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Moawad Ibrahim : Un siècle de prédication

Hanaa Al-Mekkaw, Mardi, 13 juin 2017

Prédicateur, auteur et poète, Moawad Ibrahim est le cheikh azhari le plus âgé d'Egypte. A 105 ans, il continue à jouer un rôle important au sein de sa communauté, dans le quartier populaire de Matariya.

Moawad Ibrahim
Moawad Ibrahim, cheikh azhari le plus âgé d'Egypte.

Comme d’habitude, il ne refuse jamais de rencontrer les gens, même s’il se déplace en fauteuil roulant. Sa fille derrière lui, il sort de sa chambre, vêtu d’une djellaba blanche, le turban traditionnel des cheikhs enroulé sur sa tête et les yeux dissimulés derrière des lunettes sombres, la vue ayant nettement baissé avec l’âge. Dès qu’il fait son apparition, les gens s’approchent de lui, lui baisent la main et la tête, le saluent à voix haute tout en se penchant vers son oreille gauche, celle qui lui permet encore d’entendre. C’est le cheikh Moawad Awad Ibrahim, surnommé aussi « Al- Azhari », en référence à ses études à Al-Azhar et son sentiment fort et intense d’appartenance à l’endroit. En principe, c’est un prédicateur dépendant de l’institution religieuse, mais il est aussi écrivain, poète et prêcheur. En fait, avec ses 105 ans, il est aujourd’hui le plus âgé des Azharis d’Egypte. Il se sent à l’aise au milieu de ses livres qui s’entassent sur des étagères couvrant les murs de son bureau, ainsi que parmi ses disciples et partisans au sein de sa maison qui ne désemplit pas. Et s’il n’a pas de visiteurs, il passe son temps à faire la prière ou à réfléchir pour trouver une idée à l’un de ses articles qu’il publie régulièrement dans la revue d’Al-Azhar. Vu qu’il ne peut plus écrire, il dicte tout ce qu’il veut à sa fille, son gendre ou à l’un de ses élèves. Idem pour la poésie, dont il déclame les textes lors des différentes occasions religieuses ou familiales comme à la naissance de ses arrière-petits-enfants. cheikh Moawad est né en 1912, dans un village du gouvernorat de Daqahliya. A l’âge de 14 ans, après avoir appris le Coran par coeur, il a poursuivi ses études à la prestigieuse institution d’Al-Azhar. A cette période de sa jeunesse, il se fait remarquer par ses écrits, son amour de la langue arabe et la littérature. De grands noms, comme le fameux écrivain Al-Aqqad et Heikal, à l’époque ministre de la Culture, lui ont publié des poésies dans différentes revues. Après avoir terminé ses études secondaires, Moawad rejoint la faculté de théologie au Caire, dont il est diplômé en 1939, puis il fait deux ans d’études spécialisées pour devenir prédicateur en 1941. Depuis cette date, le cheikh suit la voie de la prédication ou la daawa en se déplaçant dans plusieurs gouvernorats d’Egypte comme Assouan, Port- Saïd et Fayoum. Il voyage dans plusieurs pays arabes, tels que le Liban, le Yémen, l’Arabie saoudite et la Jordanie. Son avidité pour la science ne s’est jamais tarie, suivant toujours ses maîtres et ses professeurs comme Al-Awdane, Abdallah Déraz, Al-Maraghi et d’autres théologiens considérés comme des piliers dans ce domaine. « C’est grâce à mes maîtres que je voue respect et fidélité à Al-Azhar, minaret de l’islam », dit-il. En fait, le cheikh Moawad se souvient encore de ses années d’études dans les couloirs d’Al- Azhar, à cet établissement historique auquel il appartient encore et toujours. A l’époque, la concurrence poussait les étudiants à aller de l’avant. Ils essayaient d’acquérir le savoir nécessaire pour mieux représenter Al- Azhar. Il fallait bien être à la hauteur de cette plus haute instance religieuse du pays, qui a également sa place dans monde. cheikh Moawad a toujours agi suivant le principe suivant : s’il représente Al-Azhar, c’est qu’il représente l’islam. Il a même refusé de saluer le président Sadate lors d’une cérémonie officielle car ce dernier avait une fois humilié les hommes d’Al-Azhar. « Al-Azhar c’est le gardien fidèle du Coran et du hadith (dires du prophète). On y apprend la modération, tout en assimilant aussi bien les sciences modernes que l’héritage de nos ancêtres arabes. Aucune contradiction ne se pose entre les deux », affirme le cheikh centenaire.

