Pour lui, « là où il y a de la musique, il n’y a plus de place pour le mal ». Maher Fayez est le premier interprète de cantiques chrétiens, de psaumes et d'hymnes sacrés, en Egypte, à se produire en dehors de l’église, accompagné de la chorale qu’il a lui-même formée, Al-Karouz (évangéliste). Plus encore, il se produit souvent en duo avec des confrères musulmans, chantant des louanges du prophète Mohamad et des vers soufis.
Fayez, 53 ans, compositeur, parolier et luthiste, place souvent la musique dans un contexte de partage. On chante la parole de Dieu, on le supplie, offrant au public une belle fusion musicale ainsi qu’un message de paix, de solidarité et de tolérance. Ce message est à même de toucher les coeurs et les âmes, menant les auditeurs au septième ciel, ou encore plus loin. Mais, pour arriver à une telle « ivresse » spirituelle, il lui a fallu des années de repentance, de zèle et de mysticisme.
Dans son nouvel appartement, à la rue Choubra, le sapin décoré par ses deux filles, Tarnim et Tasbih, lui rappelle de beaux souvenirs d’enfance. « J’ai eu la chance d’être né dans le quartier de Choubra. Car c’est un quartier essentiellement habité par la classe moyenne où ont vécu pas mal de musiciens et de créateurs tout court. Chrétiens et musulmans y ont de tout temps peuplé ce quartier, en toute harmonie. Il est plein d’églises et de mosquées, de quoi avoir laissé des traces indélébiles sur ma personnalité. Cette ambiance demeure plus ou moins la même.
Cependant, c’est devenu plus pollué, plus bruyant », évoque Maher Fayez, également marqué par la personnalité de son père, un passionné du soufisme musulman. « Il était aussi chanteur et luthiste, un bon serviteur de l’église, à la différence des confessions. C’est lui qui m’a inculqué le sens de la tolérance et qui m’a offert mon premier luth oriental », raconte Fayez qui a connu durant sa jeunesse un bon moment « d’égarement ».
Très rebelle, à l’époque, il découvrait le monde, menait une vie de bohème et voulait tout essayer. « Je ne lisais aucunement l’Evangile, ni assistais à la messe. Pourtant, je vivais dans une maison très pieuse. A l’âge de 12 ans, j’ai quitté la maison familiale, pour mener une vie plus libre et plus autonome. J’ai plongé dans l’alcool et la drogue, chose que je regrette beaucoup actuellement », avoue Maher Fayez, les larmes aux yeux.
Il est ému, mais n’a guère honte de partager son expérience. D’ailleurs, il tient à visiter les centres de toxicomanie, afin d’aider les autres à surmonter leurs problèmes. « La musique est une bonne thérapie ; elle influence l’humeur du toxicomane ». Et d’ajouter : « Autour de mes 20 ans, j’ai passé six mois à la rue Mohamad Ali, celle des musiciens et des almées. J’ai voulu mieux apprendre l’esprit de la musique orientale, en partageant les soucis de ses maîtres et suivant leurs conversations ».
Ces années, l’ambiance chaleureuse de cette rue marqueront plus tard sa musique spirituelle, laquelle possède un cachet très oriental. « Mes cantiques et mes compositions appartiennent à cette musique orientale, chargée d’émotions et de sensations, assez fortes. Mes oeuvres sont centrées sur l’amour de Dieu, plutôt que sur le mysticisme ou le soufisme », précise Maher Fayez, ayant à son actif 15 albums et plus de 1 000 cantiques.
«J’ai cessé de produire des albums, car de toute façon ils sont piratés sur Internet. A l’origine, je refuse de tirer profit de ma musique. Je préfère qu’elle fasse partie de mon activité non lucrative, au service de Dieu. Ma musique est un apport personnel, me permettant de rendre l’Evangile à la portée de tous, par l’intermédiaire du chant. Je donne souvent mes concerts gratuitement, et si jamais on me fait un don, je l’accepte et puis je laisse Dieu faire ».
Diplômé de l’Institut de la musique arabe et titulaire d’un master sur l’art de la musique modale (les maqams), à 24 ans, Fayez avait commencé par se joindre à plusieurs troupes orientales. Et ce, au lendemain de son court séjour à la rue Mohamad Ali. Il a travaillé dans des boîtes de nuit, animé des noces populaires ou d’autres plus huppées dans des hôtels de luxe. « J’étais complètement absorbé par cette vie vagabonde », lance-t-il, comparant sa jeunesse à celle du « fils prodigue » parti à la découverte du monde. (Ndlr : selon l’Evangile de Luc 15 :11-32 du Nouveau Testament, le « fils prodigue » est l’une des paraboles les plus connues de Jésus de Nazareth, l’image du retour de la brebis égarée et aussi de la repentance).
