Jamais elle n’aurait pensé fabriquer des produits bio de soin inspirés de la nature à partir de sa cuisine. Mais selon le proverbe anglais : « La nécessité est mère de l’invention », la pharmacienne Mona Wahib Erian s’est trouvée un jour dans l’obligation de chercher un remède, pour guérir une allergie dont souffrait sa fille unique. Et ce, après l’usage d’un shampoing aromatisé, qu’elle avait demandé à sa mère, alors en séjour de travail à l’étranger. « En jetant un coup d’oeil sur les composants de ce shampoing, j’ai découvert, à ma grande surprise, qu’il contenait plusieurs éléments cancéreux ! J’ai décidé alors de préparer moi-même un shampoing pour ma fille allergique, en utilisant des ingrédients naturels », explique la pharmacienne.
Dans sa cuisine, elle passait des heures à modifier des potions, à ajouter des matières ou à en éliminer d’autres … L’idée de se soigner, à l’aide de matières complètement naturelles, ne venait pas à l’esprit de beaucoup de gens à l’époque. Pharmacienne, elle s’est servie aussi des anciennes recettes des grand-mères qui, autrefois, fabriquaient tout dans leur cuisine. « Eau de rose, chocolat, confiture, savon … ma grand-mère fabriquait tout chez elle ». En quelque sorte, les ancêtres avaient une bonne connaissance en matière de chimie, les informations basiques leur étaient familières. « Mon grand-père, par exemple, qui avait peur des maux répandus de l’époque, comme la typhoïde ou le tétanos, demandait à ma grand-mère de laver les fruits et les légumes avec des permanganates ». Cela étant, Mona Wahib a réussi à fabriquer un shampoing naturel chez elle et à soigner sa fille. Puis, elle s’est lancée dans un jeu où elle va exceller « J’ai commencé à préparer des shampoings et à les offrir aux cousins et aux amis. Ces derniers appréciaient mes efforts et ne cessaient de m’en demander plus ».
A l’heure où de plus en plus de gens prenaient conscience des limites et des dangers de la chimie, on optait davantage pour ce qui est naturel. Un désir intense a commencé à s’implanter dans le coeur et l’esprit de Mona : pourquoi la cuisine ne deviendrait-elle pas une usine ? Et pourquoi le shampoing ne ferait-il pas partie de toute une gamme de produits ? Un désir qui devait coûter cher, surtout qu’à l’époque son seul capital était la science. La pharmacienne a décidé de faire des économies pour monter son projet. Pourquoi pas ? Elle n’a jamais oublié que son grand-père était propriétaire de sept pharmacies, dont la plupart étaient situées au gouvernorat de Gharbiya (dans le Delta égyptien). Et ce, sans compter les laboratoires et les dépôts qu’il possédait également. Il était son modèle à suivre. Enfant, Mona Wahib a été marquée par la mort précoce de son père.
Elle se souvient encore des moments où il la prenait dans ses bras, à son retour chaque soir de son travail. « A l’époque, on préparait les médicaments à la pharmacie. Il y avait toujours cette odeur spéciale qui se dégageait de ses vêtements … Un parfum de paix, d’amour … L’odeur des médicaments constitue encore pour moi ce parfum qui me rappelle mon père », raconte-t-elle. Et d’ajouter, avec un petit sourire sur les lèvres : « Mon grand-père maternel est le premier Egyptien à avoir obtenu un diplôme en pharmacie de l’école Agzaëya, l’équivalent de la faculté de médecine. Avant, c’était des apothicaires, qui préparaient et vendaient les médicaments et les breuvages aux malades. Licencié en 1914, il a ensuite étudié avec Théodore Bilharze. Sa promotion comptait seulement deux autres Syro-libanais », dit-elle, fière de son grand-père. Et d’ajouter : « J’ai encore un cahier de mon grand-père dans lequel Bilharze a dessiné à la main le cycle de la bilharziose ». Entourée de pharmaciens, puisque ses oncles l’étaient aussi, elle a nourri un amour spécial pour la chimie et les médicaments. Du coup, dès son âge tendre, on la surnommait « docteur ».
Le baccalauréat en poche, il était naturel pour tout le monde qu’elle s’inscrive à la faculté de pharmacie. Un premier pas vers un avenir bien dessiné, ayant déjà sa place dans l’une des pharmacies de son grand-père. Ce dernier attendait tant ce jour. Mais les choses ne se passent pas toujours comme prévu ! « L’annonce de la nationalisation par Nasser a tout bouleversé : toutes nos usines de médicaments ont été nationalisées. Un de mes oncles est mort sous le choc ! ». La vie a complètement changé pour la jeune Mona et sa famille. Son grand-père, qui faisait partie de l’élite de Gharbiya et qui avait des chariots et des domestiques, s’est trouvé du jour au lendemain comme le plus commun des mortels. Ses oncles sont allés travailler dans des sociétés nationales, et sa mère, qui surveillait autrefois les employées dans les laboratoires, est devenue femme au foyer. Mona, quant à elle, n’avait d’autres choix que d’étudier et de suivre le chemin ordinaire d’une diplômée. « Après avoir terminé mes études, j’ai passé un an et demi au Taklif (service civique) à l’entreprise pharmaceutique Al-Nil. Un lieu où j’ai appris la sérosité et l’exactitude. A 8h, tout le monde devait porter son manteau blanc et se mettre au travail ». Ensuite, elle a été engagée comme représentante d’une compagnie médicale. De quoi avoir dérangé son grand-père, car c’était un travail peu digne d’une scientifique. « La science était la vie pour mon grand-père. Il ne cessait de tester mes connaissances en chimie, alors qu’il était âgé de 96 ans, me demandant par exemple : quelle est la dose d’éphédrine ? Montre-moi la dose de 5 ml d’un sirop ? Il était exact et précis », se souvient-elle. Et de poursuivre : « Mon grand-père lisait chaque jour un livre. En début de semaine, il nous faisait toute une liste de livres que nous devions lui chercher. Il maîtrisait le français, l’anglais et l’italien ».
