Le sourire ne le quitte point. C’est l’un des signes d’une volonté de fer qui l’aide à surmonter tout obstacle. L’accident de buggy de plage qu’il a eu lors de ses vacances d’été à Charm Al-Cheikh, à l’âge de 11 ans, lui a coûté son pied gauche, mais ceci ne l’a pas empêché de pratiquer son sport préféré : le cyclisme. Son loisir et son passe-temps.
Yassin Al-Zoghby, 18 ans, vient de participer à la 4e Conférence nationale des jeunes, tenue en juillet dernier à Alexandrie et parrainée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi. Ce dernier s’est entretenu avec les jeunes espoirs du pays, partageant leurs ambitions. Les photos d’Al-Zoghby, assis sur le siège avoisinant le président, et celles de leurs accolades, ont fait le tour des réseaux sociaux et des médias officiels. C’est ainsi que l’histoire d’Al-Zoghby, qui a fait le tour de cinq gouvernorats égyptiens dans le Delta du Nil, à vélo, afin de recueillir le plus grand nombre de messages possibles et de les transférer au président et aux autorités, a été médiatisée. Des messages porteurs de rêves et de requêtes.
Al-Zoghby a été ainsi surnommé « l’icône des jeunes », à la suite de la conférence, et est devenu une star du jour au lendemain. Il a touché les coeurs. « Pendant 5 ans, à partir de 2010, je voyais tout en noir. L’accident m’a coûté ma jambe et je pensais que je n’allais pas pratiquer le cyclisme pour le reste de ma vie. Moi, le passionné de sport ! C’était pénible. Néanmoins, j’ai réussi à surmonter cette épreuve douloureuse. J’ai décidé de vivre, de ne pas sombrer dans la dépression », affirme Yassin Al-Zoghby, qui a eu alors l’idée de tourner un documentaire racontant une journée dans la vie d’un cycliste qui défie son infirmité. « L’idée du documentaire est née d’un travail en commun avec mon ami, réalisateur, Ahmad Adel. Lui, avec sa caméra, et moi, à vélo. On avait entendu parler de la 4e édition de la Conférence des jeunes. On n’y croyait pas trop. Mais après, j’ai changé d’avis, en notant l’intérêt que lui porte le président. J’ai donc voulu élargir ma tournée à vélo, pour effectuer un travail plus humain et efficace. 12 jours avant la conférence, j’ai rassemblé les idées et les aspirations des jeunes, dans cinq gouvernorats dans le nord de l’Egypte (Alexandrie, Kafr Al-Cheikh, Al-Gharbiya, Al-Béheira et Marsa Matrouh). Ce sont des lettres écrites par des jeunes, signées ou anonymes, qu’ils adressent au président, évoquant les problèmes de chômage, de logement, de pauvreté, d’éducation ... Une manière de faire parvenir la voix des jeunes aux responsables », ajoute Yassin, qui n’a jamais imaginé que son initiative allait avoir un tel écho. « Le président Al-Sissi m’a promis avec grande honnêteté que tous les messages que je lui ai transmis seront pris en considération. Au début, j’étais un peu tendu, du fait d’aller voir Al-Sissi, le saluer en personne et s’asseoir à côté de lui. Mais, il faut avouer que le président, en me serrant tendrement, a vite calmé tous mes soucis. J’ai vu de près ses yeux, pleins d’émotion. J’ai beaucoup apprécié son discours, un peu proche de ceux du général De Gaulle, qui est parvenu à raviver la confiance », lance Al-Zoghby. Et de poursuivre : « Le documentaire de mon voyage à vélo a été projeté durant la Conférence des jeunes et a été diffusé sur toutes les chaînes égyptiennes de télévision, sans retouche ni censure. Dans le film, j’avais fait parler un partisan du parti salafiste Al-Nour, ainsi que pas mal d’autres jeunes représentant toutes les tendances de la société ». Yassin, ce jeune au caractère indépendant, ne fait que ce qu’il aime et ne dit que ce qu’il ressent, sans contrainte. « Je suis quelqu’un de très neutre qui n’est pas du tout intéressé par la politique. L’intérêt de ma patrie l’emporte souvent sur tout le reste. Il nous faut de la patience pour atteindre la prospérité escomptée. Après une révolution, il y a toujours un prix à payer, cela se passe ainsi partout dans le monde », déclare Yassin Al-Zoghby, qui a pris part à la révolution du 25 janvier 2011, à l’époque, sur un fauteuil roulant.
La place Tahrir constitue à ses yeux le symbole de la « victoire des Egyptiens ». « Mon père avait prévu la chute du régime Moubarak, sous l’effet de la corruption. Moi aussi, je n’approuvais aucunement le passage du pouvoir au fils de l’ancien président. Le 30 juin 2013, le peuple s’est soulevé contre le pouvoir de Morsi et des Frères musulmans. J’étais dans les rues, moi aussi, debout sur mon pied artificiel, fabriqué sur mesure en Allemagne, où j’ai passé une période de rééducation après avoir fait ma prothèse, à l’hôpital Munster », se souvient-il.
