Jamais elle n’aurait imaginé devenir un jour ministre. Elle se rappelle encore le jour où elle avait quitté sa ville natale Alexandrie, pour se rendre à la faculté de sciences politiques. Agée de 18 ans, à l’époque, Nabila Makram était venue s’installer avec sa grand-mère dans la capitale égyptienne avec un rêve : celui de devenir ambassadrice, pour créer des ponts, des ententes et des liens entre l’Egypte et le pays où elle allait être accréditée. Depuis son enfance, elle se voyait diplomate, voyageuse, ouverte au monde et aux autres cultures. Une fois son diplôme en poche, l’aventure a alors commencé. « La diplomatie est un métier humain, une vocation qui permet de créer des ponts entre les peuples, d’améliorer la connaissance mutuelle et d’approfondir les relations internationales. J’ai toujours rêvé de représenter mon pays à l’étranger et de promouvoir l’image d’une Egypte moderne et forte. Un grand défi, surtout lorsqu’il s’agit d’un pays qui joue un rôle important dans le monde et qui a une situation géostratégique unique. Pour une diplomate, cela constitue à la fois un défi et un privilège ». Dans chaque pays où elle avait servi, et lors de chaque mission, elle travaillait d’arrache-pied pour faire preuve de ses talents diplomatiques. En effet, la politique étrangère est son champ favori. C’est un domaine qui lui permet d’exercer ses capacités de négociatrice, de favoriser l’entente entre deux pays et de jouer le rôle de médiatrice.
Nabila Makram présente un portrait singulier de « la ministre » avec une certaine liberté d’expression, un langage différent, loin des déclarations officielles. Sa douceur et sa finesse cachent une forte personnalité à la fois intelligente, déterminée et sûre d’elle-même. Un style vestimentaire simple et élégant et un sourire discret créant un subtil équilibre entre un côté à la fois naturel et sophistiqué. Elle a également un vrai talent en communication. « Les stratégies linguistiques sont au coeur de la communication diplomatique. Il faut savoir comment atténuer et nuancer un discours en étant habile et efficace. Ce n’est pas dans la brutalité que l’on peut construire des liens entre les pays ».
Cette femme dynamique a occupé des postes au Brésil, aux Etats-Unis, en Italie et aux Emirats arabes unis. Et ce, avant de prêter serment en septembre 2015 et être en charge du nouveau portefeuille ministériel de l’Emigration et des Affaires des Egyptiens à l’étranger. Lors de ses missions à l’étranger, Nabila Makram a tout fait pour exceller dans chaque poste, pour prouver son engagement et son expertise. Son adage est celui de chercher l’origine du problème pour pouvoir parvenir aux solutions adéquates. Un principe qu’elle continue à appliquer en tant que ministre. « Lors de mon service à l’ambassade en Italie, j’ai constaté qu’un nombre important de mineurs avaient clandestinement quitté l’Egypte pour se rendre en Italie par la mer. Une fois arrivés, ils sont logés dans des centres d’accueil dans le but d’apprendre la langue et d’être scolarisés. Mais ces enfants ne tardent pas à fuir ces centres. Sous la pression de leur famille en Egypte, ils doivent à tout prix trouver un métier pour envoyer de l’argent à leurs parents. Malheureusement, la plupart d’entre eux finissaient par se retrouver dans la rue, à mendier ou à vendre des légumes. Certains d’entre eux sont exploités dans des activités illégales ». Une situation dramatique qui a poussé Nabila Makram à se rendre plusieurs fois dans ces centres d’accueil pour s’informer sur les conditions de vie de ces mineurs et pour tenter de les persuader à ne pas prendre la fuite. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Elle fait des recherches et constate que la ville de Minya est la première exportatrice d’enfants migrants illégaux, dont beaucoup finissent par périr en mer. Elle décide donc de rencontrer les parents de ces mineurs, leur projeter des documentaires sur la situation de leurs enfants en Italie. « Mais la chose la plus frustrante c’est que ces enfants ont des sentiments négatifs envers leur pays. Ils préfèrent risquer leur vie que de retourner dans leur village où les conditions de vie sont très critiques ». Elle décide donc de lancer des projets de développement à Minya, mobiliser certains hommes d’affaires pour fonder de petits ateliers et usines de recyclage où ces enfants peuvent gagner leur vie et éventuellement renoncer à l’émigration clandestine.
Diplomate ou ministre, elle reste fidèle à ses convictions : la solidarité et la protection des droits à tout prix.
Ainsi, à la suite du récent accident du dépôt de bonbonnes de gaz en Jordanie où de nombreux égyptiens ont trouvé la mort, Nabila Makram s’est immédiatement rendue sur place pour s’assurer du bon déroulement des procédures, que ce soit pour le rapatriement des corps ou pour négocier avec les autorités jordaniennes, afin de garantir des indemnisations aux familles des victimes. « Ces Egyptiens qui ont trouvé la mort en Jordanie étaient des travailleurs journaliers. Ils ne bénéficiaient d’aucune couverture financière et n’avaient droit à aucune assurance. Mais lorsque les responsables jordaniens ont vu que la ministre s’est déplacée pour revendiquer leurs droits, on a réussi à obtenir des dédommagements pour les familles. Et ce n’est pas tout. On a signé un accord qui permet à cette main-d’oeuvre égyptienne de bénéficier dorénavant d’assurance. Nous arrivons ainsi à imposer le respect, lorsque nous faisons ressentir aux autres pays que la dignité du citoyen égyptien passe avant tout », explique-t-elle.
Mais le message le plus important qu’elle tente de véhiculer est adressé aux Egyptiens qui résident à l’étranger. Elle cherche à leur faire comprendre que leur pays sera toujours présent à leur côté, surtout au moment de crise.
