Mercredi, 22 janvier 2025
Al-Ahram Hebdo > Visages >

Naguib Sawirès : Le milliardaire qui veut changer le monde

Yasser Moheb, Mardi, 10 octobre 2017

A l’âge de 62 ans, Naguib Sawirès est un homme d’affaires hors norme et membre du cercle très fermé des milliardaires arabes et africains. En une trentaine d’années de carrière, le businessman a développé un groupe qui, aujourd'hui, traverse les frontières. Retour sur le parcours de cet homme aux multiples casquettes.

Naguib Sawirès
Naguib Sawirès, homme d’affaires hors norme et membre du cercle très fermé des milliardaires arabes et africains.

Il a tout pour être au septième ciel. Il y a quelques jours, tout le monde parlait de lui, car il a créé et organisé le Festival du film d’Al-Gouna dont la première édition vient de s’achever. « Je vis l’une des grandes réussites de ma vie », souligne-t-il sur un ton plein de fierté et de joie. « J’avoue n’avoir pas imaginé un tel succès pour cette première édition, malgré le grand effort qui a été déployé par tous les membres du groupe de travail du festival », dit-il. « Malgré cette première incertitude au sujet du succès, je n’ai trouvé aucun doute ni hésitation à faire le festival, le produire et le subventionner. C’était l’un des rêves les plus chers de ma vie, puisque je me sens toujours épris par le monde du cinéma, pas par son glamour, mais par son effet assez important et concret sur la culture des gens, sur leur vie et surtout sur leur attitude. C’est le monde magique où on se laisse aller pour mieux voir notre état ou bien imaginer un monde meilleur », explique Naguib Sawirès en dévoilant sa grande passion pour le 7e art.

Une passion qui date en fait de plusieurs années. A la fin des années 1990, il fonde sa société de production cinématographique Nahdet Masr (renaissance) à travers laquelle il réussit à créer et à équiper 100 salles de cinéma au Caire et dans plusieurs villes égyptiennes en l’espace de deux ans seulement. « J’étais déterminé à créer un certain état de dynamisme et d’animation dans l’industrie du cinéma, cette industrie qui renferme des milliers de techniciens et d’artistes, guidé par mon grand amour pour le cinéma et poussé par ma conviction que cette industrie a besoin d’une aide sincère de la part des capitaux et des hommes d’affaires égyptiens. Ce sont les arts et nos grandes stars telles que Adel Imam, Abdel-Halim Hafez et Oum Kalsoum qui ont formé l’âme du peuple égyptien et arabe, et qui offrent à notre nation une culture unique, et une force douce mais efficace », ajoute le businessman qui n’a pas hésité également à sponsoriser le Festival international du film du Caire en 2008, malgré les critiques qui lui ont été adressées.

Né en 1955 à Sohag, au sud de l’Egypte, le petit Naguib a depuis toujours été guidé par une imagination sans limites. Issu d’une famille copte de la Haute-Egypte, Naguib se lance dans les affaires dès l’âge de 20 ans. Le père, Onsi Sawirès — né en 1930 —, a été le fondateur de la société Lamei et Sawirès avec son ami Yaacoub Lamei. Une entité qu’il a transformée en groupe d’entreprises égyptiennes, Orascom, apparu au début des années 1950 comme une petite entreprise de construction.

Le père Onsi envoie ses trois fils, Naguib, Samih et Nassef, à l’étranger pour faire des études académiques et approfondies. « La priorité de mon père a été de nous offrir les meilleures études internationales. C’était l’une de ses meilleures décisions de nous envoyer faire nos études à l’étranger, malgré les conditions difficiles auxquelles il faisait face à l’époque, surtout au lendemain de la nationalisation de ses propriétés et sa fortune », indique Naguib.

Fils aîné de cet empire Sawirès, Naguib détient un diplôme de génie mécanique avec une maîtrise en administration technique de l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich, en plus d’un diplôme de l’école évangélique allemande. A son retour, il commence à faire son propre business à travers une petite société qu’il a fondée. « C’est par là que ma fortune a commencé. J’avais 5 000 L.E., et ce chiffre a grandi pour devenir 250 000 dollars en deux ans et demi, alors que je n’avais que 23 ans seulement », se souvient-il. « J’ai toujours essayé de réussir loin de mon père, par autodidactie et non pas par manque de reconnaissance. Il nous a donné son nom et celui d’Orascom, une garantie de qualité. Cela nous a beaucoup aidés, en particulier auprès des banques ». Pour son entourage, Naguib était considéré comme le plus têtu et le plus aventurier de ses frères, ce qui inquiétait parfois ses parents.

Il a commencé à faire des affaires dans le domaine des chemins de fer, et depuis qu’il a rejoint l’entreprise familiale Orascom, il a contribué à la croissance et à la diversification de la société. Le groupe Orascom reste toujours familial. Mais, à la fin des années 1990, la direction a décidé de diviser Orascom en sociétés d’exploitation distinctes, à savoir, Orascom Construction Industries (OCI), Orascom Technology Systems (OTS), Orascom Hotels & Development et Orascom Telecom Holding (OTH).

En tant que fondateur d’Orascom Telecom Holding (OTH), Naguib a dynamiquement conduit la croissance de l’entreprise. Sa société est devenue le principal acteur de télécoms régional. « Je dois avouer que le fait de rentrer dans le domaine des télécommunications n’était pas un grand risque, car le succès qu’il a rencontré en Occident m’a beaucoup rassuré et m’a donné une grande ambition de rééditer ce succès en Egypte, vu la grande capacité du marché égyptien », dit Naguib Sawirès.

