C’est lors d’un voyage en Moyen-Orient que nous rencontrons Rokhaya Diallo, une jeune militante de 34 ans, cheveux ras, visage d’ange, souriante et naturelle. On est déjà attiré par son look très typé, bijoux africains magnifiques, féminine, mais sans ostentation. On lui demande : « D’où venez-vous ? », elle répond spontanément : « Je m’appelle Rokhaya, et je viens de Paris », quand une autre personne insiste : « Oui, mais avant Paris ?», elle ajoute : « Aucune idée, je n’étais pas née !».
Née le 10 avril 1978, dans le IVe arrondissement de Paris, de parents sénégalais musulmans, Rokhaya Diallo est une journaliste, productrice et activiste française qui s’est fait connaître pour son combat contre toutes les formes de racisme et de discrimination. Si Rokhaya Diallo est désormais identifiée comme étant la présidente de l’association Les Indivisibles, à l’origine des redoutés « Y’a Bon Awards », elle est surtout connue pour ses multiples altercations télévisées avec le polémiste Eric Zemmour. « Je viens d’un milieu modeste, mes parents sont ouvriers, mon père est mécanicien et ma mère est professeur de couture. Ils sont venus du Sénégal pour s’installer en France dans les années 1970. Je suis française, la France est mon pays, le Sénégal est celui de mes parents !!», souligne-t-elle, avant de poursuivre : « Cela me fait marrer quand quelqu’un me dit à chaque fois, mais vous parlez bien français … Ils veulent dire pour une noire … Je pense qu’a priori quand on ne connaît pas une personne, ce n’est pas vraiment nécessaire de lui parler d’ancêtres !».
Avant de débarquer dans les médias et le journalisme, Rokhaya Diallo s’activait dans des domaines différents. Rien ne prédestinait la chroniqueuse et animatrice radio à évoluer dans le monde de l’audiovisuel. Portant un grand intérêt pour la sociologie et les questions liées aux droits de l’homme, elle décroche un baccalauréat économique-social en 2000, ensuite elle s’oriente vers des études de droit, d’où elle sort avec une maîtrise de droit international et européen. « A l’époque, en étudiant le droit, cela me paraissait comme l’une des filières les plus larges, un terrain vague. Je pense qu’à ce moment-là je ne savais pas trop ce que je voulais faire après mon diplôme, et si j’allais l’utiliser ou pas sur le marché du travail. J’étais convaincue au fond de moi que les perspectives offertes par le droit n’étaient pas vraiment mes centres d’intérêt !», lâche Rokhaya Diallo. Elle sera ensuite diplômée d’une école de commerce qui la conduit à un bref passage à IBM, qu’elle quittera en 2002 rejetant ainsi le milieu formaté du négoce et ses cadres en costume-cravate.
« Franchement, je m’y sentais comme un pion !», s’amuse-t-elle. Suite à cela, elle décide d’entreprendre un master en marketing et distribution dans l’industrie audiovisuelle à la Sorbonne, qu’elle obtiendra en 2003. « J’ai débarqué dans les médias complètement par hasard !», confie Rokhaya Diallo, en enchaînant : « Si on m’avait dit il y a 3 ans, que j’allais évoluer comme journaliste et chroniqueuse, je ne l’aurais jamais imaginé ».
Diallo n’a pas hésité à tenir tête à des figures médiatiques en France, Henri Guaino, conseiller spécial de l’ancien président Nicolas Sarkozy, le journaliste essayiste controversé Eric Zemmour — qui lui lancera en 2008 : « J’appartiens à la race blanche, vous appartenez à la race noire ». L’émission sera le théâtre du premier conflit télévisé entre la militante antiraciste et le polémiste, ou encore Robert Ménard, ancien président de Reporters sans frontières. « Ils étaient contrariés ! Ça les a déstabilisés de voir la parole d’une jeune femme mise au même niveau que le leur. De plus, ils savent que dans le fond mes propos étaient inattaquables », se souvient, ravie, Rokhaya Diallo. « Il fallait prendre l’initiative et plaquer aux murs les clichés racistes en France, bien qu’elle soit le pays qui observe le plus grand taux de mariage mixte », explique-t-elle, en ajoutant en riant : « Quand mon frère et moi disions que nous venions de la Courneuve, on nous regardait comme si nous étions des rescapés du Bronx ! C’est hallucinant, les gens s’étonnent de savoir que j’ai un seul frère ! Tout le monde s’attend à ce que mon père soit polygame !».
En 2007, Rokhaya Diallo crée en pleine campagne présidentielle Les Indivisibles, en référence au premier article de la Constitution française. « En gros, on a eu un ras-le-bol général de ces discours qui séparent les Français dits de souche, et ceux issus de l’immigration, qui doivent s’adapter et s’intégrer. Cette fracture n’a pas lieu d’être », lâche-t-elle, Les Indivisibles regroupent des Français de toutes les couleurs de peau : des noirs, Arabes, Asiatiques, blancs rassemblés pour présenter une autre vision de « l’identité nationale » que celle portée par Nicolas Sarkozy. Rokhaya Diallo et sa bande veulent « déconstruire » les préjugés ethniques et aimeraient que les couleurs de peau, origines, confessions diverses « ne donnent pas lieu à une désignation particulière ». Un antiracisme nouvelle génération, qui, pour faire la peau à l’idée que « la France est exclusivement composée de gens à la peau blanche », joue sur l’humour et le décalage. Leurs outils : le dessin animé et le clip plutôt que la pétition ou la manifestation.
Deux ans plus tard, la première édition des « Y’a Bon Awards », la cérémonie récompensant les auteurs de propos racistes, change le statut des Indivisibles et de leur présidente.
En 2011, sort « Racisme, mode d’emploi ». L’essai tant attendu de la fondatrice des Indivisibles. Un essai sociologique dans lequel Rokhaya Diallo retrace, avec force de détails, l’histoire de la pensée raciste en France. Rokhaya Diallo n’hésite pas à montrer du doigt ces comportements qu’elle qualifie de « néoracialistes » en ce qu’ils provoquent d’autres formes de racisme que celles traditionnellement admises. Elle écrit qu’on ne peut pas être médiocre quand ses racines ne sont pas strictement hexagonales. Mais que le combat antiraciste a en partie échoué : « Placer le racisme sur le terrain moral a été un problème. Décider, comme on l’a fait dans les années 1980, que Jean-Marie Le Pen était méchant, comme s’il lui manquait des qualités humaines ». Avec cet ouvrage, Rokhaya Diallo se défait de sa position de militante indignée pour prendre de l’ampleur et suggérer une réflexion sur les vrais préjugés. Elle a lu ses classiques, les intellectuels qui ont forgé l’idéologie raciste comme ceux qui l’ont combattue. Mais elle n’oublie pas d’intégrer dans son ouvrage des exemples concrets, tirés de sa propre expérience. Un essai qui tente de déconstruire les préjugés pour mieux les combattre.
Chroniqueuse, polémiste et animatrice sur 2 stations de radio (RTL, Le Mouv’) et 3 chaînes de télévision française (i>Télé, Canal+, La Chaîne parlementaire LCP), Rokhaya Diallo occupe l’espace médiatique pour mener son combat contre le racisme d’une manière qu’elle veut ludique. En obtenant le prix Cojep international reçu en janvier 2012, elle rappelle à l’ordre pour ceux qui lui reprochent d’amplifier le phénomène et de participer au repli identitaire de la société française.
Elle anime, depuis novembre 2011, un magazine mensuel Egaux, mais pas trop, sur la chaîne LCP, un programme qui ausculte la diversité de la France sous tous ses aspects, et qui présente une autre belle tournure dans le parcours audiovisuel de Rokhaya Diallo.
Quand ses détracteurs la taxent d’opportuniste qui a utilisé Les Indivisibles comme rampe de lancement, Rokhaya Diallo répond sans ménager : « Je n’ai rien à prouver à qui que ce soit. Quand bien même, cela irait-il à l’encontre des causes que je défends ?», avant d’ajouter : « Mais je ne suis pas étonnée de telles réactions, nous sommes en France, un vieux pays et un pays de vieux, où tout changement mobilise les résistances, les plus farouches ». Les coups de griffes la rendent lucide. Quand on lui pose la question sur son avenir médiatique, elle répond : « Je ne suis sûre de rien du tout ! Peut-être qu’un jour je dirai la phrase de trop. Les médias trouveront quelqu’un de plus jeune ou de plus drôle ». En ajoutant : « Quand je vois la galère par laquelle est passée la brillante journaliste Audrey Pulvar pour laquelle j’ai une énorme admiration, je me dis que ça pourrait s’arrêter un jour, je ne me projette pas vraiment dans une décennie, pas même une année … C’est la règle du jeu ».
Jalons :
1978 : Naissance à Paris.
2003 : Master en marketing et distribution dans l’industrie audiovisuelle.
2007 : Création de l’association Les Indivisibles.
2009 : Entre à Canal+ et RTL opinion.
2011 : Sortie de son livre Racisme, mode d’emploi, aux éditions Larousse.
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