Il fait partie de ces artisans qui ont su redonner sa noblesse au métier de projectionniste de cinéma. Tout a commencé dès l’enfance par un intérêt presque indomptable pour le septième art. Et puis à l’âge mûr, Hosni Abbas se proclame comme le maestro des salles obscures, faisant toutes les semaines le tour des cinémas, de Diana à Radio en passant par Cosmos et Radubis. Cela fait bien des années qu’il fait ce même parcours hebdomadaire, étant le dernier des opérateurs projectionnistes classiques. Plus encore, il est carrément surnommé « la star des projectionnistes ».
Hosni Abbas, né en 1963 dans le quartier populaire de Aïn Al-Sira, n’avait que 8 ans lorsqu’il a découvert le monde du cinéma, grâce à son père, Am Abbas (maître Abbas). Ce dernier était lui-même l’un des pionniers du métier, comme le raconte Hosni, sur un ton plein de fierté : « J’ai passé presque toute mon enfance dans les cabines de projection cinématographique dont mon père était le chef opérateur. Fasciné par ce monde, j’ai décidé d’en faire mon métier à l’âge de 15 ans. Ce fut la décision la plus importante de ma vie ». A peine lettré, l’homme a réussi à s’imposer parmi les monuments du cinéma. Son succès, il le doit surtout à sa passion pour les bobines de films et les machines de projection. Entouré de celles-ci, il se sent dans son élément. « J’ai grandi avec le cinéma, j’ai été élevé avec les films, les négatifs et les machines de projection. Je leur dois tout mon parcours. Parfois j’assistais aux projections, avec mon père, quatre ou cinq fois par jour. Il me laissait parfois tout seul dans la salle, et moi je rêvassais. Mon imagination vagabondait pour me faire une idée claire de ce qu’est le cinéma ».
Du rêve à la réalité, il y a pourtant de nombreux obstacles à franchir. Après des études inachevées, passées dans une école publique dans le quartier populaire de Aïn Al-Sira, il a voulu tout de suite se lancer dans le cosmos des stars, suivant « les rais de lumière s’infiltrant au sein de l’obscurité ». Le petit Hosni ne se voyait pas ailleurs. « J’ai échoué en 6e primaire. De quoi avoir poussé mes parents à m’envoyer dans une école coranique pour mieux apprendre l’arabe et la religion. Ils pensaient que je pourrais renouer après avec le cursus scolaire classique et progresser dans mes études ». Et de poursuivre, en souriant : « Toutefois, le cheikh de l’école coranique était très sévère, je l’ai fui et ne suis plus revenu à l’école ! ».
Face à l’obstination du petit, son père a décidé de lui rendre la vie difficile, afin de le faire revenir sur sa décision. Il l’a envoyé chez Monsieur Elie, un machiniste arménien de renom, chez qui Hosni passait son temps à laver les machines et à ranger les bureaux. « Je synchronisais aussi, je faisais les petites tâches qu’on laissait d’habitude aux assistants », dit-il en tirant une bouffée de cigarette. Ceci n’a pas duré longtemps, puisque Elie, « l’expert », meurt dans un accident de voiture. Cerné par les embêtements de sa famille à l’époque, Hosni Abbas a pensé abandonner le monde du cinéma pour aller travailler chez un garagiste, dans le but d’apprendre à conduire et à devenir chauffeur d’automobile comme pas mal de ses amis.
Néanmoins, un jour, il se rend à l’Association du cinéma, l’un des organes du ministère de la Culture, afin de livrer à son père des équipements qu’il a oubliés à la maison. C’était là-bas qu’il a rencontré par hasard l’ingénieur Samir Fadel, lequel lui a demandé de travailler avec lui. « Mon père n’avait pas confiance en moi, jusqu’au jour où il a eu deux projections programmées en même temps. Il a demandé à mon frère de le remplacer pour l’une d’entre elles, mais c’est moi qui ai fini par le faire incognito. L’un des responsables de la salle m’a vu tout seul dans la cabine, alors il a transmis la nouvelle à mon père qui est venu immédiatement. Ayant trouvé que tout allait bien et que j’ai fait tout ce qu’il fallait, il s’est contenté de m’insulter et m’a laissé travailler toujours seul en cabine. Ce fut le début de ma carrière d’opérateur projectionniste professionnel ». Depuis, il n’a cessé de vadrouiller d’une salle à l’autre, allant des plus luxueuses aux plus médiocres, dites tierso.
La cabine de projection est devenue au fur et à mesure son « paradis perdu ». C’était là que certaines stars exprimaient ouvertement leur inquiétude, leur tension et le plus souvent leur grande joie. Du coup, il s’est vite senti en confiance, dans l’arrière-cour de ce monde en paillettes. « Je me souviens bien que la comédienne Soad Hosni a assisté discrètement à la première de son film Chafiqa et Metwalli dans la cabine. Elle avait très peur et voulait connaître la réaction du public sans être vue en salle. Il en était de même pour Omar Sharif et Mervat Amin, lors de la projection de leur film Al-Aragoz (le guignol). Le réalisateur Hossameddine Moustapha avait lui aussi l’habitude de rentrer en cabine, afin de l’embaumer d’encens, avant la projection. C’était pour bénir les lieux, un bon présage ! », se rappelle-t-il.
