Il est né dans une grande famille composée de 8 frères et 2 soeurs dans un petit village du gouvernorat d’Assiout en Haute-Egypte. Venu au Caire pour le travail de son père, il poursuit ses études préparatoires et secondaires à l’école affiliée au Séminaire copte catholique de Maadi, juste parce qu’elle était l’école la plus proche du lieu où il vivait. « Je n’étais pas du tout un enfant calme. Tous les jours, après l’école, je jouais avec mes camarades au foot. Moi, j’étais attaquant », dit-il.
Voilà une enfance qui ne laissait pas présager qu’il allait devenir prêtre, puis évêque, puis patriarche de la plus large communauté catholique d’Egypte. Le jeune Ibrahim grandit, étudie la philosophie, les langues étrangères et la théologie au département universitaire de ce même séminaire. Il a continué à passer ses vacances d’été en France où il a fait les vendanges, puis a travaillé comme moniteur de colonies de vacances en Egypte, comme responsable des achats chez un diplomate suisse, juste pour assumer ses frais personnels et alléger les tâches financières de son père. « Je ne sais pas ce qui m’a poussé à devenir prêtre. Peut-être étais-je influencé par ceux qui m’entouraient ? ».
Ibrahim a été ordonné prêtre à l’âge de 25 ans. Ensuite, il est parti pour poursuivre ses études supérieures à Rome, où il s’est spécialisé en christologie, une science théologique qui traite de tout ce qui se rapporte à la vie du Christ, selon, bien sûr, les croyances catholiques.
De retour en Egypte, on lui offre un poste d’enseignant au séminaire, puis il devient directeur de ce même séminaire après la nomination de son ancien directeur, Mgr Kyrillos William, comme évêque du diocèse d’Assiout (370 km au sud du Caire). « J’avais 34 ans, j’étais le plus jeune directeur de séminaire ! ». A la dixième année de son mandat, le diocèse de Minya (260 km au sud du Caire) avait besoin d’un nouvel évêque, et le synode copte catholique le choisit pour le devenir. « Ma mission à Minya est l’une des plus belles et des plus difficiles. Je me suis entièrement consacré à la formation des jeunes de mon nouveau diocèse. Je délègue toujours responsabilités : par exemple, je ne dirige pas personnellement le bureau du développement et de l’action sociale. Le bureau a un directeur administratif et un autre directeur technique. Moi, j’approuve les dépenses que l’on décide de faire en groupe et je suis l’évolution des choses ».
Nous sommes maintenant en 2013. Le patriarche copte catholique de l’époque, S.B. Antonios Naguib, démissionne pour des raisons de santé, le poste est vacant et l’Eglise a besoin d’un nouveau chef spirituel pour prendre la relève. Anba Ibrahim arrive au Caire pour participer à l’élection du nouveau patriarche, en tant que membre du synode. Surprise : les autres évêques le choisissent, lui. « J’ai refusé le résultat des élections et je ne voulais pas devenir patriarche. J’étais en fait très heureux et épanoui en accomplissant ma mission et je voulais juste rentrer à Minya. Mais j’aurais dû m’excuser avant et non pas après les élections », dit-il. Il s’explique : « Quiconque fait face à de telles responsabilités et qui ne comprend pas bien ce qu’est la conjoncture actuelle, exprimera son refus catégorique ».
Néanmoins, le temps ne retourne pas en arrière. Les autorités locales sont informées de ce choix, et les autorités vaticanes aussi. Anba Ibrahim est désormais le chef spirituel de plus de 200 000 coptes catholiques en Egypte et à la diaspora. Et par la suite, président du Conseil des patriarches et des évêques d’Egypte. « J’ai ressenti la paix intérieure plus tard. Je fais mon possible pour ne pas perdre Ibrahim, l’oiseau libre, et Ibrahim le prêtre. Mais maintenant, tout est calculé : chaque mot, geste ou action ».
A la cinquième année de sa consécration patriarcale, Sa Béatitude Ibrahim Isaac voudrait travailler plus sur l’institutionnalisation de son Eglise qui, idéalement, comporterait un conseil pastoral, un tribunal spécial pour les affaires ecclésiastiques et une comptabilité centrale. Il compte aussi diviser les grands diocèses de l’Eglise copte catholique en de plus petits. Pour ce faire, il aura besoin d’ordonner de nouveaux évêques. « Je voudrais consacrer plus d’énergie à la formation des jeunes, surtout ceux du cycle secondaire, période intermédiaire entre les classes préparatoires et universitaires, mais qui tombe involontairement de notre intérêt ».
Pour lui, Caritas et l’Association de la Haute-Egypte, avec les autres acteurs du développement social, travaillent indépendamment les uns des autres. « Je pense qu’on devrait créer une entité qui englobe tout le travail de développement social et humanitaire qui se fait dans les milieux défavorisés au Caire et en Haute-Egypte ».
