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Hani Rached : Le roi pop art

Névine Lameï, Jeudi, 08 juin 2017

Artiste, peintre, autodidacte, Hani Rached, 42 ans, est réputé pour ses peintures-collages et ses monotypes teintés d'un kitsch emprunté à son enfance et au goût populaire. Depuis plus d’un an, il anime des ateliers de peinture et transmet sa technique chargée de sa pensée.

Hani Rached
Hani Rached

Né dans le quartier d’Al-Haram, près des pyramides de Guiza, Hani Rached est imprégné par le monde en couleurs et le côté kitsch des magasins d’accessoires et de mercerie que possédait la famille de sa mère aux alentours d’Al-Azhar. Il a vécu ainsi oscillant entre deux mondes très différents, celui de sa famille maternelle, embaumé par les odeurs de l’histoire et de l’encens, et celui plus agricole de sa famille paternelle, issue de Qalioubiya. Son père était propriétaire de plusieurs moulins à farine, et donc gardait toujours ses attaches dans le milieu rural.

« Mon père, lui aussi artiste autodidacte, aimait dessiner avec les petits bouts de charbon. Sur les fours et les machines de broyage, il faisait des dessins pour louer la victoire du 6 octobre 1973, par exemple. A l’aide des boîtes de cigarettes, admirablement agencées, mon père montait également de belles installations, évoquant toujours la guerre du 6 Octobre », raconte Rached.

Tel père, tel fils. Donc, Hani, anticonformiste, s’inspire des installations de son père, pour exprimer son opinion sur la révolution du 25 janvier 2011 et pour marquer un moment de l’histoire du pays. Il crée une installation intitulée Place Tahrir, avec des figurines représentant de petites gens en silhouette. Ces figurines en bois, dressées sur le sol, sont accompagnées sans doute par le chaos cairote, par les bruits de la ville et ceux des balles, par les acclamations du peuple revendiquant la chute du régime. « Sous la présidence de Morsi, je n’ai pas pu exposer cette installation. Puis, avec l’aide de la fondation culturelle Al-Mawred Al-Saqafi, j’ai pu l’exposer en 2014, à la galerie Station à Beyrouth, et au musée de la Renaissance à Bologne, en 2015 », lance Hani Rached. Et d’ajouter : « Pour le moment c’est un peu délicat pour le public égyptien de parler de la révolution de 2011 et de ses pénibles mémoires. Peut-être qu’avec le temps, ce sera plus facile d’exposer l’installation Place Tahrir, à une nouvelle jeune génération qui n’a pas vécu cette révolution ». Ces moments de l’histoire suscitent chez l’artiste de multiples interrogations, même s’il a bien voulu cette révolution. Lui-même, il a connu l’interdiction sous Moubarak, en 2006, lorsque les membres de la sécurité ont suspendu son exposition Les Gens du Caire, à la galerie Machrabiya. La raison ? Rached peignait des soldats. « Il faut avouer que j’ai eu peur. J’ai même décidé d’arrêter de peindre des soldats pendant un moment. Il fallait donc s’insurger contre ce genre de situation. Mais à présent, je me demande : où sommes-nous de la révolution du 25 janvier ? C’est une révolution inachevée ; elle a été déclenchée par une génération de jeunes qui n’avait pas suffisamment confiance en soi. Deux forces ont régi le pays, juste après : les Frères musulmans et l’armée. Ni l’un, ni l’autre, n’a pu combler les attentes des jeunes, dans une société hypocrite et corrompue ». Il rêve d’un avenir meilleur pour l’Egypte qui souffre actuellement d’une crise économique. « Nous soutenons l’armée et ses promesses, mais si la crise perdure, il faut chercher une autre solution, loin des révoltes ».

En tant qu’artiste-peintre, il continue à aborder les multiples facettes de la réalité égyptienne, tant le bien que le mal, non sans ironie. En ayant recours aux collages, à des papiers journaux, il traite du rapport Orient-Occident, de l’image de l’un envers l’autre. « Mon travail évoque souvent l’image positive du progrès, d’un monde ordonné, où tout est bien en place, mais aussi un monde marqué par les vices politiques sans oublier les médias qui nous transmettent tant de violence en direct », dit-il. Et d’ajouter : « Dessins, logos, anciens posters publicitaires, collectés par-ci et par-là, sur Google ou autre, constituent un jeu de puzzle qui raconte la société de consommation où nous vivons, non sans rappeler le pop art et les graffitis audacieux. Mon travail est bien apprécié en Occident, mais j’ai l’impression que je n’ai pas le même succès en Egypte ». L’oeuvre de Rached fait partie de la collection privée du Tate Modern Gallery, à Londres. Il expose souvent, partout en Europe. Et en 2008, il a résidé à Saint Gallen, en Suisse, puis en 2009, à la Villa Romana, à Florence, en Italie. Cependant, il n’a jamais pensé s’installer à l’étranger. « Je me retrouve dans le chaos du pays, dans l’attitude décontractée de ses gens … Son côté pêle-mêle permet, malgré tout, une marge de liberté ».

