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Omar Taher : Monsieur popularité

Lamiaa Al-Sadaty, Dimanche, 29 janvier 2017

Journaliste, poète, parolier, scénariste et écrivain, Omar Taher a exploré tous les domaines de l’écriture. Ses livres sont classés parmi les best-sellers les plus connus, y compris le plus récent Sanayéeyat Masr (les artisans de l’Egypte), sorti il y a un mois et qui est actuellement présenté au Salon du livre.

Omar Taher
(Photo:Lamiaa Al-Sadaty)

Ecrivain. C’est un mot qui fait rêver, voire fantasmer. Pourtant, Omar Taher a les pieds sur terre. Il n’enchaîne pas les phrases tarabiscotées, ni utilise un vocabulaire impossible, qui nécessiterait un dictionnaire ou dont il faut deviner le sens. A l’inverse, il est habité par le désir d’être compris d’un public large. Un écrivain populaire ? C’est sans aucun doute ce qu’il aime être. Toutefois, ceci sous-entend, pour d’aucuns, que ses écrits ne fassent pas partie de la grande littérature. « Peu importe. L’essentiel, c’est d’être un écrivain utile. Il est beaucoup plus difficile de plaire à un large public qu’à un groupe restreint d’arbitres cherchant l’élégance. Faire simple et clair exige plus d’efforts, que de proposer quelque chose d’incompréhensible, rempli de sous-entendus que l’auteur est seul à déceler », dit-il. Taher se préoccupe davantage des intérêts du grand public que de l’investissement de sa personne dans l’écriture.

Né à Sohag dans une famille de classe moyenne, Omar Taher rêvait de quitter sa ville natale pour s’installer dans la métropole. Une fois le baccalauréat en poche, il a pu réaliser ce rêve : « Décider de s’inscrire à la faculté de commerce était un bon prétexte pour déménager au Caire », raconte-t-il, en affirmant qu’à l’époque, il ne pensait guère à un avenir d’écrivain professionnel. Il était plutôt hanté par la curiosité d’un adolescent qui veut franchir le seuil d’un nouveau monde et bâtir son propre paradis. « A mon arrivée au Caire, j’ai passé la première semaine en contemplateur. Une expérience plaisante, pour un jeune homme qui entamait sa vie, loin de toute forme traditionnelle ». Aujourd’hui, après plus de vingt ans passés au Caire, Taher est parfois envahi par un sentiment de déracinement. Un sentiment qui ne lui avait jamais traversé le coeur, au début de son parcours. Etrange ? « C’est normal. A mes débuts, l’ambition prenait le dessus. On est aveuglément pris par le rythme de la vie. Avec plus de maturité, on se remet en question, on médite, on s’attarde sur les détails et on se sent le besoin d’être plus proche de sa famille ». Omar Taher est totalement habité par la nostalgie. Il se souvient encore de son enfance, des beaux moments partagés avec sa grande famille et ses amis.

Enfant, il était un garçon tranquille et observateur, mais dès qu’il prenait la parole, il devenait épuisant. S’amuser avec du papier et un stylo était son jeu préféré. A six ans déjà, il a attiré l’attention de ses parents lorsqu’ils ont découvert des personnages aux allures bizarres dans son cahier de dessin. A côté, il avait écrit des phrases du genre : « Pourquoi fait-il froid en hiver et chaud en été ? Pourquoi veiller jusqu’au matin et dormir jusqu’au soir ? ».

A la faculté, Omar Taher continue discrètement à écrire des poèmes et des nouvelles. Il fréquente régulièrement les cercles de poètes et d’écrivains pour partager sa passion littéraire avec ses amis. « Par pure coïncidence, j’ai rencontré le poète Ibrahim Daoud. Il m’a proposé d’entrer en contact avec la rédaction du journal Al-Dostour, qui venait de paraître et qui avait besoin de journalistes ». Six mois de travail à Al-Dostour, sans publier un seul article et sans gagner un sou. « Je me suis dit que je n’étais pas fait pour le journalisme ! ». Mais les choses changent soudainement lorsqu’il réussit à obtenir des informations inaccessibles pour ses collègues. Ceux-ci n’avaient pas réussi à connaître les détails d’une réunion entre Kamal Al-Ganzouri, alors premier ministre, et les chefs des partis de l’opposition. « J’ai remarqué que certains avaient oublié ou omis d’interviewer Ahmad Al-Sabbahi, chef du parti Al-Omma, à cause de son âge avancé », raconte-t-il, sourire aux lèvres. « J’ai passé toute la soirée à écrire les détails les plus minutieux de cette réunion grâce aux renseignements d’Al-Sabbahi, depuis le thé qu’ils ont commandé jusqu’à leurs disputes concernant les quotas destinés aux journaux ».

Le lendemain, lorsque Omar Taher donne l’article au rédacteur en chef, Ibrahim Eissa, celui-ci pense qu’il est fabriqué de toutes pièces. « Du coup, il m’a demandé d’appeler Al-Sabbahi pour s’assurer que je lui avais réellement parlé. J’avais peur que ce dernier ne se rappelle plus notre conversation de la veille. Mais, à ma grande surprise celui-ci m’a dit que je tombais à pic car il voulait justement ajouter un détail qu’il avait oublié ». L’article a fait la une du journal et Taher a prouvé sa valeur comme journaliste.