Sans pourtant que cet effort de développement soit destiné uniquement aux catholiques, mais également aux musulmans et aux orthodoxes, « il y a beaucoup à faire pour ce pays, et mon clergé ne peut pas tout faire. Je compte largement sur la participation des laïcs. Et je m’attends à recevoir non seulement leur aide financière, mais surtout leurs idées, leur temps et leur effort. Ils doivent mettre la main dans la pâte comme nous et avec nous », dit-il. Quand quelque chose ne plaît pas, Anba Ibrahim pense qu’il est du devoir des laïcs de présenter des alternatives et non pas de se contenter seulement de critiquer. Mais « attention ... quand je parle des laïcs, je parle des hommes et des femmes ».
En dehors des murs de l’Eglise catholique, l’Anba Ibrahim a d’excellentes relations : « Le pape Tawadros II (des coptes orthodoxes) est comme mon frère. C’est aussi un grand ami spirituel. Chaque fois que je m’entretiens avec lui, je sens qu’il est sincère et aimable. Il est venu assister à ma nomination, accompagné de 5 évêques orthodoxes de Minya ». Avec le grand imam d’Al-Azhar, la plus haute instance islamique sunnite, il maintient des relations « officielles ». « Je me suis entretenu avec le président Abdel-Fattah Al-Sissi deux fois : une au palais présidentiel et l’autre quand je lui ai présenté mes condoléances suite au décès de sa mère. Je pense le rencontrer une troisième fois à l’occasion de la visite du pape François. Il est aimable, respectueux et assume trop de responsabilités ».
Malgré ses occupations, l’Anba Ibrahim consacre du temps tous les jours à lire plusieurs colonnes d’opinion dans la presse égyptienne. « J’aimais beaucoup lire les analyses politiques du grand penseur Sayed Yassine qui, malheureusement, vient de nous quitter il y a quelques jours. Je lis aussi Galal Amin, Farouq Goweida, Ahmad Abdel-Moeti Hégazi, Youssef Al-Qaïd, Khaled Montasser, Fatma Naout et Dr Mourad Wahba ».
Il s’inquiète particulièrement des actes de violences perpétrés contre les chrétiens d’Egypte. « Je m’inquiète en fait pour l’Egypte en général. Jusqu’à quand se prolongera cette vague de violence en Egypte et dans le monde ? Chez nous, nous possédons une loi qui n’est pas appliquée. Et quand on n’applique pas la loi une ou deux fois, la violence devient habitude ».
L’Anba Ibrahim pense que si nous voulons changer les choses, on devra d’abord changer les mentalités et non pas le discours religieux. Un discours peut facilement parler de l’amour et de la tolérance, tout en gardant une mentalité rancunière. « Il est impératif de changer la manière de penser des gens. C’est la seule solution ».
Pour lui, la visite annoncée du pape François n’a pas été une surprise : « Chaque fois que je rencontrais Sa Sainteté à Rome, je l’invitais à visiter l’Egypte. Et au cours de notre dernière rencontre, en février dernier, je lui ai présenté une invitation officielle. Et j’ai appris plus tard que le président de la République, le pape Tawadros II et le grand imam avaient fait de même. Et voilà que sa visite est en train de prendre forme et il sera parmi nous les 28-29 avril ».
L’Anba Ibrahim pense que, outre les résultats médiatiques, politiques et touristiques avantageux que suscitera sûrement la visite attendue avec grande joie du pape François, la visite sera une grande bénédiction pour l’Egypte et pour l’Eglise d’Egypte d’une manière générale. « La présence du pape dans notre pays provoquera un grand encouragement et fera une grande poussée spirituelle. Elle couronnera aussi le dialogue avec nos frères musulmans. C’est pour cette raison que nous avons créé un slogan de la visite, qui comporte les Pyramides, le Sphinx, une croix et un croissant, avec des mots bien choisis. Le pape de la paix vient dans l’Egypte de la paix ».
L’Anba Ibrahim pense que finalement, avec cette visite historique, son peuple sera invité à faire un cheminement spirituel à l’intérieur de l’Eglise catholique, afin qu’elle retrouve son rôle pionnier et sa vivacité d’autrefois. « Le pape François, qui viendra après Pâques, marquera un renouveau de l’Eglise catholique égyptienne tant attendu ».
Jalons :
19 août 1955 : Naissance au village de Béni-Choqeir à Assiout.
7 février 1980 : Ordination sacerdotale. Ibrahim devient prêtre.
1988 : Fin des études supérieures en Italie et obtention d’un doctorat en sciences théologiques.
1990-2000 : Directeur du Grand Séminaire copte catholique.
2002-2013 : Nomination « Evêque du diocèse de Minya ».
2013 : Nomination « Patriarche d’Alexandrie des coptes catholiques ».
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