Rached a commencé par travailler à la télévision, en 1990, après avoir obtenu un diplôme d’électrotechnicien. Durant le tournage d’une émission culturelle, à la chaîne égyptienne Nile TV, il a rencontré le grand artiste-peintre Mohamad Abla. « Je dois une belle part de mon succès à mon maître et idole, Mohamad Abla, qui m’a révélé les secrets de la matière. C’est lui qui m’a adopté artistiquement à l’âge de 18 ans ». Mais la vie de fonctionnaire n’a pas tardé à l’ennuyer.

Lorsque Abla a découvert ses encres sur papier, qu’il griffonnait dès qu’il avait un moment libre, sur les plateaux de la télé, il l’a invité à venir visiter son studio. Celui-ci était encore situé à l’ancien édifice de Mossafir Khana, dans le Vieux Caire fatimide, avant d’être ravagé par un immense incendie. « A l’atelier de Abla, je me suis retrouvé ; l’odeur de la peinture me chatouillait les narines. L’endroit m’a tout de suite fasciné, avec ses moucharabiehs ; il m’a rappelé l’ambiance de mon enfance à Ghouriya, auprès de la famille de ma mère. Avec une bibliothèque bien garnie et les réunions d’artistes et intellectuels, parlant de la beauté de la ville, j’étais très bien entouré. La vie à l’atelier de Abla était complètement différente de celle que j’ai vécue pendant des années sur les plateaux étouffants de la télévision officielle : trop de bureaucratie, d’artifice, de câbles électriques et de projecteurs ». Après des années d’entraînement, passées au studio de Abla, entre 1994 et 2004, Rached a décidé de quitter son travail à la télévision et de se consacrer complètement à l’art. Il ne pouvait plus mener de double vie. Pourtant, sur le plan personnel, l’artiste a un tempérament agité ; il est tantôt inquiet, tantôt ravi, confus et instable.

« Mon art est le miroir de ma vie. Je partage, avec mon maître à penser Mohamad Abla, l’amour de l’expérimentation, au niveau de la technique et des sujets. J’aime le côté humain, l’art qui traite de la société et des petites gens », souligne Hani Rached, qui multiplie en ce moment les ateliers visant à initier les jeunes aux arts plastiques. Par exemple, il explore « les pistes de papier », à la galerie Gypsum à Garden City, jusqu’au 22 juin. Et sur sa page Facebook, il annonce la tenue de plusieurs ateliers estivaux, qu’il anime prochainement à Soma Art et Ubuntu, à Zamalek, ou Medrar, à Garden City, et la Place des arts, à Maadi.

Souvent d’ailleurs, il conseille à ses étudiants de rompre avec l’académisme et de faire place à la créativité. « Je n’ai aucun problème à transmettre ma technique (collage et monotype) ou à en dévoiler les secrets aux autres. La vie est un collage facile à manier selon son goût, ses besoins et son moral », lance Rached.

Papiers éparpillés par-ci et par-là, des tubes de gouache, des plaques en verre … Les ateliers qu’il anime débordent de vie ; le désordre y règne. « Il faut du désordre pour mettre un peu de piment dans la vie quotidienne. La gouache se prête à toutes les audaces ; le monotype est la technique la plus simple à maîtriser, pour un débutant. Et le kitsch est un langage visuel, représentatif du goût populaire. J’apprends à mes étudiants de représenter l’identité culturelle à laquelle ils appartiennent, d’aborder les événements sociopolitiques, avec du recul et un brin d’ironie », précise Rached, qui a tenu sa première exposition, en solo, en 1995.

Au lendemain de la révolution de 2011, l’artiste a investi le personnage caricatural d’Assahbi (ô mon ami, en dialectal), afin d’en faire un porte-voix sarcastique des jeunes. Et en 2015, il se penche sur le thème du Bulldozer, un personnage qui dénonce directement la médiocrité ambiante sur tous les plans.

Ses dernières peintures colorées, joyeuses et enfantines lui permettent d’échapper au sentiment de culpabilité à l’égard de sa soeur de 11 mois, morte entre ses mains à l’hôpital, il y a 24 ans, à cause de la négligence médicale. « Pour retrouver la paix intérieure, j’ai suivi des séances de soutien psychologique, ceci m’a beaucoup aidé », dévoile Rached. Sa nouvelle série de peintures le montre à cheval, en train de galoper dans les champs, avec sa soeur à ses côtés, entourée de son ange gardien. Il chasse ainsi ses anciens démons.

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