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Mahmoud Abou-Douma : Le parfum du sud

May Sélim, Mardi, 14 juin 2016

Metteur en scène, dramaturge et directeur de l'espace Teatro d’Alexandrie, Mahmoud Abou-Douma transforme les arts de la scène en un mode de vie. Son espace culturel offre des activités artistiques en même temps que des mets gastronomiques de la Haute-Egypte.

Mahmoud Abou-Douma
Mahmoud Abou-Douma, metteur en scène, dramaturge et directeur de l'espace Teatro d’Alexandrie.

Un ancien bâtiment construit sur le modèle romain, derrière le cinéma Rio, se fait remarquer parmi le chaos des vitrines de la rue Fouad à Alexandrie. Un petit coin pour faire une halte et partager des plaisirs artistiques. C’est le fameux Teatro d’Alexandrie, un café culturel, créé en 2012 et dirigé par l’homme de théâtre et animateur culturel, Mahmoud Abou-Douma. « La révolution du 25 janvier a changé la société et les différentes scènes culturelles arabes. Il était temps pour moi alors de poursuivre un ancien rêve : installer mon propre café culturel. En Egypte, faire de la culture n’a jamais été un métier rentable. Moi, j’ai pensé autrement. Je n’ai pas voulu faire partie des organismes de l’Etat qui adoptent une stratégie culturelle officielle. J’ai quitté mon poste en tant que professeur de théâtre à l’Université d’Alexandrie et mon travail comme programmateur culturel à la Bibliothèque d’Alexandrie pour m’adonner à mon projet. En coopération avec certains membres de la famille et en partenariat avec des amis, le Teatro est né. Deux ans plus tard, un autre Teatro a ouvert ses portes dans la banlieue cairote de Maadi ». Douma a fondé une entreprise commerciale afin d’autofinancer son projet. A la fin de l’année 2012, une partie des profits a été réinvestie dans la production artistique.

Le décor du Teatro nous éloigne de l’ambiance de la ville pour retrouver une autre plus hospitalière et rurale, qui nous rappelle le bon vieux temps, notamment les jours qu’il a passés en Haute-Egypte. L’homme de théâtre que l’on croirait purement alexandrin est en fait originaire de la ville de Sohag (sud de l’Egypte). « Les personnes originaires de la Haute-Egypte rêvent de la mer et d’Alexandrie. Quand on est du sud, on aspire à se diriger vers le nord. Mon choix était donc tout à fait normal, voire évident », explique-t-il.

Dans le coin restaurant du Teatro, c’est la femme de Douma qui décide du menu, contenant pas mal de plats connus de Haute-Egypte. Leur fille Amina, qui a fait des études en entreprenariat culturel, leur donne un coup de main, notamment en ce qui concerne la programmation. « Le travail familial est un concept assez répandu en Haute-Egypte. L’idée de présenter des plats authentiques égyptiens est un moyen de vivifier les traditions du sud où manger est surtout un rite social important », lance fièrement le père.

En plein Ramadan, le Teatro organise des soirées de narration ainsi que des concerts variés. Il offre au public des repas d’iftar et de sohour sur commande.

Abou-Douma s’est installé à Alexandrie vers la fin des années 1980. Cette ville côtière était une destination de réhabilitation pour lui, après la perte de plusieurs de ses amis dans un accident de la route. « J’ai voulu juste me reposer en séjournant deux ou trois mois à Alexandrie, avant d’aller au Caire et de poursuivre ma vie naturellement. Mais à l’époque, la faculté des lettres à l’Université d’Alexandrie a déclaré l’ouverture d’une nouvelle section de théâtre. Je me suis dit : voilà une belle occasion de concrétiser mon ancien rêve », raconte Abou-Douma.

Son enfance s’est déroulée entre Le Caire et la Haute-Egypte. « Ma mère étant originaire du Caire, mon père a construit une maison dans le quartier résidentiel d’Héliopolis. Il aspirait à ce que ses enfants poursuivent leurs études scolaires dans la capitale. Mais il était difficile à mes frères et soeurs de s’occuper de moi, vu mon jeune âge. Alors, je suis resté avec ma mère et j’ai été scolarisé dans une école de Haute-Egypte », poursuit-il.

Les années scolaires passées entre les villes de Sohag et d’Assiout, Abou-Douma en garde une image nostalgique, un peu idéalisée. Assiout, dit-il, ressemblait dans le temps au sud des Etats-Unis, une ville aristocratique et sophistiquée. Puis, il évoque une déclaration importante, parue autrefois dans la presse : « Mohamad Mandour (intellectuel et critique de renom) y affirmait que le Roman Saison de la Migration vers le Nord d’Al-Tayeb Saleh est le plus beau roman de l’histoire de la littérature universelle. Je ne savais pas à l’époque qui était ce Mandour. Mais sa déclaration m’a incité à lire le roman. J’ai demandé à un ami d’aller à la ville de Talla et de m’acheter une copie du livre mensuel des éditions Dar Al-Hilal, à trois piastres ».

Le monde romanesque de l’écrivain soudanais, Al-Tayeb Saleh, a bien ensorcelé le jeune Douma, devenu ensuite un mordu de la littérature. Cependant, ce dernier a été obligé par son père à poursuivre des études de commerce, à l’Université de Aïn-Chams. Abou-Douma assouvissait sa passion pour la littérature en fréquentant régulièrement le centre culturel russe, antenne d’Héliopolis. « A l’époque, Nasser encourageait la coopération avec les experts et militaires russes. Héliopolis regorgeait alors de ressortissants russes. Et pour divertir les familles des soldats et des experts en question, un centre culturel a été créé ; il était également ouvert au public égyptien ». Là-bas, le jeune Abou-Douma a découvert pas mal d’adaptations cinématographiques basées sur des oeuvres shakespeariennes.