Moawad Awad a fondé un institut religieux dépendant d’Al-Azhar à Port-Saïd en 1964, où il faisait de la prédication en passant d’une mosquée à l’autre. Il travaillait aussi comme inspecteur des prêcheurs au sein de l’armée, comme professeur titulaire à la faculté de théologie et de la charia, professeur dans plusieurs facultés en Arabie saoudite, chercheur scientifique et membre du comité de la fatwa à Al-Azhar. « C’est à cette période que j’ai commencé à publier des articles dans plusieurs journaux et revues afin de diffuser l’idéologie d’Al-Azhar au plus grand nombre de personnes », dit cheikh Moawad qui parle en arabe classique parfait. En fait, ni son âge, ni sa santé qui est mise à rude épreuve, vu le poids des années, ne l’empêchent de suivre l’actualité, d’être au courant de tout ce qui se passe autour de lui, de rédiger ses articles ou d’intervenir quand il le faut. Il se considère comme le missionnaire d’Al-Azhar, l’institution religieuse dont il est fier et qu’il défend sans cesse. Il dit que défendre Al-Azhar doit être la mission de tout musulman modéré pour ne pas laisser la chance aux extrémistes de dominer le terrain. « Les salafistes, apparus dans les années 1970, 1980 et 1990, et les extrémistes qui prétendent être les défenseurs de la religion veulent détruire Al-Azhar et veulent imposer leurs théories qui n’ont rien à voir avec la religion musulmane », ainsi a réagi le cheikh lorsqu’il a su que certaines personnes aux discours obscurantistes ont osé s’attaquer à Al-Azhar, l’accusant de ne plus jouer son rôle de conservateur. Et bien sûr une poésie est déclamée sous le titre : « Est-ce qu’un bon salafiste (ce mot vient du mot salaf saleh, qui signifie le bon exemple) doit insulter et injurier ? ». « Qui peut cacher la lumière du soleil ? Personne. La même chose s’applique à Al- Azhar. On ne peut jamais l’empêcher de transmettre son message et de divulguer son esprit tolérant », souligne le cheikh sur un ton enthousiaste, malgré son âge avancé. Car à chaque fois que l’on parle d’Al- Azhar, l’homme de religion est animé par une ferveur indélébile.

D’après cheikh Mohamad Abdel- Latif Ramadan Al-Azhari, l’un de ses disciples, cheikh Moawad a toujours utilisé les mots qu’il faut pour répondre aux idées extrémistes ou pour corriger d’autres erronées. Il s’exprime souvent à travers un article, un livre, une poésie ou sur sa page Facebook. « Il n’a jamais accusé quiconque de mécréance, car selon lui, seul Dieu est le juge », dit Mohamad. Ces pensées modérées qu’il a acquises à Al- Azhar sont ancrées en lui. Ses idées modérées et son humilité ont fait du cheikh Moawad un exemple à suivre pour beaucoup de ses élèves et ses adeptes qui ne cessent de lui poser des questions ou lui demander des fatwas. Mais ce grand homme n’est pas apprécié par les salafistes car il les accuse de présenter une vision étriquée de l’islam. « Sa santé est en train de se détériorer et c’est une chose qui nous inquiète tous.Tous ceux qui connaissent mon père savent combien on a besoin de lui, en ce moment où les idées extrémistes tentent de prendre le dessus », dit Amani, la fille du cheikh Moawad, qui ajoute que cette année, tous ses disciples se sont mis d’accord pour ne pas dire au cheikh que le mois du Ramadan avait commencé craignant pour sa santé. Mais, quelques jours plus tard, il a su la vérité et a été très fâché d’avoir été privé de jeûne, et c’est la première fois de sa vie qu’il ne le fait pas.

Jalons :

1912 : Naissance dans le Delta égyptien.

1939 : Diplôme d’Al-Azhar (section prédication). Et publication de ses premiers articles dans la presse.

1941 : Agrégation en langue arabe, d’Al-Azhar.

1942 à 1945 : Prédicateur dans la ville d’Assouan.

1950 : Diplôme supérieur en pédagogie.

1948 à 1956 : Prédicateur à Port-Saïd.

Début des années 1970 : Membre du comité de la fatwa (avis religieux). Ensuite, retraite.

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