Vendredi, 11 octobre 2024
Al-Ahram Hebdo > Visages >

Salah Sabri : La science dans la peau

Nada El Hagrassy, Lundi, 18 avril 2016

Récompensé par la Fondation Fikr pour avoir utilisé la technologie du nano dans la guérison de certaines maladies comme le cancer, l’académicien Salah Sabri Obayya poursuit ses recherches dans le domaine des photons, des cellules intelligentes et de l’énergie propre. Il vient d’être nommé vice-président de la cité Zoweil pour les sciences et la technologie.

Salah Sabri
(Photo:Ahmad Abdel-Razeq)

Grand detaille, à l’allure d’un lord anglais, le professeur Salah Sabri Obayya est l’incarnation même de l’intelligentsia scientifique égyptienne. Une tasse de thé à la main, il explique sur un ton posé le motif derrière sa décision étonnante de quitter le Royaume-Uni où il résidait et travaillait depuis une quinzaine d’années et de rentrer en Egypte. « J’ai été très confus après les événements bouleversants de janvier 2011 et je ne savais pas quoi faire. Continuer ma carrière et ma vie là où je suis ou rentrer en Egypte ? C’était une équation difficile à résoudre », dit-il.

Pour beaucoup d’Egyptiens résidant à l’étranger, la révolution de janvier 2011 a été perçue comme un choc. Après de longues décennies de stagnation, le temps du changement est-il enfin arrivé ? Mais le fait de voir le célèbre homme de sciences, Ahmad Zoweil, en train de se battre afin de construire une nouvelle cité des sciences et de la technologie en Egypte a donné espoir à Obayya. « J’ai été très touché par cette initiative. J’ai demandé à rencontrer Ahmad Zoweil qui m’a généreusement accordé plus de trois heures d’entretien. J’ai vite constaté qu’on partage les mêmes points de vue quant à la relance de la recherche scientifique dans la Vallée du Nil. C’est un simple geste de gratitude envers la patrie », estime Obayya en contemplant complaisamment une photo de lui avec Ahmad Zoweil. Et d’ajouter : « Cet entretien a mis fin à ma confusion et à ma réticence. J’ai décliné plusieurs offres d’occuper d’importants postes académiques dans différentes universités prestigieuses britanniques, j’ai plié bagage et me voilà en train de travailler à la cité Zoweil pour les sciences et la technologie ».

Issu d’une famille traditionnelle du gouvernorat de Daqahliya (dans le Delta égyptien), Salah Obayya se passionne pour la lecture dès son jeune âge. Il essayait à travers ses lectures très diversifiées de trouver son propre chemin. « C’est grâce à mon professeur de mathématiques à l’école préparatoire, Adel Al-Sawah, que j’ai découvert ma capacité de résoudre les équations mathématiques les plus compliquées et de les lier ensuite aux autres disciplines scientifiques : la physique, la chimie et la biologie. J’ai toujours considéré les sciences et les mathématiques comme une unité indivisible », dit-il. Sa voix tremble, rien qu’en se rappelant son professeur de mathématiques à qui il doit son parcours. Et d’ajouter : « Monsieur Adel m’encourageait beaucoup durant les cours. Il m’a même permis de venir en aide à d’autres camarades de classe qui avaient des difficultés en mathématiques. Je leur expliquais les différentes étapes à suivre pour arriver à la solution requise. Le professeur, qui donnait des leçons particulières, m’invitait souvent à l’assister, pensant que je pouvais éventuellement le seconder », raconte-t-il non sans nostalgie.

Le baccalauréat en poche, Salah Obayya a rejoint la faculté de polytechnique à l’Université de Mansoura. Il a choisi la section télécommunications et électrons où l’on fait constamment la correspondance entre les mathématiques et la physique. Ensuite, il a poursuivi ses études supérieures. Et a brillamment obtenu en 1994 un master en micro-ondes de l’Université de Mansoura. Puis, en 1999, il a soutenu une thèse sur les photons et les matières intelligentes, un doctorat passé en cotutelle entre l’Université de Mansoura et la prestigieuse City University London, au Royaume-Uni.

Vu sa spécialisation assez pointue, il a occupé différents postes dans des universités britanniques telles que senior chercheur à la City University London, un reader professor à l’Université de Leeds, et professeur à l’Université South Wales. De succès en succès, le savant d’origine égyptienne remporte plusieurs prix internationaux pour ses travaux de recherche sur l’énergie propre.