Jeune et très épris du matérialisme, il passe par une phase de repentance, lui aussi. « Frustré, alcoolique, attaché à la drogue, ma vie a connu un bouleversement le 8 décembre 1987. En rentrant chez moi, après une soirée musicale, j’ai entendu une voix m’appeler. Celle-ci m’a invité à revenir dans les girons de Dieu. Je me suis souvenu alors d’un verset de l’Evangile que mon père psalmodiait souvent : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai (Mathieu 11,28) ».
C’est là qu’il a décidé de laisser place à la parole divine, de combler le vide de son âme par des cantiques religieux. Du jour au lendemain, il quitta la musique populaire pour une autre à caractère purement spirituel. « La musique est capable de fournir la paix aux âmes errantes, de chasser la haine et de consoler ceux qui pleurent », décrit Maher Fayez. Et d’ajouter : « Même dans la Bible, la musique a une place essentielle dans la vie cultuelle et liturgique. Le livre des Psaumes parle principalement des louanges adressées à Dieu pour son salut, sa grandeur, sa bienveillance, sa bonté, sa grâce. Il est par excellence le recueil de chant et de prière qui a inspiré tant de générations de croyants. Le Cantique des Cantiques illustre pour sa part la place de la poésie dans le domaine de la foi ». Cela étant, Fayez le « repenti » rejoint l’association chrétienne Khalass Al-Nofous (le salut des âmes), fondée à Choubra en 1927. « Je m’enfermais également dans ma chambre, en retrait pendant des jours et des nuits, afin d’adorer le Seigneur, de lire ses miracles dans l’Evangile. J’ai réussi à toucher de près au vrai amour, l’amour divin, que rien d’autre ne peut remplacer ».
En travaillant comme bénévole, au sein de l’association Khalass Al-Nofous, il a rencontré un chantre copte, venu pour célébrer la veille de Pâques. Ce dernier a entendu, par hasard, la belle voix de Fayez, en train de jouer au luth. Et lui demanda alors de l’accompagner dans ses tournées musicales, au service des familles pauvres, dépourvues de lieux de culte. Fayez a accepté sans hésitation. De plus en plus connu, il fonde en 2003 la chorale Al-Karouz, dépendant de l’église protestante Allah, à Choubra. Celle-ci fait plutôt office de mouvement que de simple chorale. Elle assure pas mal d’activités qui relèvent de la prédication : lecture de la Bible, prosélytisme, prières, soirées musicales de cantiques, conférences spirituelles, actes sociaux, services sanitaires, caravanes de prêche, oeuvrant surtout dans les zones les plus défavorisées.
« Al-Karouz accueille tous les Egyptiens, nous croyons tous en un seul Dieu. En temps de crise, on se réunit, musulmans et chrétiens, pour recouvrer notre force. Avec l’amour, tout est possible », souligne Fayez qui était présent dans la rue avec les membres de son mouvement lors des soulèvements du 25 janvier et du 30 juin. En mars 2011, sur les planches du théâtre Houssapir, il s’est produit en duo avec le chanteur soufi Ali Al-Helbawi, dans le cadre du festival musical Fannane Min Al-Midane (un artiste issu de la place Tahrir).
Ensemble, ils ont chanté à l’honneur de la patrie Al-Balad Baladna (c’est notre pays à tous). « On a déjà fait connaissance en 2008, à l’école évangélique privée Ramses College, durant une soirée musicale. Al-Helbawi m’a fait part de son admiration d’Al-Karouz et s’est dit prêt à interpréter avec nous les louanges composées par son père, le cheikh Mohamad Al-Helbawi, sur la Vierge Marie. Vers la fin de la soirée, Ali n’arrivait plus à retenir ses larmes », raconte Fayez.
Le soufisme lui a appris à aimer tout le monde, à être plus tolérant, à travailler en équipe, loin des tensions confessionnelles. Du coup, il multiplie les concerts donnés avec d’autres artistes musulmans, comme le chanteur de louanges, le cheikh Zain Mahmoud, ou le groupe de jazz Cairo Steps, avec le luthiste Bassem Darwich. « En 2009, en jouant avec ce dernier, sur les planches de l’Opéra du Caire, le célèbre chanteur, Ali Al-Haggar, s’est joint à nous, pendant dix minutes. On a présenté des improvisations, à partir du nom d’Allah, chanté différemment ».
Avec sa voix puissante, dramatique, aux accents de tristesse profonde, il a tout d’un amant soufi, en quête de l’objet sublime de sa flamme. « La musique spirituelle que nous partageons est le moyen le plus rapide de communication entre des gens appartenant à des cultures et des religions différentes. La situation en Egypte est instable. Il incombe aux artistes de collaborer ensemble, afin d’atteindre le salut ». C’est l’état que l’on ressent en tout cas, lorsqu’on assiste à l’une des soirées animées par la chorale Al-Karouz, comme celle prévue à l’église protestante Allah, le 6 janvier, vers 20h, à l’occasion du réveillon copte .
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