Nous rencontrons pour la première fois brièvement Azza Al-Hujairi à la galerie d’art Riwaq, en plein centre-ville de Manama (Bahreïn). Elle organisait une exposition de ses dernières créations ainsi que des ateliers de travail et d’initiation à la création de bijoux, dans le cadre d’une exposition qui rassemblera un bon nombre d’entrepreneurs et de créateurs dans le domaine artistique des pays du Golfe.
Quelques jours plus tard, elle venait à notre rencontre. C’est sur le chemin de sa boutique, baptisée « 92 Manama », que nous faisons connaissance avec cette jeune créatrice et entrepreneuse bahreïnie. « Voilà donc, je m’appelle Azza Al-Hujairi, je suis basée à Bahreïn comme créatrice de bijoux, et je suis une adepte de yoga » (Rire), c’est ainsi que se décrit cette jeune femme à l’allure très occidentale. « Non loin de cette rue se trouvait l’école française où ma grand-mère et ensuite ma mère ont étudié …mais je suis pas francophone, j’aurai aimé l’être ! ». La boutique de Azza est un véritable bijou architectural, elle se trouve dans une bâtisse historique de 150 ans, abritant une galerie d’art, des restaurants et autres lieux de détente, et perchée en plein coeur de Manama. « Quand j’étais consultante chez Ernest & Young, j’avais l’habitude de venir très souvent ici pour prendre un café avec mes amis, cet endroit m’a toujours fascinée », précise Azza, en poursuivant : « Et au moment où l’idée de la boutique était concrète, pour moi il était évident d’ouvrir une branche dans cet endroit magnifique qui, en fait, appartient au grand-père de mon mari, et c’est là où j’ai célébré mon mariage aussi », se souvient Azza.
Avant de s’engager dans le domaine de la création de bijoux et d’accessoires, Al-Hujairi a passé environ six années en Grande-Bretagne, où elle a effectué ses études. Elle passera par l’Université de Kent et l’Université du Hertfordshire qu’elle quittera après l’obtention d’un master en sciences politiques et droit. « La Grande-Bretagne est très cosmopolite, j’ai toujours adoré ce melting-pot qui réunissait avec harmonie les traditions et le moderne », précise Azza. « Les gens ont tendance à se référer à Paris ou l’Italie quand on évoque la mode, mais j’avoue avoir eu l’idée de me lancer dans le domaine de l’accessoire sous l’influence de ce que je voyais au quotidien ici. Tout est parti d’une envie, d’une expression créative liée à la mode. Le déclic vient surtout d’un désir d’indépendance », poursuit-elle. Ses études terminées, Al-Hujairi sera conseillère à l’ambassade de Bahreïn à Londres, une expérience dont elle garde de bons souvenirs. « Travailler là, à cette époque, était quelque part un processus logique car j’ai intégré mon domaine à part entière. Mais après six mois, je commençais à réaliser que c’était une transition qui allait s’arrêter par ma décision de rentrer au pays ».
En 2007, elle rentre à Manama et enchaîne les postes de conseillère juridique dans des multinationales comme Ernest & Young, Key Point Consulting et ensuite chez Gulf Future Business. « Ce n’était pas une question de se plaire ou pas dans ce travail. J’ai toujours été une mordue de mode et je sentais le besoin de créer quelque chose qui m’appartient ». Grande voyageuse dans l’âme, Azza part à la découverte de nombreux pays. Elle en revient toujours enrichie, imprégnée d’idées de créations. Mais chaque voyage est aussi l’occasion d’une réflexion personnelle sur sa vie. Et petit à petit, la passion a pris le dessus. De retour d’un voyage en Asie, sa décision est prise : une reconversion s’impose. Du consulting à la bijouterie. Pas question de faire les choses à moitié. A 26 ans, Azza retourne sur les bancs de l’école pour apprendre le métier avant de compléter sa formation par quelques stages chez des joailliers. Et c’est l’année suivante qu’elle décide de mettre son projet en oeuvre. Elle part rejoindre la branche de Dubaï d’une école américaine spécialisée dans l’industrie du diamant. « J’ai été vraiment chanceuse que les cours soient à Dubaï car ce n’était pas très facile pour moi à l’époque d’aller aux Etats-Unis. J’ai appris durant ces mois le sens de la précision et la manipulation des pierres précieuses, ce qui a beaucoup aidé mon orientation vers le design de la bijouterie fine de diamant ».