Le milliardaire égyptien ne cesse de redessiner les frontières de son empire. Après l’Egypte, Naguib est parti à l’assaut du Mozambique, de l’Iraq, du Bangladesh, de l’Italie, de l’Algérie ... et même de la Corée du Nord, où il était le seul à exploiter un réseau de téléphones mobiles. D’ailleurs, il a cédé à France Télécom — à titre d’exemple — ses dernières parts dans la société égyptienne Mobinil, le joyau de sa couronne. A l’automne 2010, il revend l’essentiel de ses participations dans des opérateurs africains au groupe russe VimpelCom, pour qu’OTH et le Russe VimpelCom annoncent leur fusion. OTH est donc devenue une partie intégrante de Vimpelcom, et le groupe réunit un total de 174 millions d’abonnés tous pays confondus. En avril 2014, l’Etat algérien rachète 51 % d’Orascom Telecom Algérie pour 2,6 milliards de dollars à VimpleCom.

« L’itinéraire de mon travail dans le monde des télécommunications n’était pas si aisé comme pourraient l’imaginer certains », explique Naguib. « Mes travaux ont fait face à beaucoup de problèmes en Italie et en Algérie, mais je n’ai jamais pensé un jour arrêter mon business. Au contraire, ça me pousse à travailler encore plus, surtout que chaque mouvement est bien étudié ».

En 2017, Naguib Sawirès est classé selon le magazine américain Forbes comme la 460e personne la plus riche du monde, avec une richesse personnelle de 3,9 milliards de dollars. Fort de son succès, il se lance à la conquête du monde des médias à travers la fondation de deux chaînes satellitaires OTV et puis On TV, et la contribution comme investisseur dans plusieurs entités médiatiques, telles que le quotidien Al-Masri Al-Youm et le journal Veto. Et ce, aux côtés de la Fondation Sawirès pour le développement social, qu’il a créée en 2001 et qui décerne annuellement des prix pour les meilleures oeuvres littéraires.

« J’ai décidé d’entrer dans ce monde des médias pour enrichir ce domaine en Egypte et placer la barre encore plus haut », explique Sawirès. « Je suis connu pour être une personne qui exprime ses points de vue ouvertement tant que je ne nuis à personne. La liberté d’expression est une grande responsabilité, c’est le désir d’assumer cette responsabilité qui m’a toujours rattaché à ce monde des médias ».

Ceux qui croisent sa route témoignent de son appétit pour les nouveaux projets. Regard clair, sourire presque constant, l’homme d’affaires, réputé bienveillant, est aussi décrit comme étroit et parfois trop sérieux en affaires. Suite à la révolution égyptienne de janvier 2011, Sawirès a participé à la fondation du parti libéral Al-Masréyine Al-Ahrar (les Egyptiens libres). Un parti vite reconnu comme un grand défenseur des valeurs démocratiques, du pluralisme et de la préservation de la nature civile de l’Etat égyptien, mais Sawirès vient d’avoir, il y a quelques mois, des problèmes avec son conseil de directeurs. « La politique est plus sophistiquée que l’investissement et l’économie », lance-t-il en souriant. C’est avec ce calme et cette sérénité que Naguib Sawirès gère ses affaires sur le plan politique et convictionnel. Une quiétude personnelle qui l’a beaucoup aidé, surtout à l’époque où les Frères musulmans étaient au pouvoir en Egypte, durant laquelle il a décidé de couper son voyage avec sa famille à l’extérieur pour rentrer en Egypte avec son père. « Personne ne peut me dicter quand je peux retourner dans ma patrie », souligne Naguib, niant ce que d’aucuns répétaient qu’il était exilé par peur du régime islamiste. « Ceux-ci avaient l’audace de nous qualifier presque tous — chrétiens et musulmans non conservateurs — de mécréants, ce qui est contraire en fait à toute religion et toute logique. J’avais l’honneur et la joie de sortir le 30 juin contre ces fanatiques, pour regagner notre patrie ».

Tout au long de son parcours, Sawirès a reçu de nombreuses récompenses et prix d’honneur. En 2006, il a reçu le prestigieux prix Star of the Great Leader pour les services qu’il a rendus à la population du Pakistan dans le domaine des télécommunications, et pour ses investissements et ses efforts dans le secteur social. En juillet 2011, il reçoit les insignes de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur en Italie pour sa contribution exceptionnelle à l’économie italienne, à travers ses investissements dans ce pays. De même, le gouvernement français lui remet en 2012 les insignes de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur.

« Ce sont tous des actes d’honneur qui me sont vraiment chers, car je crois au rôle important des entrepreneurs et des hommes d’affaires dans le changement du quotidien et de l’histoire de leur pays et de leur entourage », dit Naguib Sawirès.

Par ailleurs, il a annoncé récemment son désir de racheter une île déserte en Grèce afin d’y construire un centre d’hébergement pour les réfugiés.

« Un millionnaire ne doit pas s’intéresser uniquement à collecter et à amasser l’argent, il doit avoir la responsabilité de dépenser et de travailler au profit des autres, et surtout des opprimés », déclare-t-il. « C’est ce que j’essaie de faire. Je participe avec la fondation du comédien hollywoodien Forest Witaker à des oeuvres au profit de la population du Soudan du Sud ».

Une nouvelle corde que ce self-made-man vient d’ajouter à son arc, mais qui ne paraît pas être la dernière.

Jalons :

17 juin 1955 : Naissance dans le gouvernorat de Sohag.

1987 : Retour en Egypte après un voyage d’études universitaires en Suisse.

1997 : Fondation de la société pionnière, Orascom Telecom Holding, dont il est le PDG.

2001 : Création de la Fondation Sawirès pour le développement social.

2008 : Fondation de la chaîne satellite On TV.

2012 : Réception des insignes de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur de la France.

2017 : Fondation et organisation du Festival du film d’Al-Gouna.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique