Il avait à peine 12 ans lorsqu’il a écrit sur les étiquettes des cahiers scolaires : Colonel pilote, Mohamed Zamzam. C’est ainsi qu’il aimait qu’on l’appelle. En classe, en famille ou entre amis, tout le monde était conscient que ce petit villageois, né au gouvernorat de Gharbiya, dans le Delta égyptien, faisait de son mieux pour devenir pilote. « Le bruit de l’engin d’un avion qui décolle faisait vibrer mon coeur. Je pouvais distinguer le type d’avion qui croisait le ciel de notre village, rien que par le bruit du moteur. Mon plus grand plaisir était de lire sur le monde fascinant de l’aviation, bien avant d’être admis à la faculté ». Un monde auquel il a consacré toute sa vie. L’aviation a de tout temps été son champ de prédilection, son unique source de joie et surtout le domaine dans lequel il excelle.
Il est difficile de lui attribuer un titre tellement son parcours est riche. Diplômé de la faculté d’aviation et d’études militaires en 1969, il obtient aussi un certificat en gestion des aéroports de la part de l’Aviation Training and Development Institute à Montréal au Canada, un diplôme en arbitrage international en matière d’aviation, puis une licence d’aviation civile pour exercer le métier de pilote sur des lignes commerciales. Plus tard, il s’est chargé de la formation des pilotes fraîchement diplômés afin de les préparer aux risques du métier. Et a occupé le poste de directeur de plusieurs aéroports égyptiens comme Charm Al-Cheikh, Borg Al-Arab et Louqsor. Puis, il a été nommé PDG de la Société égyptienne des aéroports en 2004, avant de devenir conseiller du ministre de l’Aviation.
Aujourd’hui, ce pilote à la retraite est un expert renommé de l’aviation. Car cet ancien officier des forces aériennes égyptiennes a également accumulé de longues heures de vol dans le secteur de l’aviation civile. Si on le voit souvent, en ce moment, sur les écrans de télévision c’est parce qu’il est l’un des spécialistes les mieux placés pour analyser le dernier crash du vol d’Egyptair, qui a coûté la vie à 66 personnes dont les 10 membres d’équipage.
Dans son bureau, situé au siège du Club aéronautique du Caire, il passe ses journées à lire et à relire les documents ayant trait à ce genre d’accident. En parlant du capitaine de l’avion sinistré, on a l’impression qu’il évoque le souvenir de l’un de ses propres enfants. « Nos pilotes ne commettent pas de suicide. Ce scénario est non seulement exclu, il est pratiquement impossible ». Son argument est le suivant : « Avant d’obtenir le permis pour exercer le métier, les pilotes de l’air égyptiens subissent plusieurs tests médicaux et psychologiques, très stricts. Puis tout au long de leur carrière, ils sont soumis à d’autres tests périodiques pour assurer la sécurité des vols. Ces contrôles sont validés tous les six mois, afin d’écarter le moindre doute. En cas d’échec, on peut retirer au pilote son permis d’exercer. Car il s’agit d’une personne à qui on confie la vie des passagers, elle doit être constamment sous surveillance, et de manière régulière, pour qu’on soit sûr qu’elle est apte à piloter, ou comme on dit dans notre jargon : fit to fly ».
Accumuler de longues heures de vols, effectuer des stages de formation en continu, passer des concours internationaux, telles sont les conditions requises pour continuer à exercer ce métier.
Selon Zamzam, le pilote est le seul maître à bord après Dieu. Il apprend, durant ses années de formation, à identifier les risques, à les évaluer pour parvenir à mieux maîtriser son engin. « La mission du pilote débute quelques heures avant le décollage, avec la vérification des engins et les divers préparatifs. Durant le vol, sa tâche prioritaire reste la sécurité des passagers ». Zamzam est bien placé pour le dire, ayant à son actif une belle expérience et une longue carrière. Il doit apprendre à ses futurs collègues la manière de faire face aux difficultés. « La préparation technique du vol prévoit tout dans les moindres détails. On doit s’assurer de rester en contact avec les contrôleurs aériens, de pouvoir surveiller toutes les manoeuvres et informations durant le vol. Un pilote est avant tout un chef d’équipe. On lui apprend à réagir immédiatement en cas de problème durant le vol. Les pilotes sont entraînés pour faire face à toutes les éventualités. Car un pilote n’a pas droit à l’erreur ».
