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Dalia Al-Saadany: la designer touche-à-tout

May Sélim, Dimanche, 10 janvier 2016

Coquette, élégante, Dalia Al-Saadany répond bien à son image d’architecte, de décoratrice et de designer. Présidente de l’Association internationale des designers (IAD), elle s’inspire souvent du patrimoine égyptien en lui attribuant des accents plus contemporains.

La designer touche-à-tout
(Photo: Bassam Al-Zoghby)

Depuis quelques années elle fait parler d’elle. Ses créations qui rem­portent souvent des prix internationaux la placent sous les feux de la rampe. Dalia Al-Saadany est une petite dame hyperactive qui tient beaucoup à sa féminité. Architecte, entrepreneuse et décora­trice, ses designs rassemblent tous ces atouts. C’est une femme qui dérange ! Pourtant, elle s’en fout. Et ignore les gens qui remettent en cause son succès et ses compé­tences. Bref, elle ne cède jamais face aux critiques et à la méchanceté gratuite des envieux. Bien au contraire, ce genre d’attitude lui donne plus de force afin de défier ses adversaires et de prouver son talent. « Je ne jette jamais l’éponge », lance-t-elle. Et d’expli­quer : « Parfois, je suis furieuse mais cela me pousse à mieux agir. La colère se traduit chez moi en action, en un pas en avant ».

Récemment, elle vient de fonder l’association Asda pour le dévelop­pement durable. « Asda, vient de l’arabe yasdi qui signifie faire du bien. L’idée de cette association est venue après une série de séances interactives avec les jeunes étu­diants d’architecture au sein des universités égyptiennes. Lauréats de prix internationaux, certains d’entre eux ont fait part de leurs soucis sur la toile et m’ont invitée à discuter avec eux », précise la designer.

Tout a commencé à l’Université d’Alexandrie, où Dalia Al-Saadany a obtenu son diplôme, lorsque le corps enseignant lui a demandé d’entrer en contact avec les étu­diants. Elle a voulu alors partager son expérience, à travers une ren­contre-débat avec les jeunes. « J’ai parlé ouvertement avec eux, j’ai évoqué leurs rêves, leur avenir, avec l’objectif de les guider ». Puis elle a dû animer plusieurs séances simi­laires, entre autres à l’Université du Caire. « Depuis, l’intérêt que je porte aux jeunes a vraiment pris une autre dimension. Je veux les inciter à réfléchir positivement. C’est le but essentiel de Asda ». En coopération avec plusieurs autres bienfaiteurs et volontaires, Asda vise à promouvoir les designers, à mieux former les architectes, à lancer des projets de développement pour les jeunes, à valoriser le rôle de la femme dans la société, grosso-modo à montrer le vrai visage de l’Egypte. « C’est un projet immense qui vise à restaurer et renouveler les places et les quar­tiers du pays, à développer les bidonvilles, etc. ». On parle surtout de développement durable. Car Dalia Al-Saadany vise à changer la société, à long terme, à propager les valeurs esthétiques en architecture, de manière à parvenir à un mode de vie plus civilisé, plus humain, lequel respecte la spécificité de la culture locale. « L’architecture est le miroir de tout un pays. Si l’on cherche à mieux comprendre l’histoire d’un pays, on n’a qu’à regarder ses constructions architecturales et urbaines », lance la dame, toujours tirée à quatre épingles. Dans ses créations, comme dans ses projets, on retrouve toujours l’attachement à la terre, à la culture locale. Quelque chose de très authentique qui se pré­sente sous un air plus contemporain. Al-Saadany remonte toujours au passé, à l’histoire du pays. « Ce n’était pas le cas il y a quelques années », s’exclame-t-elle.

Ce vif sentiment de dévouement à l’Egypte était presque absent chez elle, jusqu’à la révolution du 25 jan­vier 2011. A ses débuts, elle s’inté­ressait plutôt à se lancer sur le champ professionnel, à se faire un nom, peu importe tout le reste. « La révolution du 25 janvier m’a com­plètement transformée. Je suis deve­nue une autre personne. J’ai senti que le pays fait peau neuve. La révo­lution m’a fait découvrir des citoyens dévoués, des personnes talentueuses et d’autres préten­tieuses. Elle a fait monter à la sur­face le bien aussi bien que le mal. C’est là que j’ai commencé à croire en l’avenir du pays, même si cette révolution n’a pas atteint ses objec­tifs. On n'en récoltera les fruits que des années plus tard. Et en atten­dant, on doit continuer à travailler sans sombrer dans la déprime ».

Un an après la révolution, elle obtient le prix de A’Design pour une table qu’elle a créée, s’inspirant de l’ancien réchaud à pétrole. Puis en 2013, elle décroche deux autres prix en matière de design, et est nominée pour le poste de ministre de la Recherche scientifique. « J’ai appris la nouvelle du journal télévisé de la chaîne 1. Puis, j’ai reçu un coup de fil au bureau ». Mais le fait d’être candidate à ce poste lui a attiré beau­coup d’ennuis. « Les salafistes n’ac­ceptent pas qu’une dame, jolie, libre et puissante puisse devenir ministre ou soit nommée à un poste-clé. Mais toutes ces controverses ne valent pas grand-chose à mes yeux. Bien au contraire, cela prouve que les autorités sont à la recherche de nouveaux noms, de nouvelles idées ». Et de poursuivre : « Personnellement, je m’en fous. Moi, je tra­vaille sans m’attendre à des postes ».

