Samedi, 15 février 2025
Al-Ahram Hebdo > Visages >

Ahmad Al-Kosheiry : Droit, savoir et respect

Amira Doss, Dimanche, 20 mars 2016

Au cours de sa longue carrière, Ahmad Al-Kosheiry, juge international et arbitre, a participé à la résolution d'un nombre impressionnant de litiges. Sommité du monde des juristes, pour lui, la justice doit s'appliquer, vaille que vaille.

Ahmad Al-Kosheiry
(Photo:Mohamad Maher)

C’est dans son cabinet de consultations juridiques internationales, situé dans le quartier de Garden City au Caire, qu’il passe ses journées. Entouré de livres de droit, il s’attelle à la recherche de la vérité, de la justice. Un état d’esprit hérité de son grand-père, lui aussi juge. « Quand j’avais sept ans, j’admirais les exploits et les succès de ce grand homme. J’étais prêt à tout pour suivre ses pas. Ma mère m’a montré des cahiers où j’avais écrit qu’un jour, j’allais être un étudiant brillant à la faculté de droit et que j’allais occuper une place importante dans le monde de la justice ». Et l’ambition du plus jeune âge est devenue réalité.

Aujourd’hui, Ahmad Al-Kosheiry est l’une des figures qui ont marqué l’histoire du droit, de la justice internationale et de l’arbitrage. Le nombre de postes qu’il a occupés, les procès internationaux qu’il a jugés, les universités mondiales de renommée qu’il a fréquentées et les oeuvres qu’il a éditées sont impressionnants. Une personnalité qui, selon ceux qui l’ont bien connu, présente une école singulière dans la résolution des litiges et dans la justice arbitrale.

Licencié de droit de l’Université du Caire, puis diplômes de droit musulman, droit public, privé, de sciences politiques, de droit comparé à l’Université de Paris, d’études supérieures d’histoire et de philosophie du droit, doctorat sur la notion de contrat international de l’Université de Rennes ... Juge à la Cour internationale de justice et au tribunal administratif de la Banque mondiale, il est aussi professeur de droit international et économique, ex-président de l’Université Senghor (Alexandrie), conseiller juridique du ministère du Pétrole et des Finances du Koweït, premier conseiller général du Fonds arabe de développement économique et social. Membre de l’Institut de droit international, membre du Conseil international pour l’arbitration commerciale. Honoré aussi d’un doctorat par l’Université de Bourgogne pour son expertise en droit international, il est également auteur de nombreux ouvrages dans ce domaine.

En effet, il suffit de lui parler de droit pour que ses yeux pétillent et que sa mémoire relate en détail les dates précises et les noms de personnes qui ont marqué son parcours. Il garde toujours l’enthousiasme et la passion de cet enfant de sept ans, décidé de partir à la découverte de la vérité et de la justice. Tout a commencé lors de ses premiers pas à la faculté de droit de l’Université du Caire au début des années 1950. « C’était une faculté de rêve pour notre génération, non pas comme aujourd’hui, où l’on peut y accéder avec un pourcentage très bas au bac. J’avais comme camarades Ossama Al-Baz, Yéhia Al-Gamal, des noms importants dans le monde juridique ainsi qu’Ahmad Zaki Al-Yamani, ministre saoudien du Pétrole ». Une fois diplômé, il apprend être nommé au Conseil d’Etat, puisqu’il était le premier de sa promotion. Avant même ses 21 ans, Al-Sanhouri pacha, président du Conseil d’Etat à l’époque, le place au département des travaux publics, en charge d’examiner tous les contrats signés par l’Etat. « J’ai appris de Sanhouri pacha beaucoup plus que ce que j’avais acquis à la faculté de droit, et même en France, en préparant mon doctorat. Ce visionnaire préparait un projet de Constitution qui était censé incriminer toutes sortes d’oppression et donner plus de pouvoir au parlement et à l’Etat de droit. Grâce à lui, j’ai réalisé que le Conseil d’Etat, digne de ce nom, ne doit pas s’enliser dans des jugements pour plaire au régime ». Mais le jeune Kosheiry ne tarde pas à constater que son pays n’était pas encore prêt à adopter de telles réformes. Alors, il prend la direction de Paris. Il s’ouvre au monde, approfondit ses connaissances et son savoir, et ne rate aucune occasion pour s’enrichir, par la recherche ou l’analyse. Une ambition sans limites pour découvrir la complexité de la vie juridique, ses notions, la science de droit qui ne s’est jamais affaiblie.

Le règlement de différends, la résolution de litiges et l’arbitrage international l’ont le plus intrigué. Un domaine en plein essor, riche en documents, remplis de paradoxes et qui nécessite une vaste culture de l’histoire humaine, des religions, des lois de chaque pays, et surtout des différences de culture qui séparent les pays arabes de l’Occident. « A chaque procès, défendre le droit d’une personne, d’une entreprise ou d’un Etat est une réalisation de la liberté », dit-il.

C’est que tout le long des affaires dans lesquelles il a plaidé, le juge ne s’est guère séparé ni du philosophe, ni du professeur. « L’important est d’être neutre, de pouvoir garder son impartialité et d’être détaché de tout lien. Il m’est souvent arrivé de prononcer des jugements allant à l’encontre des intérêts des parties qui m’avaient désigné », souligne-t-il. L’important pour lui est de défendre les droits tout en gardant l’autonomie et l’indépendance. Il donne l’exemple de la célèbre affaire de Lockerbie (crash d’avion de ligne en Ecosse) à laquelle il a participé à la Cour internationale de justice et qui s’est achevée par un verdict ayant fait grand débat après 12 ans d’enquête. Ce qui compte pour lui, c’est d’avoir la conscience tranquille et de tout faire pour que la justice soit appliquée.