En 2009, elle inaugure sa boutique après 4 ans de travail sur ce projet. Elle opte pour un espace différent des malls et centres commerciaux très en vogue et très prisés au pays du Golfe. Elle y expose ses deux lignes de bijoux, la ligne Azza pour les bijoux en diamant et la ligne 92 qui inclut exclusivement des perles authentiques, mais aussi ses collections de sacs à main et pièces limitées de créateurs peu connus. « Les gens ne se rendent pas compte ici dans le Golfe de la qualité du travail de certains créateurs talentueux, que ce soit en bijouterie, accessoires ou textile. Ils préfèrent aller chez les grandes marques. Je fais de mon mieux pour promouvoir ces talents en herbe, je comprends parfaitement leur besoin d’être soutenus, certains commencent à avoir un nom sur le marché grâce au bouche à oreille. C’est aussi efficace que ces nouvelles technologies auxquelles moi-même j’ai eu recours pour me promouvoir », précise-t-elle.
Si certains détracteurs estiment que son affaire est l’une des plus florissantes de la capitale bahreïnie et qu’elle ne semble pas être affectée par les événements vécus par le pays, elle s’en défend. « Ça peut paraître exagéré, mais je ne pense pas que la crise du Printemps arabe à Bahreïn ait affecté beaucoup de secteurs dans l’économie. Certes, on a traversé une époque difficile de conflits, mais l’image que reflètent les médias a été quelquefois très exagérée », dit Azza . « Je peux vous paraître trop idéaliste et véhiculant un discours de fille de classe aisée, mais je n’ai jamais ressenti ce conflit entre sunnites et chiites, je suis moi-même chiite, et mon mari est sunnite. On s’est marié pendant la révolution, des fois je ne comprends pas comment les choses se sont envenimées au point d’en arriver à une révolution », lâche-t-elle avec regret.
Al-Hujairi ne s’est pas contentée de la création dans son atelier ; elle s’est investie dans plusieurs ateliers de formation à Bahreïn et un peu partout dans la région du Golfe, avec pour but d’initier des jeunes à la création de bijoux et ses principes de base à partir de produits recyclables. « Ces ateliers étaient une vraie bouffée d’air frais. Car d’habitude, je passe de longues journées dans mon studio de fabrication. J’ai toujours eu le sentiment d’être outsider et j’avais envie de réaliser mes propres idées, avec mes propres moyens. Le bijou est un objet fascinant, j’ai toujours aimé les porter et c’est un peu par hasard que je me suis lancée dans la fabrication de ma collection. En le sculptant, je peux m’exprimer et espérer partager des émotions fortes, déclinables à l’infini, car sur le bijou il n’y a pas de limites », dit-elle. Ses créations se retrouvent aujourd’hui en vente à Dubaï et au Koweït.
En quittant les lieux, on aperçoit une femme d’un certain âge, très dynamique s’affairant à ce qu’il semble être un événement qui aura lieu dans l’établissement. « C’est ma belle-mère ! elle ne s’arrête jamais », s’amuse Azza, en ajoutant : « Elle a perdu son mari très jeune et s’est retroussé les manches pour reprendre ce domaine et le transformer en lieu de plaisir, qui offre du travail à plein de gens. Avec ma mère, elles ont beaucoup d’influence sur ma veine et de façon très positive », confie-t-elle.
Quand on lui demande la création dont elle est le plus fière, elle répond avec fraîcheur : « Impossible de choisir, chaque création est une petite partie de moi-même ! » l
Jalons
2004 : Licence en droit, Université de Kent (GB).
2006 : Master en Sciences politiques et droit public, Université du Hertfordshire (GB).
2008 : Formation en industrie du diamant et des pierres précieuses à Dubaï.
2009 : Lancement de la boutique « 92 Manama ».
2012 : Vend ses créations au Koweït et à Dubaï.
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