Ses années d’études au Caire se sont vite passées sans grand intérêt. Sa carrière professionnelle n’était pas encore déterminée. « En étudiant le théâtre plus tard, je ne pensais guère devenir ni comédien, ni metteur en scène. Mais je me suis redécouvert », souligne-t-il d’un air comblé. Et d’ajouter : « J’ai été beaucoup influencé par mon professeur et metteur en scène Nabil Al-Alfi, qui m’a incité à monter des spectacles, à réinterpréter les textes et à bien contrôler les éléments d’une expérience théâtrale ». Comme d’autres jeunes de la section Théâtre, il a été encouragé par un autre professeur et metteur en scène : Abdel-Ghaffar Aouda. Ce dernier a instauré le théâtre de chambre au Caire, à Alexandrie et à Ismaïliya. Il a donné la chance à pas mal de jeunes étudiants de gérer à tour de rôle ces trois petites salles de représentation. « C’était un vrai laboratoire où j’ai beaucoup appris sur la production et la gestion théâtrale. Une expérience inoubliable », lance-t-il avec gratitude.

Pendant ces années de formation, Abou-Douma a découvert d’autres passionnés du théâtre qui veulent absolument en faire, coûte que coûte, dont Awatef Ibrahim et Estefan Mounir. « Nous nous sommes retrouvés parce qu’on cherchait à s’exprimer librement, en dehors des organismes officiels de l’Etat ».

Le diplôme en poche, il a poursuivi des études supérieures pendant deux ans à l’Académie des arts, avant d’être embauché comme professeur de théâtre à l’Université d’Alexandrie. Ce fut là ses premières tentatives professionnelles dans le domaine de la dramaturgie et de l’adaptation des textes littéraires. Quelque temps après, il a fondé avec ses amis alexandrins la troupe du théâtre alternatif. « On était autofinancés. On cherchait à présenter ce qu’on voulait. On tenait nos répétitions, parfois sous la pluie, dans le jardin de l’Atelier d’Alexandrie. Ensuite, on s’est déplacé vers l’Institut Goethe où les répétitions se tenaient dans une classe, en dehors des heures de cours. Plus tard, j’ai rencontré le frère Fayez, directeur du Centre culturel des Jésuites et j’ai travaillé avec lui. Celui-ci nous a offert un espace pour travailler, de quoi nous avoir garanti une certaine stabilité ». La troupe a donc pu présenter Raqsat Al-Aaqareb (la danse des scorpions), Al-Gharqa (les naufragés), Etr Al-Banat (le parfum des jeunes filles) et autres. Ces premiers spectacles, basés sur des textes universels, comprenaient aussi des scènes empruntées à la vie égyptienne. On y retrouvait par exemple dans Les Incendiaires et La Vie de Strindberg des scènes évoquant le balayage des rues par des pauvres ouvriers, les rites des funérailles, le fabriquant des cercueils, etc.

Mais Abou-Douma, depuis 2007, s’est adonné de plus en plus à la narration et à l’art des contes. Il avait besoin de partager tant de secrets et d’images du passé, pour s’en décharger. « J’ai subi une opération à coeur ouvert. Et j’ai passé ma convalescence en Allemagne. Un jour, le psychiatre m’a demandé d’être plus relax, car ce petit organe qu’est le coeur porte en lui tant de peines et de maux : la colère, la fatigue, alors, il faut lui réserver plutôt de la joie, le soigner. Et la narration m’a permis de me confesser, de me laisser aller ».

Abou-Douma livrait ainsi dans ses ouvrages des secrets et des images qu’il portait depuis sa vie en Haute-Egypte. Il racontait les histoires des êtres en chair et en os. Il partait du réel pour ensuite évoquer le mythe. « Je sais que mes personnages sont issus de la réalité. J’ai entendu parler d’eux ou je les ai rencontrés moi-même. Mais à un certain moment, on ne parvient plus à savoir si le conte narré est purement réel ou imaginaire ». Ses contes puisent souvent dans les traditions et les moeurs de la Haute-Egypte. Ils en tirent toute leur authenticité.

Son dernier spectacle Aatab Al-Biyoute (paliers des maisons) est basé sur la narration intime, d’autres mystères de la Haute-Egypte se dévoilent encore. Il sera bientôt en tournée dans plusieurs festivals culturels et littéraires, en Allemagne et en Angleterre, en 2016 et 2017. « Je continue à écrire des contes et des nouvelles. Je suis tombé sur un trésor inépuisable : mes propres souvenirs sur la Haute-Egypte », conclut Abou-Douma.

Jalons :

17 juillet 1953 : Naissance au Caire.

1980 : Début de son séjour à Alexandrie, sa ville d’adoption.

1989 : Création de la troupe du théâtre alternatif.

1991 : Participation au lancement du mouvement du théâtre indépendant.

2012 : Fondation du Teatro d’Alexandrie.

2015 : Publication du recueil de nouvelles : Aatab Al-Biyoute (paliers des maisons).

2016 : Création du spectacle Aatab Al-Biyoute et participation à la célébration du jubilé d’argent du mouvement du théâtre indépendant.

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