Au fil des ans, sa passion lui procure de véritables moments de joie. « Chaque bobine a ses trésors. Chaque cadre du négatif a sa valeur et son message. Nous devons mettre du temps à regarder chaque scène, ceci nous apprend beaucoup ».
Les souvenirs de Hosni Abbas avec les movie stars ne tarissent pas. « J’ai rencontré le comédien Farid Chawqi, le roi du tierso, pour la première fois lors de la projection de ses deux films Bayoumi Effendi et Al-Naëb Al-Aam (le procureur général). A l’époque, il y avait cette mode de retraiter les anciens films en noir et blanc pour en présenter de nouvelles versions en couleur. Il était très heureux de voir un si jeune opérateur projectionniste, travaillant avec zèle ». Et de poursuivre : « Chawqi a laissé tout le monde et m’a interrogé lequel des deux films je trouvais plus convenable à être projeté en couleur. Je ne peux guère oublier le respect avec lequel il m’adressait la parole. Il avait souvent des pépins, dans sa poche, et nous en donnait une poignée, comme pour nous remercier gentiment et pour s’assurer que tout allait bien, en cabine ». Hosni Abbas avait une seule idée en tête : c’est grâce à lui que ces oeuvres de stars sont montrées à tout le monde, de façon décente. Il fait partie intégrante de l’industrie.
Sa carrière prend une nouvelle dimension en 2008. Il décide de se lancer dans un nouveau terrain. Le projectionniste se transforme en un investisseur, en multipliant les projections de fortune qu’il organise à droite et à gauche, et installe de petites salles de cinéma dans des hôtels et les clubs construits et gérés par l’armée. Le succès est énorme, car le projectionniste a beaucoup acquis, au contact des producteurs et des vétérans de l’industrie cinématographique. Bref, il a appris les mille et une ficelles du métier, ajoutant plusieurs cordes à son arc. « J’aime le cinéma quel que soit le travail. Je me suis spécialisé également dans l’entretien des machines de projection et la restauration des films ».
Pendant longtemps, les salles, les studios et les laboratoires de cinéma étaient gérés par le secteur public. Cette situation avait ses aspects négatifs et positifs. Car d’une part, l’opérateur projectionniste avait un salaire et une position fixe qui lui garantissaient une vie décente. Mais d’autre part, pour un homme aussi inventif, il pouvait se heurter parfois à la bureaucratie accablante. Une fois devenu célèbre, on a commencé à lui mettre les bâtons dans les roues. « Je ne pouvais que reculer devant les rivalités, la compétition malhonnête et les contraintes croissantes. Alors, j’ai décidé de partir travailler dans une société pétrolière à Charm Al-Cheikh, puis au Qatar. En rentrant, j’ai ouvert un petit laboratoire pour la restauration des copies de films à travers une machine que j’ai inventée moi-même et non pas importée d’Europe comme le croyaient certains producteurs et distributeurs. Franchement, je ne leur corrigeais pas l’information, car en Egypte, on est toujours fasciné par ce qui provient de l’Occident ! », dit Hosni Abbas, considéré comme l’un des responsables de la sauvegarde des archives du cinéma égyptien.
« Pendant de longues années, le cinéma égyptien a été victime de la cupidité ou de l’ignorance de plusieurs techniciens et propriétaires de négatifs. Ceux-ci, en noir et blanc, renferment de l’argent parmi leurs composantes, alors que certains ferrailleurs les achetaient clandestinement à 60 L.E. le kilo ! Dans les archives, nous essayons de sauvegarder tous les négatifs et positifs possibles, afin de sauver les trésors du cinéma ». D’autres défis ? « Depuis décembre 2015, il est catégoriquement interdit de projeter les copies de 35 mm dans les salles. Les nouvelles copies de films ACP nécessitent des machines de projection numériques qui sont assez chères, de quoi avoir mené à la fermeture de plusieurs petites salles dans les villes et provinces, surtout en Haute-Egypte ». Tout en opérant à la modernisation de l’industrie, il faut quand même tenir compte de la nature du pays et de ses moyens. Et à lui de commenter : « Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous refusons d’étouffer les petits, les maillons faibles de cette industrie, au profit des grands producteurs et distributeurs, car cela est injuste ! ».
Jalons :
1963 : Naissance au Caire.
1975 : Début de sa carrière d’opérateur projectionniste professionnel.
1977 : Fonctionnaire à l’Association du cinéma.
1988 : Mariage. Propriétaire et directeur de salles de cinéma.
Lien court: