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Yasmine Mohamad : Le nautisme au féminin

Nada El Hagrassy, Lundi, 07 novembre 2016

A 24 ans, Yasmine Mohamad a pu se faire une place parmi la junte masculine sur les chantiers. Cette première experte maritime égyptienne s’impose, avec tant de douceur et de rigueur.

Les autorités de Port-Saïd étaient assez réticentes quant à accepter la présence d’une jeune fille aux cheveux longs sur les quais ou à bord d’un navire en train d’accoster. Le fait d’être en uni­forme ou d’avoir un casque sur la tête ne réconfortait pas les fonctionnaires du port et ils ne pouvaient aucunement lui faire confiance, sachant notamment qu’elle était là pour résoudre un pro­blème, après qu’un bateau s’est heurté violemment au quai.

Yasmine Mohamad devait émettre son opinion: le cargo a été sévèrement endommagé alors qu’il portait des matières dangereuses. Et elle était la seule femme entourée d’une équipe de 12 hommes, afin d’examiner la situa­tion et d’en assurer le contrôle. En fait, cela lui arrive très souvent. « Je suis la première femme en Egypte à travailler en tant qu’experte maritime et flu­viale », lance fièrement l’ingénieure maritime, Yasmine Mohamad, 24 ans, en racontant sa deuxième mission sur un chantier à Port-Saïd. La première fois, c’était juste après avoir obtenu son diplôme à la faculté de génie mari­time et de construction navale, de l'Université d’Alexandrie. Les respon­sables de l’arsenal maritime de Port-Saïd furent choqués de voir une femme parmi l’équipe d’inspection et de contrôle nautique. Ils ont catégorique­ment refusé qu’elle monte à bord : « J’ai dû rester avec les gendarmes sur le quai. Puis, j’ai réussi miraculeuse­ment à les convaincre et après j’ai passé inaperçue », se souvient l’ex­perte maritime avec un large sourire sur les lèvres. A ses débuts notamment, ce genre de situation était monnaie courante.

Puis au fur et à mesure, elle a fait preuve d’une grande rigueur profession­nelle et a réussi à être la bienvenue sur les chantiers exclusivement masculins. Car une fois sur place, on se rendait compte qu’elle avait une bonne forma­tion et connaissait les mille et une ficelles du métier: juger l’état d’un bateau et de ses équipements, évaluer l’aptitude du vaisseau à naviguer, rédi­ger un rapport sur sa valeur au jour de l’inspection, mesurer les dégâts provo­qués par un accident, etc.

D’office alors, la réticence se transformait en appréciation. Et parfois, elle est bien plus sollicitée que ses collègues hommes, dans les différents arsenaux maritimes égyptiens. « En cas d’accidents survenus, soit dans les artères maritimes égyptiennes ou dans les différents ports, je monte à bord du navire endommagé pour inspecter, examiner et évaluer les dégâts causés par l’accident. Je rédige ensuite un rapport technique sur les dégâts, je propose une estimation du coût de la réparation et j’offre les conseils techniques adéquats », explique Yasmine Mohamad. Et d’ajouter: « Je suis égale­ment la seule femme en Egypte à examiner les dessous des navires endommagés, ce qui implique que je plonge dans l’eau profonde, sous le vaisseau, pour compléter l’inspection ».

Un choix que d’aucuns jugent étrange pour une jeune fille assez mignonne. Mais il est question de caractère. Dès sa tendre enfance, Yasmine Mohamad cherchait à être indépen­dante, à ne pas suivre les voies traditionnelles et à se distin­guer dans tout ce qu’elle fait. Née à Alexandrie, en 1992, au sein d’une famille ouverte d’esprit, elle a toujours servi d’exemple à ses jeunes soeurs. « Ma mère, médecin, ne m’a guère poussée à suivre le même destin qu’elle. Au contraire, elle m’a toujours encouragée à mener une carrière bien différente des communs des mortels », souligne Yasmine Mohamad.