La famille de son père est originaire de Port-Saïd, mais a résidé au Caire depuis l’agression tripartite en 1956. Ainsi, Yassin est né à Agouza, en 1998. Il a ensuite vécu à Maadi, cet « ilôt de verdure », qui a lui a permis de faire du vélo dans ses rues tranquilles et ombragées. Yassin pratique également la boxe et la plongée sous-marine. Et son film préféré c’est le Roi Lion, l’histoire d’un destin. « Le cyclisme m’est un loisir plus qu’un sport. Je possède aussi, depuis 2016, un carnet de plongeur handicap, issu de la Confédération Mondiale des Activités Subaquatiques (CMAS), laquelle regroupe les fédérations d’activités subaquatiques du monde entier. Je l’ai obtenu après avoir passé un examen à Hurghada, en 2015. Je ne suis pas une personne qui aime s’enfermer dans un espace clos. Lever ma tête vers le ciel, contempler la nature, plonger dans la mer, nager comme un poisson à la découverte de son environnement, faire une escapade dans le désert pour oublier la fureur de la ville, ou encore descendre la rue, rencontrer des gens, cela m’égaye », dit Yassin Al-Zoghby dont les parents travaillent comme comptables dans des établissements bancaires.
Ces derniers ont donné à leur enfant une éducation basée sur la liberté de s’exprimer et de choisir. En mai 2017, Yassin a obtenu son bac français, chez les pères jésuites, réputés pour leur grande rigueur. « Mes parents, les pères jésuites, les professeurs, mes amis m’ont tous beaucoup soutenu moralement dans les moments difficiles, après être amputé du pied. Durant le traitement médical suivi à l’hôpital Maahad Nasser, j’étais toujours entouré de mes collègues », se rappelle Yassin, reconnaissant.
Il n’a pas encore décidé dans quelle université il désire continuer ses études, et se dit différent par rapport au reste de sa génération, prisonnière de la technologie. Yassin ouvre rarement son Facebook. Il n’a ni Viber ni WhatsApp. Il aime collecter les objets anciens. Même sa voiture, aménagée spécialement pour lui, est une ancienne Beatles qui remonte à 1968. « Je préfère communiquer avec les gens en direct, m’entretenir avec eux face à face. J’apprécie l’interaction sociale », affirme Yassin Al-Zoghby, un scout fidèle à l’équipe des Jésuites, habitué à la vie en patrouille et aux activités en plein air. Avec ses yeux noirs pétillants, Yassin est capable de dissimuler ses chagrins. Lorsqu’il parle de son petit frère de 11 ans, Ahmad, il est rongé par le remords. Car il se sent au centre de l’intérêt de sa famille et possède une place privilégiée. « Mon frère et moi, nous sommes des amis. Je lui prête conseil sans rien imposer. Ahmad tient un rôle primordial dans ma vie. C’est lui qui m’aide à monter à vélo et à l’ajuster. Il me prépare les bagages avant mes déplacements. Mais, à l’école, il n’aime pas qu’on le nomme le frère de Yassin. A chaque fois, il rétorque : je m’appelle Ahmad ».
Yassin Al-Zoghby est aussi membre permanent et très actif, depuis 2014, du groupe des jeunes cyclistes égyptiens, formé au sein de l’établissement des Jésuites. « Avec ce groupe, j’ai décidé de défier mon handicap et de voyager routier, à vélo, en novembre 2014, faisant le trajet entre Le Caire et Aïn-Sokhna. Après ce parcours de 7 heures, j’ai fait aussi Le Caire-Hurghada. L’essentiel, c’est de maintenir l’équilibre. Mes voyages, en aventureux, m’ont fait rencontrer plein de gens, j’ai dû voir la vie autrement, d’un oeil plus optimiste », déclare Al-Zoghby, hanté par l’idée de faire de la bicyclette un moyen de transport populaire en Egypte. « Je n’aime pas être perçu comme un handicapé. La compassion me dérange. Pour moi, l’handicap est une infirmité d’esprit et d’âme, non pas une infirmité physique. Il faut défier toute infirmité en soi », déclare Yassin avec un sourire radieux. Et d’ajouter : « Presque tous les médias communiquent la même fausse information, disant que j’ai envie de faire des études en droit pour défendre les handicapés en Egypte. C’est vrai que ces derniers n’ont pas les mêmes droits que les personnes normales : accessibilité aux services, enseignement équitable, accès facile aux moyens de transport ... Néanmoins, il y a plusieurs autres moyens de défendre les handicapés et d’améliorer leurs conditions, outre les études en droit ».
Al-Zoghby participe à toutes sortes d’événements sportifs. Il multiplie les actes de charité, se sert de ses contacts avec les responsables pour aider les autres. « Comme l’année 2018 sera l’année des handicapés, j’aspire à un avenir prometteur », conclut Yassin, qui vient de s’entretenir avec Ghada Wali, ministre de la Solidarité sociale, afin de débattre de la situation des handicapés en Egypte. La jeune star poursuit ainsi son petit bonhomme de chemin .
Jalons
1998 : Naissance au Caire.
Ramadan 2015 : Il est choisi pour une publicité sponsorisée par la compagnie Coca-Cola.
Eté 2014 : Bénévole au festival pour enfants, organisé par l’Association
Francophone Cairote des Arts (AFCA).
2017 : Participation au programme sportif Ninja Warrior in Arabic.
Et tournage d’un documentaire sur les rêves des jeunes, en parcourant le pays à vélo.
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