Au départ, son rêve n’était pas de devenir architecte. Dalia Al-Saadany ne voulait pas suivre les pas de son père, lui-même architecte de renom. « J’ai voulu être une pré­sentatrice de télévision. J’ai brillam­ment réussi mon bac et j’ai dû me résigner à la volonté de mes parents qui voulaient me voir médecin ou architecte. Pourquoi pas chirur­gienne neurologue ? Cela me paraissait intéressant. J’ai passé à la faculté de médecine trois jours. Après une séance d’autopsie, je me sentais indifférente. J’aime beau­coup bouger, j’ai décidé de quitter. Je ne pouvais pas rester des heures à opérer un patient ».

Ensuite, elle a essayé de faire polytechnique. Au bout de la pre­mière année, elle a décidé d’étudier les sciences de l’informatique. « Avant de me joindre à ce départe­ment, un professeur m’a dit subite­ment : Tu as l’allure d’une archi­tecte. Vas passer les tests de sélec­tion ». Dalia Al-Saadany a donc était admise à l’oral et à l’écrit. Et à partir de 18 ans, elle a voulu passer à la vie pratique, en essayant de fonder un cabinet d’architecture et d’attirer la clientèle, dans son entourage proche. « Je n’étais pas tout à fait satisfaite malgré la réussite de mes mini-pro­jets. Je manquais d’expérience. Et au bout de quelques mois, j’ai fermé boutique ». Et pour acquérir l’expé­rience nécessaire, elle a dû se joindre à plusieurs boîtes professionnelles, rentrant en contact direct avec les ouvriers et travaillant sur le chantier.

Dix ans plus tard, elle a voulu tenter d’autres expériences, s’intro­duire sur un terrain nouveau. « J’ai eu l’idée de travailler en indépen­dante, de tester mes compétences ». Et ce fut alors la création de sa boîte privée Dezines qui n’a pas tardé à se faire une place sur le marché. Petit à petit, d’autres domaines sont venus s’ajouter à l’architecture, à savoir : les travaux de construction et la conception des meubles. « Je veux m’occuper de tout de A à Z ». Femme exigeante, passionnée et perfectionniste, elle ne veut rien laisser au hasard. « Je n’ai jamais digéré l’idée que l’architecte ne soit pas censé travailler sur le terrain et qu’il doit rester dans sa tour d’ivoire. A mon avis, il ne suffit pas de faire le design et la maquette, il faut tenir aussi le rôle de l’entrepre­neur et du décorateur pour offrir à sa clientèle un produit fini, clé en main. En Egypte Ancienne, il y avait ce qu’on appelait le master-builder (maître maçon). Un homme qui s’occupe de toutes les phases de la construction. C’est un peu ce que j’essaye de faire en assumant les rôles de designer et d’architecte. Et c’est ainsi que je forme mes jeunes collaborateurs », souligne-t-elle, admettant d’être un vrai bourreau de travail. « D’habitude, je conseille aux jeunes d’avoir une vie équili­brée entre le professionnel et le privé. Mais moi-même, je ne le fais pas ». Al-Saadany a même attiré son mari Ramzi, un ancien ban­quier, vers son propre monde. C’est ce dernier qui a dû se convertir, ayant un intérêt grandis­sant pour le design. Progressivement, il est devenu son partenaire.

La passion pour le design est contagieuse. Partagée à deux, cela rend la vie moins dure. « Toute personne a un designer qui couve en elle », lance Dalia Al-Saadany, ajoutant : « Quand on se lève le matin, avant d’aller au travail, le fait de choisir ses habits, de se brosser les cheveux d’une certaine manière, de se parfu­mer … Tous ces détails relèvent du design ».

Les designs et les prix internatio­naux se multiplient. En 2014, Dalia Al-Saadany devient présidente de l’Association internationale des designers (IAD), pour un mandat de deux ans. Elle a organisé la première édition de la Biennale des designers en juin 2014, mettant en évidence le travail des designers égyptiens et a rendu hommage à certaines person­nalités éminentes comme Marie Bishara et Mohamad Gabr.

Actuellement, elle est en train de préparer la prochaine édition de la biennale, prévue en été. Son man­dat pour l’IAD a été prolongé de deux nouvelles années. Elle est au comble de la joie.

Jalons :

2006 : Fondation de sa boîte privée Dezines.
2009 : Mariage avec Ramzi Aboul-Séoud.
2012 : Lauréate du prix A’Design pour les meubles.
2013 : Lauréate des prix A’Design pour les arts, l’artisanat et l’architec­ture.
2014 : Lauréate des prix A’Design pour les meubles de la rue, la planifi­cation urbaine, la conception du paysage, le luminaire, le design futuriste, l’architecture, l’art et l’artisanat.
2015 : Lancement de l’association Asda pour le développement durable.
2016 : Organisation de la 2e édition de la Biennale internationale des designers.

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