Actuellement, c’est son mari qui a pris la relève, encourageant sa jeune épouse à faire son petit bonhomme de chemin. Il l’a soute­nue, contre vents et marées, respectant parfai­tement ses choix. Après avoir obtenu un très bon pourcentage au bac, elle aurait pu faire des études d’architecture. D’ailleurs, elle a toujours été fascinée par le style architectural méditerra­néen de sa ville natale. « Mais après avoir brillamment terminé l’année préparatoire à la faculté, il fallait choisir entre section architecture et celle de génie maritime. J’ai pris la deuxième option. Car la spécialisation génie maritime et construction navale me permettait de pratiquer la plongée sous-marine que j’adore », raconte Yasmine Mohamad. Et de poursuivre: « J’y ai trouvé ma véritable passion ». L’actuelle experte maritime a eu la chance d’être soutenue par ses professeurs, tels que Monsieur Mossaad Mosleh, qui appré­ciait son désir de se distinguer des autres. « J’ai tout de suite exercé le métier après avoir terminé mes études. Mon succès professionnel je le dois surtout à l’ingé­nieur maritime, Ahmad Nassar, le pro­priétaire de la société Nasa Marine Survey, où je travaille actuellement. Il s’est tout de suite montré enthousiaste quant à l’idée d’embaucher une femme en tant qu’experte maritime. Et il m’a beau­coup aidée à gra­viter les éche­lons », fait remar­quer Yasmine Mohamad. Son parcours acadé­mique et profes­sionnel est parse­mé de succès, alors qu’on aurait pensé qu’une première femme à exercer ce métier masculin devrait rencontrer pleines d’embûches. A la faculté, son projet de fin d’études s’intitulait « Green Fuel Applications on Offshore Supply Vessel » (usage de l’énergie verte pour les bateaux de service offshore). Il a été sélectionné par l’Institut britannique des ingénieurs maritimes comme étant le meilleur projet présenté par les universi­tés égyptiennes. Ensuite, elle a reçu le prix Chaher Sabet, récompensant les exploits pratiques du métier.

Puis le même prix, pour la deuxième fois, pour son projet de recherche « Safety and Fire Fighting Systems » (les sys­tèmes de sécurité incendie) qui fut publié dans la revue scientifique de la faculté de génie maritime. « Pour travailler, je n’ai pas eu recours à des pistons. J’ai juste cherché des postes vacants sur la toile, à travers les sites des sociétés oeuvrant dans le domaine de l’inspection mari­time. Je leur ai envoyé mon C.V. et j’ai été recrutée sur le champ, sans que la société exige une expérience préalable. Je me suis lancée dans le métier, juste après avoir terminé mes études en 2014 ». Un an plus tard, un cargo a chaviré dans le Canal de Suez.

Yasmine Mohamad s’est rendue sur place, à la tête d’une équipe d’inspec­tion. « J’ai plongé cette fois-ci puisque le fond du cargo était très endommagé. Tous les marins à bord, des Indiens pour la plupart, étaient très coopérants. Peut-être parce qu’ils ont l’habitude de côtoyer des femmes exer­çant le métier, dans les différents ports du monde », souligne-t-elle. Sa rigueur lui a toujours valu la réussite profession­nelle. Du coup, elle est la première agrégée afin d’émettre des permis sécuritaires à ses collègues, afin de monter sur des navires dépendants du ministère de l’Intérieur. Un domaine également réservé aux hommes jusque-là. Mais il y a toujours quelque chose qui vient troubler cette quiétude ou affecter sa réus­site. Certains responsables maritimes refu­sent catégoriquement voir une femme exer­cer le métier, quel que soit son niveau pro­fessionnel. « En 2015, il y avait un accident au port de Damiette. Les responsables de celui-ci ont catégoriquement refusé que je monte à bord du cargo endommagé. Pour eux, il était quasiment inimaginable qu’une femme évalue les dégâts et l’aptitude à navi­guer », s’exclame-t-elle. Avec le temps, ces derniers n’ont guère changé d’opinion.

Ils maintiennent leur veto quant à la rentrée d’une femme dans leur chasse gardée. Et ce, même si le nom de l’ingénieure maritime, Yasmine Mohamad, est désormais auréolée de suc­cès, dans tous les ports du pays. Car elle exerce son métier à Alexandrie, à Suez, à Ismaïliya, à Port-Saïd, à Noweiba … « A Damiette, ils sont plus conservateurs; Je dirais même rétrogrades », lance-t-elle, sans mâcher ses mots, comme pour prendre sa revanche et celle de toutes les femmes. Cet état d’esprit lui semble inadmissible au XXIe siècle.

Jalons

14 septembre 1992 : Naissance à Alexandrie.
Juin 2014 : Diplôme de la faculté de génie maritime et de construction navale, de l'Université d’Alexandrie. Mention très honorable.
Août 2014 : Début de sa carrière en tant qu’experte maritime.
28 juillet 2015 : Premier prix de l’Institut britannique des études maritimes pour son projet sur l’usage de l’énergie
verte dans le domaine du transport maritime.
2015 : Prix Chaher Sabet pour les exploits pratiques du métier.
2015 : Prix Chaher Sabet pour sa recherche sur les systèmes
de sécurité incendie.
2015 : Publication de sa recherche sur les systèmes de sécurité incendie, dans la revue scientifique de la faculté de génie maritime, à Alexandrie.
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