Parfois le calme et l’ambiance sereine de ces longues années passées à l’étranger lui manquent atrocement. Ils sont indispensables à la recherche scientifique, mais ce n’est pas évident de les retrouver une fois en Egypte. « Le plus important pour un chercheur, c’est de travailler pendant 16 ou 18 heures par jour. Le calme et la sérénité l’aident à se concentrer, à méditer. Il regarde l’équation en question avec un oeil nouveau et arrive à trouver des solutions novatrices. J’ai souvent résolu des équations difficiles pendant la pause-déjeuner. Pour ce, je préférais habiter dans les campus universitaires. Ici au Caire, j’habite à dix minutes de la cité Zoweil. Et c’est pratiquement la plus longue distance jamais parcourue entre ma résidence et mon lieu de travail », estime-t-il.

Mais la tranquillité n’est pas la seule chose qui fait défaut dans les milieux scientifiques en Egypte. « L’un des problèmes majeurs qui entravent la recherche scientifique en Egypte est l’existence des universités privées qui n’enseignent pas grand-chose. Celles-ci détruisent le système de l’enseignement supérieur. Les universités publiques ne jouent cependant pas leur rôle. Tout l’enseignement supérieur est en décadence », dit-il. Malgré ses déplorations, le savant maintient l’espoir. Il poursuit : « C’est pour faire face à ce phénomène du privé que la charte de la cité Zoweil pour la science et la technologie stipule que c’est une institution publique, à but non lucratif, financée par les donations des particuliers ». De quoi lui préserver son objectif initial : la recherche scientifique.

Les locaux de la cité Zoweil reflètent l’idée de son fondateur : des laboratoires modernes, des biens d’équipement de tout genre, mais ce n’est là que le bât blesse. Professeur Obayya cite, parmi tant d’autres obstacles : « C’est la loi n° 49 de l’année 1972 concernant l’organisation et la fonction des universités qui pose problème. Cette législation correspondait bien à l’époque de sa promulgation. Mais les temps ont changé depuis. Du coup, le chercheur bénéficie de législations mettant de l’ordre dans son travail, mais elles ont subi tant d’amendements et demeurent lettre morte ».

Selon lui, la différence entre le système de recherche scientifique en Egypte et celui adopté en Occident est que là-bas il y a une gestion efficace des sources financières, humaines et logistiques. « Les budgets alloués aux universités et aux centres de recherche situés en Occident peuvent être colossaux, mais ils sont très bien gérés. Il n’y a pas de gâchis, comme en Egypte. On peut aussi avoir des établissements scientifiques à budgets moyens, réalisant des résultats spectaculaires pour la même raison : une bonne gestion. C’est le mot d’ordre valable pour tout succès ».

A la cité Zoweil, ils ont donc essayé d’adopter un système assez performant. Dans les laboratoires de physique, les outils et les biens d’équipement sont séparés les uns des autres. On ne peut guère tomber sur deux étudiants partageant un même appareil en effectuant les diverses expériences. Chacun d’eux peut échanger les places avec ses collègues, si besoin il y a. « De quoi leur permettre de profiter de tous des appareils sophistiqués et de multiplier les travaux pratiques. Le fait de ne pas avoir plus que deux étudiants par expérience donne libre cours à leur imagination débordante », souligne le professeur Obayya, lors d’une tournée dans les laboratoires.

Le président académique de la cité Zoweil est toujours présent parmi les étudiants, il observe leurs expériences d’un oeil vigilant. « Je dirige les travaux d’un groupe de jeunes chercheurs qui essayent d’envelopper les composantes d’un médicament donné par une cellule intelligente. Ceci signifie que lorsque le patient avale le comprimé, cette cellule intelligente injecte directement la dose requise dans le sang, sans avoir besoin de prendre le médicament plusieurs fois par jour. En outre, je supervise les travaux d’un autre groupe lequel développe des cellules capables d’absorber le maximum de rayons solaires et de les transformer en courant électrique ».

A-t-il atteint l’apogée de sa carrière ? Absolument pas. « Ma carrière scientifique repose sur la découverte de nouveaux moyens d’améliorer la vie des gens », souligne-t-il. C’est un processus en continu .

Jalons :

27 mai 1967 : Naissance dans la ville de Cherbine, au gouvernorat de Daqahliya.
1991 : Diplôme en polytechnique, à l’Université de Mansoura.
1997 : Doctorat sur les photons, à la City University London, au Royaume-Uni.
1997 à 2003 : Senior chercheur à la faculté de polytechnique à la City University London.
2003 à 2006 : Maître de conférences à la faculté de polytechnique, de l'Université Brunel West London.
2005 : Prix de l’Encouragement de l’Etat.
2008 : Professeur et chef du département des photons à l’Université Glamorgan au Royaume-Uni.
2012 : Prix de la Distinction de l’Etat.
2014 : Prix de l’Académie de la recherche scientifique. Prix de la Fondation Abdel-Hamid Chouman.
2015 : Vice-président académique de la cité Zoweil pour les sciences et la technologie.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique