe. Il fait également partie du tournage d’Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez, le réalisateur et musicien américain d’origine mexicaine. Une fois les dés jetés, Ziad Doueiri devient un collaborateur privilégié du fameux réalisateur américain Quentin Tarantino, ce qui lui offre une grande renommée, mais avant tout une très grande expérience.
« J’ai appris beaucoup de choses en travaillant avec Tarantino », confie-t-il. « Cette période de ma carrière m’était comme une école où j’ai tout appris et pratiqué pour pouvoir franchir, après, le monde du cinéma international. Je me considère comme très chanceux d’avoir eu cette opportunité au tout début de ma carrière, c’est une chose rare pour les cinéastes libanais et arabes », souligne le cinéaste.
Entre 1987 et 1998, il travaille comme assistant-réalisateur sur de nombreux projets comme Piège en haute mer, un film réalisé par Andrew Davis avec Steven Seagal et Damian Chapa ou Les Contes de la crypte, une série télévisée américaine en 93 épisodes de 24 minutes, créée d’après une bande dessinée.
Après avoir appris au côté de Tarantino, Doueiri se lance dans l’écriture et la réalisation de son premier long métrage : West Beyrouth (Beyrouth ouest), en 1998, qui raconte l’histoire de deux jeunes musulmans qui veulent réaliser un film dans un Beyrouth en pleine guerre civile. Récompensé du prix François Chalais lors de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 1998, le film est interprété par Rami Doueiri, frère de Ziad.
« Je ne peux pas oublier l’accueil et l’appui assez chaleureux que j’ai rencontré avec mon film par le public cannois. C’était le coup de main le plus important pour prendre le bon itinéraire », souligne le cinéaste.
Mais il faut ensuite attendre l’année 2004 pour retrouver un film de Doueiri sur les écrans. Ce film c’est Lila dit ça, dans lequel il dirige Vahina Giocante et Moa Khouas.
En 2005, il réalise un épisode de la série Sleeper Cell (cellule endormie), ce feuilleton télévisé américain, en 18 épisodes de 60 minutes, porte sur les agissements d’une cellule terroriste aux Etats-Unis qu’un agent musulman du FBI a réussi à infiltrer.
« Moi, j’aime ce métier. Depuis que j’ai fait mes études de cinéma à Los Angeles en 1983 jusqu’à aujourd’hui, je n’ai rien fait d’autre. Joëlle et moi avons vécu entre 2008 et 2011 dans une pauvreté totale. J’ai alors enseigné neuf mois à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, donnant toutefois des cours de cinéma », confie-t-il.
Pourtant, il fallait une nouvelle fois attendre quelques années pour le retrouver derrière la caméra. Ces absences s’expliquent par ses allers-retours réguliers entre le Liban, l’Europe, en particulier la France, et les Etats-Unis. Ainsi, ce n’est qu’en 2013 qu’il fait son retour, avec le film L’Attentat qui a fait polémique.
Adapté du best-seller de Yasmina Khadra, ce drame raconte l’histoire d’un chirurgien d’origine arabe qui, après avoir passé la journée à soigner les victimes d’un attentat suicide, apprend que la kamikaze à l’origine de l’explosion n’est autre que sa femme. Le médecin à la carrière exemplaire part enquêter dans les territoires palestiniens pour tenter de comprendre qui a pu laver le cerveau de son épouse.
Néanmoins, c’est L’Attentat qui peut être l’oeuvre la plus controversée de la filmographie et de la carrière de Ziad Doueiri, puisqu’elle n’a cessé de lui susciter des problèmes depuis son tournage, il y a presque quatre ans, et jusqu’aujourd’hui. Déjà interdit au Liban à sa sortie en 2013, car il avait été tourné partiellement en Israël avec des acteurs israéliens, le film a divisé l’opinion publique comme celle cinématographique et intellectuelle au Liban, qui est officiellement toujours en guerre avec Israël, et où il est interdit aux citoyens libanais de se rendre dans les territoires israéliens.