Quand il a réalisé qu’il ferait carrière dans le journalisme, il a décidé de tenter sa place auprès d’une publication lui garantissant plus de sécurité. Il s’est tourné vers la fondation Al-Ahram et plus précisément la revue Nesf Al-Donia (la belle moitié). « La rédactrice en chef, Sanaa Al-Bissi, m’envoyait dans les zones les plus dangereuses : le Sud du Liban, le Soudan, l’Afghanistan, l’Iran … ». Taher a tout essayé : les reportages, les articles d’analyse et de critique, les entretiens ... Il a couvert plusieurs domaines : arts, société, économie et politique … et la curiosité a été toujours son point de départ. « Sans cette curiosité, j’aurais pu faire le métier de comptable. C’est cette curiosité qui conduit à la créativité ».

Tout au long de son parcours journalistique, il a été accompagné par la poésie. Il passait des nuits à écrire des chansons qui n’ont pas vu le jour même si elles étaient très appréciées de son entourage. « Comme pour le journalisme, la chance a subitement frappé à ma porte. J’étais chez un ami lorsque le chanteur Rami Sabri m’a rendu visite. Ce dernier ne parvenait pas à trouver de paroles pour accompagner des mélodies qu’il avait déjà composées. J’ai tout de suite commencé à réciter celles de Habibi Al-Awalani (mon premier amour), qui a fait tabac dès sa sortie ». C’était le coup d’envoi de quelque 90 chansons qui ont suivi et dont certaines ont été interprétées par des stars comme Assala et Rami Sabri.

Le journalisme demeure, par ailleurs, cet atelier où l’on expérimente ses aptitudes langagières et son talent de chercheur. Dans ses livres, la chronique s’avère être le dénominateur commun. Le plus récent, Sanayéeyat Masr (les artisans d’Egypte) est une galerie de portraits, qui présente ceux qui ont construit l’Egypte moderne mais qui sont restés dans l’ombre, tels que Hamza Al-Chabrawichi (fabriquant de l’eau de cologne 55555), Tomy Christo (fabriquant du chocolat Corona), Naoum Chébib (l’ingénieur de la Tour du Caire). Dans son livre précédent Izaët Al-Aghani (la radio des chansons) il tente de faire le lien entre certaines chansons et des événements politiques ou personnels … « Je trouve une base solide dans les éléments de l’histoire pour rédiger mes livres ». Et d’ajouter : « Je me considère comme un menuisier. Avec un morceau de bois, celui-ci peut construire une table, une commode ou une chaise. L’essentiel, c’est d’avoir le morceau de bois pour sculpter ».

Malgré un grand succès, l’écrivain a tout de même quelques regrets : « Ma vie aurait pu être mieux organisée si j’exerçais l’écriture en parallèle d’un métier traditionnel. Seulement, je suis sûr que dans ce cas, je n’aurais pas réussi ». Taher s’est quand même fait une place à part parmi les écrivains de sa génération.

« Nous ne gardons malheureusement que deux représentations d’écrivains : celle du grand écrivain aux idées profondes, mais qui vit dans une tour d’ivoire et passe ses journées au café où il se lamente de l’ignorance du public, ou bien celui qui passe à la télé et écrit n’importe quoi pour amasser de l’argent. Il existe pourtant une place intermédiaire que l’on a tendance à oublier. Le poète et écrivain Salah Jahine, un vrai intellectuel, a su s’imposer et camper sur cette place intermédiaire. Ses écrits sont très riches, mais grâce à leur clarté et leur simplicité, ils ont remporté un succès fou auprès du grand public ».

Omar Taher aurait bien aimé être dans un pays où l’on peut vivre correctement de la publication de ses livres. « Les recettes d’un best-seller ne peuvent pas couvrir les frais de scolarité de ma fille », ironise-t-il. « Le pays n’est pas préoccupé par l’idée d’élaborer un projet culturel. Beaucoup de chaînes télévisées voient le jour, avec des programmes de football, de cuisine … du blablabla, mais il n’y a aucune émission culturelle de qualité. Si l’Etat s’intéressait vraiment à la question, il tenterait de lutter contre la fraude des livres, organiserait un salon du livre tous les mois ou encore publierait les thèses académiques pour vulgariser les sciences », souligne-t-il. Et d’ajouter : « Actuellement, investir dans le développement des esprits serait plus pertinent que les grands projets autour du Canal de Suez ou ceux de la nouvelle capitale. Les responsables veulent simplement inaugurer des projets et poser des plaques commémoratives, avec leurs noms dessus ».

Plusieurs lecteurs se retrouvent dans les écrits de Omar Taher et partagent les sentiments exprimés de ses héros. Toutefois, faute de classification, ses livres ne sont pas traduits et ne figurent pas sur les listes des concours littéraires. Un fait qui ne le dérange guère et c’est avec un grand sourire qu’il se justifie : « Une citation de Mark Twain m’a beaucoup inspiré : Mes livres sont l’eau ; ceux des grands génies sont le vin ; tout le monde boit de l’eau ».

Jalons :

1973 : Naissance à Sohag.
2005 : Parution de son livre Chaklaha Bazet (c’est raté).
2009 : Scénario du film comique Tir Enta (vas-y vole).
2014 : Sortie de son album de bandes dessinées, Super Héneidi.
2015 : Parution de son livre Izaët Al-Aghani (la radio des chansons).
2017 : Dernier ouvrage Sanayéeyat Masr (les artisans d’Egypte).
In Egypt, Editions. I.B.Tauris.

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