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La journaliste Nabila Ramdani : L’opinion percutante

Farah Souames, Mardi, 22 janvier 2013

Journaliste française d’origine algérienne, Nabila Ramdani s’est imposée dans le journalisme d’opinion sur la BBC, au Royaume-Uni. Sa liberté de ton, ses connaissances solides et ses analyses tranchées en font un gage de qualité dans la presse anglo-saxonne. Elle vient d’être récompensée à Londres

Nabila Ramdani
Nabila Ramdani

Les Jours se suivent et ne se ressemblent pas. Tel est le quotidien de Nabila Ramdani, oscillant entre journaux, radios et plateaux de télé. Pour cette journaliste indépendante travaillant entre Paris et Londres, les interventions audiovisuelles sont les plus difficiles à gérer, étant appelée même à des horaires improbables pour apporter des éclaircissements sur une actualité. « Dans notre métier, je pense qu’il n’est pas fréquent d’avoir des journées types, on peut très bien commencer la journée par un entretien ou carrément être en route vers une destination étrangère pour couvrir un événement d’actualité », explique-t-elle.

Née à Paris de parents algériens installés en France dans les années 1970, elle y a grandi avant de s’expatrier à Londres. Elle suit un cursus de littérature anglaise et d’Histoire à l’Université Paris 7. Une fois son master en poche, elle se dirige vers une carrière dans l’enseignement. « Je suis passée de l’enseignement au journalisme très tôt dans ma vie d’adulte », dit-elle, avant d’ajouter : « J’ai toujours aimé écrire et j’ai commencé à écrire des articles dès l’école primaire. J’avais fait un voyage en Angleterre étant très jeune et j’avais été fascinée par ce pays. J’ai toujours aimé les cours d’anglais à l’école et j’adore la littérature britannique ». L’enseignement lui aura permis de prodiguer des cours dans des institutions anglophones de renom, telles que l’Université d’Oxford (Collèges Jesus et Oriel) ou encore l’Université du Michigan à Ann Arbor, au sein de laquelle elle effectuera son premier séjour aux Etats-Unis. L’année 2005 marquera un tournant dans son parcours professionnel. Elle y est stagiaire au bureau parisien de la BBC. Elle ne se doutait pas que ce passage allait influencer très positivement sa carrière et faire d’elle une femme d’opinion, car elle considérait ces cercles de médias très fermés. « Je viens d’une famille modeste et ce stage non rémunéré n’était pas vraiment une aubaine … », s’amuse-t-elle, en se confiant à un journal francophone. « Je ne sais pas si j’aurai pu avoir le même parcours en France. La presse française est un cercle assez élitiste et très verrouillé. Je n’avais ni le bon profil, ni les contacts pour y entrer. La société britannique est beaucoup plus égalitaire ». Malgré son amour pour la France, sa terre natale, elle déplore les faiblesses du pouvoir législatif incapable d’appliquer les lois contre les discriminations, mais aussi les manquements des médias, pour la plupart dans la poche des décideurs politiques.

Si de nombreux médias comme The Guardian, The Observer, The Independent, London Evening Standard l’arrachent, ou encore la BBC et SkyNews qui sollicitent sa présence régulière, c’est en grande partie grâce à ses sujets de prédilection : la France et le monde arabo-musulman. « J’écris aussi bien sur la politique en France que sur le monde arabo-musulman. Ce sont deux domaines qui me passionnent naturellement étant donné que je suis née en France et que je suis d’origine arabe. Mes parents sont Algériens et j’ai des liens très forts avec le Maghreb. Je voyage énormément dans le monde arabe également. Je suis comblée de pouvoir combiner ma passion et mon travail », confie-t-elle, en constatant le départ croissant de Français issus de l’immigration vers l’étranger. Elle pointe aussi le cas des plus vulnérables condamnés à rester dans un pays en proie au racisme chronique : « Je trouve que la jeune génération d’immigrés en particulier s’en sort pas mal, surtout ceux qui sont motivés et réalistes par rapport aux objectifs qu’ils peuvent atteindre dans leur vie. Cependant, autant les jeunes issus de l’immigration que les immigrés sont confrontés à un problème vieux comme le monde, la discrimination. C’est très triste de constater que c’est un fléau qui subsiste partout. Quant à moi, je dois mon salut à ma famille qui m’a toujours encouragée et à d’excellentes écoles publiques qui m’ont permis d’accéder à des institutions, telles que la LSE (London School of Economics) où j’ai étudié, ou à Oxford où j’ai enseigné ».