L’expert affirme également qu’un pilote doit toujours gérer sa fatigue et qu’il existe mille et une astuces pour sauver un avion, en cas de défaillance technique lors de l’atterrissage. Zamzam, étant lui-même un pilote assez rodé, parle en connaissance de cause, il est lui-même passé par là. En tant qu’officier de l’armée, il a piloté des avions de combat, pendant la guerre du 6 Octobre, ensuite il a été à la tête de plusieurs missions d’appui, chargées de soutenir d’autres troupes, puis il a conduit des avions de ligne civile. Peu importe le poste qu’il occupe ou le service où il travaille, l’essentiel pour lui est d’être dans une cabine. Ceci signifie « voler et vaincre le danger ». « Nous sommes bien entraînés pour éviter les zones de turbulence atmosphérique. Nous devons être en pleine forme physique et avoir un excellent équilibre nerveux », affirme Zamzam. A chaque fois qu’il parle du dernier crash d’Egyptair, on voit apparaître une colère latente dans ses yeux. Il suit les nouvelles de près, tente d’analyser les données du vol et donner les réponses techniques les plus fiables. « Accident ou attentat, toutes les options sont ouvertes, bien que de nombreux indices rendent celle d’un acte terroriste la plus probable ».
Zamzam favorise plutôt l’hypothèse de l’attentat, même s’il tient à se mettre à l’abri des spéculations. « La situation laisse à penser que la probabilité d’une attaque terroriste est plus élevée, à comparer avec celle d’une défaillance technique ».
Mohamed Zamzam suit minute par minute la recherche des boîtes noires, au fond de la Méditerranée, et souhaite que le rapport de la commission d’enquête soit rendu public, en toute transparence. Et ce, « pour préserver la notoriété des pilotes égyptiens et celle de la société Egyptair. Celle-ci, ayant quelque 84 ans d’existence, a obtenu des certificats internationaux d’excellence ». Cependant, la plus grande leçon à tirer de cette tragédie est, selon lui, de ne pas « s’incliner face aux catastrophes ». Et d’ajouter : « Lorsqu’un pilote monte dans son appareil et rentre dans son cockpit, c’est le métier, le professionnalisme, qui prend le dessus ».
L’ancien général à la retraite a toujours suivi ce principe au pied de la lettre. Prudent, aux commandes de son jet, il a toujours considéré l’avion comme le moyen de transport le plus sûr. « L’avion reste ma place favorite. Il l’a toujours été et ceci ne va guère changer. Chaque vol était pour moi un événement à célébrer, comme si c’était la première fois ».
Ses yeux pétillent, en se rappelant ses premiers vols lorsqu’il était encore étudiant à l’école d’aviation. « J’attendais impatiemment ces moments. Mon rêve était de survoler mon village natal à Gharbiya, afin de saluer ma mère et ma fiancée qui attendaient mes passages furtifs. A l’époque, nous n’avions pas le droit à des congés réguliers, que ce soit à la faculté ou plus tard à l’armée ».
Aujourd’hui, les choses ont changé positivement, mais les défis à relever sont de plus en plus éminents. « Ces dernières années, les compagnies d’aviation ainsi que les pilotes de l’air doivent faire face à de nouveaux défis. Les attentats et les explosions ont lourdement affecté l’activité de nombreuses sociétés. Il est plus que jamais essentiel d’élaborer de nouveaux plans de sécurité, afin d’éviter les tragédies ».
Le nombre d’accidents est en hausse, mais Zamzam continue à voir dans le métier de pilote son rêve d’enfance. Tout petit, il se voyait déjà aux commandes d’un avion de combat, d’un Boeing ou d’un Airbus, qui parcourt la planète. Ce rêve est aussi une passion que son fils a héritée. Egalement pilote, ce dernier est habitué aux milieux et aux codes de l’aviation. « Dès son plus jeune âge, il m’accompagnait d’un aéroport à l’autre, c’était le seul moyen de le voir lorsque je n’avais pas droit à des congés. Le bruit des engins lui est si familier. Il est comme moi. Il sait qu’entre le pilote et son avion, il y a toute une histoire d’amour ».
Jalons :
1948 : Naissance à Gharbiya, dans le Delta égyptien.
1969 : Diplôme de la faculté d’aviation.
2002 : Certificat en gestion de l’aviation civile, de Montréal.
2004 : PDG de la Société égyptienne des aéroports.
2006 : Conseiller du ministre de l’Aviation.
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