Fraîchement récompensé à la Mostra de Venise en septembre dernier, à travers le prix de la meilleure interprétation masculine décerné à l’acteur palestinien Kamel Al-Bacha pour son rôle dans L’Insulte, Ziad Doueiri avait été brièvement interpellé toujours en septembre dernier à son arrivée à l’aéroport de Beyrouth. Ses deux passeports français et libanais avaient été confisqués et il avait été sommé de comparaître devant un tribunal militaire.
« Je suis profondément blessé », a souligné Doueiri à la presse qui l’attendait à l’aéroport. « Le bureau de boycottage d’Israël a mené une attaque répugnante contre mon film, en m’étiquetant comme un sympathisant sioniste, alors que la police libanaise avait autorisé la diffusion de mon film », dénonce le réalisateur.
Après une comparution qui a duré plusieurs heures, Ziad Doueiri a exposé devant la presse ses deux passeports récupérés. « J’ai été remis en liberté, aucune accusation ne m’a été adressé », a-t-il assuré en affirmant que le dossier était « définitivement clos ».
« J’ai effectivement filmé une partie du film à Tel-Aviv, après avoir pris les autorisations nécessaires, parce qu’une partie de l’histoire se déroule là-bas. Et, j’ai eu recours à des acteurs israéliens parce qu’il s’agissait de mon choix artistique, tout simplement, et j’ai préféré que mon film soit assez crédible, surtout qu’il présente un sujet assez alarmant et important. C’était donc une décision artistique qui n’a rien à voir avec mes convictions et mon engagement connu par tous ceux qui me connaissent », se défend-il.
Devenu, depuis, le point de mire de tous, il divise le public entre admirateurs et opposants. Ces derniers n’ont pas hésité à l’attaquer férocement sur les journaux et lors des événements artistiques ou politiques. Même son dernier film L’Insulte a donné lieu à un débat sur ses idées et ses intentions. Salué par les critiques libanais qui trouvent qu’il aborde de manière directe et sans sophistication le thème de la réconciliation entre citoyens du même pays, surtout qu’ils sont tous arabes, l’oeuvre ouvre également des chapitres délicats dans la mémoire collective des Libanais, concernant les actes de l’opposition libanaise durant la guerre civile ou celle avec Israël. Mais au-delà de la division, le film insiste sur la nécessité de la réconciliation avec soi-même, sans laquelle il n’y a pas de réconciliation avec autrui.
Le film, qui tourne autour d’une insulte qui se transforme en un conflit et arrive aux tribunaux, est porté par un casting d’acteurs super talentueux, et au potentiel énorme, d’après Doueiri. Dans ce film, il ne s’agit pas de lutte entre bons et méchants, mais de combat contre soi-même. « Si Joëlle Touma et moi avons écrit ce scénario avec de la sympathie pour les deux acteurs, pour moi, le noyau de l’histoire, c’est l’avocat Wajdi Wahba, incarné par Camille Salamé », annonce-t-il.
Et à Doueiri de l’avouer ouvertement : « Wajdi Wahba, c’est moi ! Son texte, que j’ai écrit moi-même, est inspiré des paroles de mes attaquants dans la presse au sujet de L’Attentat ».
Comme de coutume, tout le long de sa carrière, Ziad Doueiri est sorti vainqueur de cette bataille, entouré d’une large foule de fans, d’intellectuels et d’artistes libanais et arabes qui le secondent en tant qu’artiste et citoyen libanais. Toutefois, il ne cache pas une certaine fatigue de se trouver souvent ciblé pour des causes, selon lui, « prétendues et non artistiques ». « Mes oeuvres ne doivent pas témoigner d’un combat incessant. Les gens travaillant dans le monde du cinéma connaissent assez les difficultés d’écrire, de financer, de tourner, de monter et de vendre un film. On n’a pas besoin d’en rajouter », rétorque-t-il en souriant, disant à ses opposants, « tout ce qu’on vous demande c’est la grâce et de nous laisser montrer au monde notre potentiel et nos talents ». Un souhait, selon lui, assez légitime .
Jalons :
1963 : Naissance au Liban.
1983 : Départ pour les Etats-Unis où il fait ses études de cinéma.
1998 : Prix de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes pour son premier film West Beyrouth.
2013 : Sortie de son film controversé L’Attentat.
2017 : Deuxième prix du Festival du Film de Gouna pour L’Insulte.
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