Nabila Ramdani a vécu comme bon nombre de journalistes l’actualité effervescente qu’a vécue le monde arabe ces deux dernières années. Sa prestance sur les écrans réfléchit de manière remarquable ses points de vue et ses analyses assumées. Elle décortiquait l’actualité en Tunisie, en Egypte et en Syrie de manière très transparente, de même que ses prestations sont reprises par plusieurs médias et sites d’information. « Un des plus grands développements du Printemps arabe a été de révéler les problèmes du monde arabe de manière spectaculaire. Cela a donné une voix aux acteurs des révolutions qui ont pu communiquer leurs doléances. Bien entendu, il faudra du temps pour résoudre ces problèmes, mais un pas énorme a été franchi ! », estime-t-elle. La journaliste est très sceptique sur l’avenir de l’Egypte. Le futur de la Libye lui paraît autrement plus sombre, en évoquant l’existence de clivages profonds et des inégalités régionales en matière de distribution de richesses, qui risquent d’engendrer une guerre civile interminable. Quant à la révolution syrienne, la journaliste pense que la position mitigée des Occidentaux face à la tragédie syrienne s’explique par une crainte d’internationaliser le conflit dans une région, relevant avec stupéfaction l’indifférence face au nombre impressionnant des victimes en Syrie. Dans ce pays, le pouvoir baathiste est pourtant « déterminé à éradiquer toute dissidence politique et armée par tous les moyens ». Ramdani évoque tout lors de ses analyses de la vague de révolution arabe, le rôle du Qatar — cet émirat souvent décrit par la presse comme le sous-traitant de Washington dans la région — comme étant une partie utilisée par les puissances occidentales pour justifier leur ingérence dans le monde arabe. En 2011, elle est passée plusieurs fois à la télévision anglaise pour commenter le « printemps manqué » de l’Algérie. Selon elle, deux traumatismes liés à la fois à la guerre d’indépendance et à la décennie noire, expliquent en partie l’échec des tentatives de soulèvement local.

L’absence d’un cadre de contestation unifiée et la dimension démesurée des cercles clientélistes, sont d’autres causes qui, à ses yeux, ont empêché l’Algérie de connaître un sort identique à l’Egypte et à la Tunisie. De Paris à Londres, l’identité algérienne est omniprésente chez Nabila Ramdani, ses parents ont fortement contribué à mettre l’accent sur la culture arabe et la religion musulmane et à les valoriser au sein de la famille. Un environnement qui était propice à lui forger une identité en fer. « J’ai des liens très forts avec mon pays d’origine. J’y retourne à la moindre opportunité. Cela dit, il est parfois difficile de trouver le temps d’y aller, car mon travail m’amène à voyager dans d’autres parties du monde », insiste la journaliste. Elle estime que l’histoire de l’Algérie est aussi importante, intéressante et inspirante ! « Vous savez, je pourrais écrire un livre sur ce sujet ! L’Algérie est un sujet extrêmement compliqué. En termes simples, c’est un pays qui a été secoué par des problèmes politiques et sociaux ces dernières décennies, et je pense qu’il y a très peu de gens en Algérie qui aient envie de se révolter ». Nabila Ramdani n’en est pas à sa première récompense, elle a été déjà plusieurs fois primée pour son parcours journalistique brillant et ses prises de position assumées. Elle a notamment été récompensée pour son travail en 2010 en obtenant la première édition du Prix de femme musulmane d’influence. En décembre 2012, elle est lauréate du prix The Arab Group Achievement Award lors d’une cérémonie organisée à Londres. Dotée d’un grand sens d’intégrité, de crédibilité et de grand professionnalisme, elle ne montre aucune réticence envers la critique constructive et respectueuse de ses analyses et de ses points de vue. En faisant du métier '64e journaliste son quotidien, elle aspire à être impliquée dans la défense de causes qu’elle croit importantes et de grande influence.

« Je suis devenue journaliste afin d’avoir un impact sur la vie des gens — mettre en valeur leurs problèmes et leurs succès. Dans ce sens, les réactions à mon travail et sa reconnaissance sont extrêmement importantes pour moi. Si je sais que les gens voient mon travail et y réagissent, alors je sais aussi que je réussis dans ce que je fais. Le journaliste qui vous dira que les reconnaissances ne sont pas importantes, n’est pas professionnel ! », conclut-elle.

Jalons :

2002 : Obtention d’un poste d’enseignante à l’Université du Michigan, à Ann

Arbor, qui lui permet de faire son premier voyage aux Etats-Unis.

2005 : Stagiaire au bureau de la BBC à Paris.

2007 : Débuts dans le journalisme avec la couverture de l’élection

présidentielle en France.

2010 : Obtention de la première édition du Prix de femme musulmane

d’influence.

2012 : Couverture de la première élection présidentielle libre en Egypte

depuis plusieurs décennies, qu’elle qualifie d’« historique ».

2012 : Lauréate de The Arab Group Achievement Award, à Londres.

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