« J’étais très émue lorsque les chefs des délégations, lors du dernier sommet de l’Union africaine fin janvier dernier, m’ont élue à 41 voix. Ils ont opté pour moi, sachant que je connais le continent africain comme les lignes de la main. Mon seul nom était gageur de confiance », estime Amani Abou-Zeid, qui occupe, depuis 18 avril, le poste de commissaire de l’infrastructure et de l’énergie auprès de l’Union africaine. Elle se dit également reconnaissante vis-à-vis du gouvernement de son propre pays qui l’a choisie en tant que l’une des deux candidates égyptiennes.
Elle se rappellera pour toujours le moment où elle a prêté serment, devant tous les représentants africains. Les félicitations de ses collègues — politiciens et économistes — lui ont chauffé le coeur. « Depuis plus d’une vingtaine d’années, Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations-Unies, m’avait confirmé que l’Afrique était très importante pour notre avenir, et voici le résultat ».
Le développement du continent noir et la mise en oeuvre des projets d’infrastructure dans les pays africains ne sont pas de nouveaux sujets pour Abou-Zeid, laquelle a travaillé sur l’Afrique depuis les années 1990, après avoir obtenu un diplôme spécialisé à l’Université Senghor d’Alexandrie. « J’ai été représentante de la Banque africaine de développement au Maroc en tant que chef expert en matière d’infrastructure, intégration régionale et secteur privé. De 2009 à 2014, j’ai dirigé et mis en oeuvre des projets au montant de 8 milliards de dollars, notamment dans le domaine de l’énergie renouvelable, solaire et éolienne », souligne-t-elle. De même, elle a géré l’aménagement de 7 aéroports et de 2 ports maritimes.
La Banque africaine avait aussi mis en place un système financier pour la réforme des secteurs de l’enseignement et de la santé. Effectivement, ces projets ont donné un coup d’envoi pour le développement au Maroc. Pour ce, en 2013, Amani Abou-Zeid a été décorée par le roi Mohamed VI, durant la fête du trône, décrochant le titre de Commandeur de l’ordre alaouite. « La Banque africaine pour le développement ne fournit pas seulement le financement nécessaire pour des projets nationaux, mais elle prête aussi conseil en matière d’économie, selon le contexte culturel et politique de chaque pays », explique Abou-Zeid, qui considère que son expérience au sein d’un si grand établissement financier est un certificat d’honneur.
Cette fervente passionnée de l’Afrique relève cependant une vive incompréhension dans les médias égyptiens, quant aux affaires du continent noir. « On se contente souvent de faire allusion à l’Afrique comme étant une terre permanente de conflits. Or, ceci n’a aucun sens. Il y a 55 pays africains qui ont des caractéristiques politiques, économiques et sociales très différentes les unes des autres ». Puis, Abou-Zeid n’hésite pas à énumérer ces différences, en insistant sur la spécificité des pays insulaires comme l’île Maurice, des pays enclavés comme le Bénin, un pays portuaire comme le Togo, ou l’exemple des Etats riches en matières premières comme le Botswana où le cuivre et le diamant sont abondants, ou la Côte d’Ivoire, le pays du cacao. « Les médias doivent revoir leur manière de couvrir les affaires africaines. Ils doivent envoyer des correspondants un peu partout, au lieu de se contenter d’aborder les crises à distance », fait-elle remarquer.
Malgré les hauts et les bas, Elle est contente que l’Egypte oeuvre à assainir ses relations africaines pendant ces deux dernières années. Car elle croit dur comme fer que la complémentarité entre les pays africains est primordiale, pour mieux développer l’industrie et le commerce. Même s’il s’agit de pays ravagés par de longues crises politiques, il faut voir comment ils font pour s’en sortir et surveiller au loin s’ils sont sur la bonne voie. « Le travail de développement exige de savoir ce que ces pays font pour améliorer leur situation, au lieu de se contenter de mesurer leur statut actuel ».
Amani Abou-Zeid a toujours fait preuve d’une grande assiduité, même lorsqu’elle a été encore étudiante chez les religieuses de la Mère de Dieu. « J’ai pris l’habitude de prendre le tout au sérieux. Etudier ne signifie pas uniquement apprendre par coeur les programmes scolaires, mais le sport et la musique ont été des activités qui ont contribué à forger ma personnalité ». De tout temps, elle a aimé l’escalade des montagnes et a même obtenu un certificat d’alpiniste en Allemagne. Toute jeune, elle a aussi participé à des rallyes mixtes. « Même dans la vie professionnelle, je préfère être en concurrence avec des personnes compétentes, peu importe des hommes ou des femmes ».