Se battre pour les droits des plus faibles a toujours été le but de Nabila Makram tout au long de sa carrière de diplomate.
« En revendiquant les droits des Egyptiens, je prends en considération toutes les sensibilités politiques ou culturelles. A chaque crise, j’insiste sur le fait que nous respectons les lois et que nous avons confiance dans la justice du pays hôte. Connaître l’Autre permet d’avancer dans une négociation. C’est là le secret d’un diplomate. Il sait créer des intérêts pour son pays, il a une large vision du monde et est toujours flexible ».
Pourtant, il lui arrive souvent de se heurter à la bureaucratie de son propre pays, ce qui entrave parfois sa lutte pour l’obtention des droits des Egyptiens à l’étranger. « Lors de mes tournées dans certains pays du Golfe, j’ai appris que 400 000 Egyptiens originaires de Sohag travaillent en Arabie saoudite, et que le nombre des Sohaguis qui travaillent au Koweït s’élève à 250 000. Mais malgré ce nombre important, l’aéroport de la ville de Sohag n’accepte pas de recevoir les corps des Egyptiens décédés à l’étranger. Ce qui oblige les familles des défunts de faire un long trajet vers l’aéroport le plus proche, et donc de perdre énormément de temps avant d’enterrer leurs proches. Et tout cela pour une raison ridicule. L’aéroport de Sohag ne dispose pas d’un département de cargo et donc n’est pas autorisé à recevoir des cadavres. Je trouve humiliant de faire subir aux familles déjà en détresse une si longue attente ». Elle décide donc de se rendre à Sohag pour s’entretenir avec le gouverneur et les responsables de la ville, afin que ce problème soit résolu.
C’est grâce à sa créativité et sa détermination qu’elle tente de sortir gagnante de chaque négociation. Ses missions à l’étranger ont fait d’elle une personne ouverte aux différentes cultures qui n’ont fait qu’enrichir son caractère. Toutefois, elle n’a pas su échapper aux critiques. Ainsi, le jour où la ministre a prêté serment, elle portait une chemise à courtes manches. Certaines mauvaises langues n’ont pas hésité à se déchaîner sur les réseaux sociaux contre cette tenue, parlant d’une « horreur ». Nabila Makram n’a pas tardé à répondre sur sa page Facebook en publiant une photo de Djamila Bouhired, (symbole du combat algérien pour l’indépendance) lors d’une de ses rencontres avec le président Nasser, habillée d’une robe à manches courtes. « Ce qui m’a choquée le plus c’est qu’au XXIe siècle, on s’attarde sur de tels sujets futiles. J’aurai bien aimé que ces personnes qui ont critiqué mon allure vestimentaire s’intéressent plutôt à mon expérience et à mes compétences professionnelles, à mes futurs plans au ministère et aux efforts que je vais déployer pour améliorer le statut des Egyptiens à l’étranger. Il est regrettable que l’on continue à limiter la femme à son apparence physique ».
Pour elle, les femmes ont su s’affirmer dans la société, mais cette dernière n’a toujours pas su accepter cette réalité. « Pourtant, grâce à son professionnalisme, la femme a réussi à jouer un rôle au premier plan dans les relations internationales ».
Si Nabila Makram a réussi un tel parcours, c’est grâce à son caractère et à ses convictions que son école a forgés. « Dans mon école chez les soeurs de la Sainte-Jeanne Antide, j’ai appris comment être autonome, accepter les défis, prendre des risques et aider les autres quelles que soient leur culture et leurs convictions ». C’est ainsi qu’elle a également appris à ne pas se laisser décourager. Lors de sa carrière, elle a dû faire des sacrifices. Il n’était pas toujours facile de concilier les contraintes professionnelles et les devoirs familiaux. « On se trouvait tous les quatre ans dans un pays, on devait tout refaire à zéro. Ce qui a perturbé la scolarité de mes enfants qui devaient dans chaque pays se faire de nouveaux amis et s’adapter aux nouvelles conditions de vie. J’ai tout fait pour leur créer une ambiance chaleureuse à la maison. J’invitais des Egyptiens et des étrangers, j’organisais des iftars lors du mois de Ramadan. Malgré tous les sacrifices, je reste convaincue que mes enfants sont chanceux d’avoir vécu une expérience aussi riche. Ils sont devenus ouverts aux autres cultures et ont des amis de différentes nationalités ». Aujourd’hui, elle ne regrette pas son choix. Son fils aîné fait des études universitaires aux Etats-Unis. Quant aux deux autres garçons, ils l’accompagnent dans ses différentes destinations. « Il est parfois utile de quitter sa zone de confort et d’aller à la découverte d’autres horizons ». C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait il y a presque trente ans, lorsqu’elle avait quitté Alexandrie pour réaliser son rêve. « A Alexandrie, j’avais des amis étrangers, il était habituel de côtoyer des personnes de différentes cultures, de parler plusieurs langues. Cette ville méditerranéenne et cosmopolite m’a facilité cette ouverture sur le monde ».
Et même si elle peine parfois à faire face aux mentalités conservatrices qui gèrent la société, elle puise de ses talents de diplomate et décide de poursuivre son combat tout en conservant ses convictions et ses principes.
Jalons :
1969 : Naissance à Alexandrie.
1991 : Diplôme de sciences politiques, Université du Caire.
1997 : Troisième secrétaire à l’ambassade égyptienne au Brésil.
2004 : Deuxième secrétaire au consulat de Chicago.
2007 : Premier secrétaire à l’ambassade égyptienne à Rome.
2015 : Ministre de l’Emigration et des Affaires des Egyptiens à l’étranger.
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