Elle a appris de lui l’amour des sciences et du travail, et de sa mère, elle a hérité la persévérance et la confiance en soi. Aujourd’hui, Mona Wahib est la propriétaire de la marque Néfertari, produisant toute une gamme de savons, gels de douche, crèmes hydratantes ou exfoliantes, vendue dans les centres commerciaux. « Au début, comme je ne possédais pas 6 millions de livres égyptiennes pour fonder une usine, je fabriquais ces produits dans les usines des autres. Petit à petit, j’ai commencé à faire des économies grâce à mes bénéfices. J’ai acheté le terrain, puis après un certain temps, j’ai commencé à faire le plan et à jeter les fondements. Quelques années plus tard, le plafond a été construit ». Pour la première fois de sa vie, elle a cherché à comprendre les lois qui allaient gérer son business. Elle a plongé dans la fiscalité et les détails administratifs. Car, à son avis, le système des taxes en Egypte peut mettre fin à tout projet et l’étouffer dans l’oeuf dès son début. « Si les pays occidentaux ont évolué, c’est parce qu’ils ont un arsenal de lois encourageant les divers projets, en y mettant de l’ordre, sans entraver les entrepreneurs ». Mona Wahib affirme souvent être fière de sa culture égyptienne. Elle n’est guère impressionnée par l’Occident, sauf en ce qui concerne l’art et particulièrement la musique. Elle n’hésite pas à blâmer ses compatriotes qui ont négligé l’impact de la civilisation pharaonique, pendant des années. Car, d’après elle, c’est une mine inépuisable de « savoir et de beauté ».
Elle reproche aux Egyptiennes de courir après la mode occidentale, sans faire attention à la particularité de leur environnement. « Elles portent des vêtements en polyester, beaucoup d’accessoires et mettent trop de maquillage. Ces choses-là ne conviennent pas du tout au climat chaud ». On dirait que les Anciens Egyptiens prenaient plus en considération la nature du pays, ils avaient bien capté la réalité des choses. « Au Musée égyptien, une momie porte toujours de jolies boucles d’oreilles en or, ce n’est pas du toc. A la rue Al-Moëz, au Musée du textile, on trouve une chemise en lin fabriquée il y a plus de 4 000 ans. Aujourd’hui, on est incapable de produire des choses pareilles ». Normal donc que cette grande admiratrice de la civilisation pharaonique choisisse le prénom de Néfertari comme son image de marque. Un prénom qui veut dire : la plus belle de toutes. Epouse de Ramsès II, à qui on avait accordé pas mal d’épithètes pour la qualifier, dont « la maîtresse de la Haute et de la Basse-Egypte, la Dame de charme, Belle de visage » … Autrefois, le pharmacien préparait sur place les médicaments, suivant l’ordonnance du médecin, sous forme de cachets, pilules ou sirops, à partir de substances biologiques ou minérales, aujourd’hui, son rôle dépasse les frontières de son laboratoire.
Mona Wahib Erian assume également de par son projet une responsabilité sociale. « Ma fille Chahira s’occupe des familles défavorisées. Elle les aide à travailler dans des projets modestes grâce à plusieurs ONG, mais aussi on en profite pour notre projet. Par exemple, on emploie l’huile d’olive produite par l’association Hayah à l’Oasis de Farafra, et les paniers en feuilles de palmiers tressées et fabriquées à Harraniya pour nos emballages ». Sa fille n’a cependant pas hérité de cette passion pour les sciences. Diplômée en sciences politiques de l’Université américaine du Caire, elle ne cesse de critiquer sa mère qui fait la vaisselle avec les bicarbonates de sodium, au lieu d’utiliser les détergents. « Celui ou celle qui n’a pas fait de la chimie n’est pas bien instruit ! », répond-elle, face aux critiques de sa fille, pour la taquiner, insistant sur le fait que la vie comprend deux volets complémentaires : la chimie et l’histoire.
Jalons :
1968 : Baccalauréat de l’American Mission School.
1973 : Diplôme en pharmacie, à l’Université du Caire.
Juillet 1973-1975 : Service civique, à la société Al-Nil pour les médicaments.
1998 : Lancement de son projet sur les produits de soin, Néfertari.
1999-2000 : Directrice régionale de la compagnie jordanienne Al-Hekma.
2010 : Fondation de l’usine Néfertari, à Kom Ochim, à Fayoum.
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