Pour elle, la perfection est du coup un objectif en soi. « A l’école, je suivais des cours de piano à 7h30 tous les jours avant la journée scolaire. J’ai acquis le sens de la discipline en faisant de la musique. Et ce, outre la bonne mémoire et la précision ». Les religieuses de son établissement scolaire lui servent jusqu’à aujourd’hui comme modèles à suivre. « Durant le cycle secondaire, la mère générale citait mes notes mensuelles devant toute la classe pour m’inciter à travailler davantage », raconte-t-elle. Puis, elle se rappelle lorsqu’au baccalauréat, elle était toute sereine, contrairement aux autres étudiantes, prises de panique. L’important pour elle c’était de franchir l’examen blanc de son lycée, peu importe les tests imposés par le ministère de l’Education à l’époque. « J’avais effectivement raison, car les tests passés dans mon lycée étaient beaucoup plus difficiles. Donc, si je pouvais obtenir 86 % à l’examen blanc, je pourrais avoir 96 % aux examens du ministère ». Et ce fut vrai. Car elle n’a pas tardé à être classée 9e étudiante au niveau de la République, puis au bout de 5 ans, elle a décroché son diplôme en polytechnique, à l’Université du Caire. Ensuite, elle a dû postuler pour du travail, à droite et à gauche, dans le domaine de l’ingénierie de la communication. « Je n’ai jamais accepté les pistons. Un jour, mon père m’a envoyée pour voir un ami à lui, afin de me trouver un poste. J’ai passé l’entretien pour ne pas intimider mon père, mais par la suite, j’ai refusé de me joindre à l’équipe de travail. Je trouvais qu’il fallait me débrouiller par moi-même ». Et d’ajouter plaisantant : « Je n’aime pas préciser les dates de mes années d’étude pour qu’on ne découvre pas mon âge. Lorsque les bougies sont nombreuses dans le gâteau, on doit remercier Dieu parce qu’il nous a offert une année de plus ».
Abou-Zeid aime fêter son anniversaire ainsi que celui de sa mère. Mais elle n’aime pas trop s’étendre sur sa vie privée ou les affaires personnelles. Ainsi, elle évoque sa famille avec une grande discrétion, afin d’éviter le dérapage des réseaux sociaux. « En 1990, j’avais envie de continuer mes études supérieures en langue française. A l’époque, il n’y avait pas cette multitude d’universités en langues étrangères. Puis, je me suis rendue à l’Université Senghor qui venait d’ouvrir ses portes à Alexandrie ».
Un tournant dans sa carrière. Jusque-là, elle s’occupait du service soutien technique à Alcatel, et après le master obtenu à Senghor, elle se convertirait à la gestion et au développement. « Mohamad Chaker, ministre actuel de l’Electricité, était mon professeur en polytechnique. C’est d’ailleurs lui qui m’a conseillé d’étudier la gestion, ayant trouvé que j’avais la capacité de gérer une équipe ». Et d’ajouter : « Avoir d’anciens présidents de plusieurs Républiques africaines et européennes à la tête de l’Université Senghor m’a encouragée à faire le prochain virement ». Amani Abou-Zeid avait déjà démissionné d’Alcatel, à un moment où le secteur de la communication était en pleine effervescence.
« En principe, étudier la polytechnique aide à acquérir une manière de réflexion logique. Les hypothèses de n’importe quel problème sont des outils pour trouver la solution ». Cela l’a aidée plus tard, en travaillant dans le développement en Afrique. Car elle partait des données propres de chaque pays, afin d’arriver à des solutions adaptées au contexte. En Afrique, elle a appris aussi à voir la vie différemment. Un nouvel horizon s’ouvre à ses yeux. Les potentialités du continent l’éblouissent. « En entrant pour la première fois au siège de l’Union africaine, j’ai pris des photos-souvenir avec des tableaux représentant la diva Oum Kalsoum et le Nil. J’étais fière que l’Egypte, sous Nasser, ait été parmi les pays fondateurs de l’union ». Abou-Zeid espère qu’à travers son nouveau poste, elle aura la chance d’atteindre une meilleure harmonie entre les pays membres, notamment pour donner un coup de pouce au commerce panafricain et accroître les échanges.
Jalons :
1984 : Diplôme en polytechnique à l’Université du Caire.
1998 Master en Administration Publique, Université Harvard
1992 : Master en gestion et développement à l’Université Senghor.
2000 : PhD sur le développement social et économique à l’Université Manchester en Angleterre.
2005 : Premier poste à la Banque africaine de développement.
2012 : Sélection comme l’une des 50 femmes africaines influentes, par la revue Les Afriques.
2013 : Décoration Commandeur de l’ordre alaouite.
2017 : Commissaire africain de l’infrastructure et de l’énergie.
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