Il a également contribué à l’arbitrage sur la délimitation et la redémarcation du territoire de Taba, sujet de conflit entre l’Egypte et Israël. Le jugement a donné raison à l’Egypte sur 14 points frontaliers. Mais l’affaire qui lui apporte le plus de renommée est celle du conflit entre le Yémen et l’Erythrée, et qui portait sur la souveraineté territoriale sur les îles de Hanish. « J’étais très fier car j’étais le seul juge arabe et musulman sur cinq, avec deux Américains et deux Anglais. J’ai réussi à trouver un compromis en persuadant les autres juges d’appliquer un principe de jugement appliqué en islam selon lequel les gens qui sont partenaires en eaux doivent donc se partager leurs ressources, ce qui a donné droit aux pêcheurs érythréens qui se rendaient dans cette île dépendant du territoire yéménite ».

De procès en procès, le nom de ce juriste érudit ne fait que briller. Grâce à ses succès, il devient membre de l’Institut de droit international, écrit des recherches dans la revue critique de droit international, la revue la plus importante dans le monde de la justice. Il devient aussi professeur à l’Académie de droit international, l’académie la plus prestigieuse du monde. Ceux qui y enseignent portent le nom d’immortels, tellement il s’agit de personnes dévouées. « A La Haye, siège de la Cour internationale de Justice, j’ai fait la connaissance de Boutros-Ghali, qui enseignait la politique, le droit et les relations internationales aux futurs diplomates. Depuis ce jour, nous sommes devenus inséparables. On partageait le même rêve, celui de présenter à l’étranger l’image de l’Egyptien cultivé, professionnel, capable de concurrencer dans tous les domaines et d’imposer le respect grâce à son savoir ».

Aujourd’hui, il est fier d’avoir travaillé avec des juges de renommée tels que Rosalyn Higgins, ex-président de la Cour internationale de justice, Steven Schwaber, président actuel du Tribunal administratif de la Banque mondiale ou le célèbre arbitre suisse Pierre Lalive.

Mais, malgré ses exploits, la chose qui le chagrinait le plus était son incapacité à réaliser des réformes dans le domaine du droit dans son pays natal. « Je me suis senti faire marche arrière. Lorsque je faisais partie du corps enseignant à l’université égyptienne, j’ai présenté de nombreux projets pour améliorer le système d’enseignement dans les facultés de droit, dans le but de faire évoluer le niveau académique des diplômés de droit. A chaque fois, je me suis heurté à des mentalités qui résistent à toute tentative de réforme. On ne pensait qu’à augmenter le nombre d’étudiants admis chaque année pour vendre le plus de livres et de documents de révision, et donc réaliser plus de gains financiers ».

Un jour, alors qu’il enseignait à la faculté, il décide de mettre une croix sur cette activité qui n’apporte rien sauf des efforts vains. « Je me trouvais dans un amphithéâtre où je n’arrivais pas à voir la fin tellement il était encombré d’étudiants. Je leur donnais des listes de références en langues étrangères pour élargir leurs connaissances, et eux, ils voulaient quelques feuilles en arabe à apprendre par coeur pour passer l’examen. J’ai réalisé ce jour-là que je ressemblais à un comédien absurde dans une pièce de théâtre de mauvaise qualité ».

Un choc qu’il n’a toujours pas réussi à surmonter. « J’appartiens à une génération qui a appris à apprécier la valeur de l’apprentissage et du travail assidu. Les cheikhs de notre village à Minya ne cessaient de nous répéter que les paresseux iraient au diable. Avant de partir en France, Alexandrie était plus belle que Marseille. Aujourd’hui, je me sens comme un étranger dans mon propre pays. Il est temps pour nous de comprendre que c’est seulement en respectant les droits des citoyens et en appliquant la justice que nous pourrons gagner le respect du monde ».

En attendant que ce changement majeur prenne place, Al-Kosheiry continue à participer aux procès du tribunal administratif de la Banque mondiale. Ce tribunal a pour but de défendre les droits des 11 000 fonctionnaires qui travaillent dans l’Organisation des Nations-Unies ainsi que les 6 000 membres des forces de maintien de la paix à travers le monde. Ce tribunal examine les procès concernant toutes sortes d’abus de pouvoir et est censé réprimer la corruption.

Aujourd’hui, il apprécie guider les jeunes étudiants à la recherche d’un conseil sur leur carrière, ou qui veulent poursuivre des études à l’étranger. « Mon petit-fils est parti préparer son magistère de droit en France ». Il a hérité de son grand-père cette soif de savoir qui, avec l’éthique, apporte le respect de l’homme.

Jalons :

1932 : Naissance au Caire.
1952 : Licence de droit, Université du Caire.
1987 : Membre de l’Institut international de droit.
1988 : Arbitrage du litige de Taba, entre l’Egypte et Israël.
1992-2003 : Juge ad hoc à la Cour internationale de Justice pour le procès Yémen-Erythrée.
1997 : Président de l’Université Senghor d’Alexandrie.
2006 : Membre du comité chargé de la réforme du système judiciaire au sein des Nations-Unies.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique