Après tanger, New Delhi ou encore Abu-Dhabi, l’équipe des Mécréants, avec à sa tête Mohcine Besri, débarque au Caire pour la première fois dans l’espoir de séduire le public égyptien, en dépit de la situation tumultueuse que connaît le pays. C’est dans un bain de foule de journalistes, d’acteurs et de réalisateurs que Mohcine Besri respirait la bonne humeur, rigolait, marchant pied nu dans le hall d’un hôtel cairote. « J’étais si ravi que le festival retienne Les Mécréants en compétition, alors qu’il a été refusé à Oran et s’est vu offert une projection à Carthage. Cette sélection nous a tous motivés à venir », précise-t-il, avant d’ajouter : « C’est cette même motivation qui m’a permis de terminer ce projet fou avec un manque de moyens terrible ».
Mohcine Basri, natif de Meknès (Maroc), a grandi dans une famille d’artistes, mais rien ne le prédestinait à ce parcours atypique. Après son baccalauréat, c’est vers les mathématiques et l’informatique qu’il se dirige. Une fois décroché son premier diplôme de l’Université de Rabat en 1994, il s’envole vers Genève (Suisse), où il obtient une licence en informatique. Sur ce sujet, il nous confie tout amusé : « Après mon diplôme, j’ai dit à ma femme : voilà maintenant je veux faire des films. Elle me dit : et pourquoi tu as fait tout ce cursus ? Je lui ai répondu parce que Mohcine ne peut pas commencer un truc et ne pas le finir. Alors, je ne vous raconte pas le nombre de fois que je lui ai parlé d’un synopsis de film avant de lui annoncer que je commençais à tourner quelque chose de complètement différent (rires) ».
Il a travaillé un moment dans la finance, avant de devenir professeur de mathématiques, poste qu’il occupe jusqu’à maintenant. Cependant, il n’a pas lâché sa passion pour le septième art et a participé à plusieurs productions comme Sexe, beurre et confiture, Attariq al-majhoul (le chemin inconnu) en tant qu’assistant de production ou comédien ou encore conseiller en écriture depuis 1995. Il a collaboré, entre autres, avec Mohamed El-Bassri, Mohamed Atef et Hicham Hayat. « Pendant les périodes de tournage, je m’absentais très souvent et mon fils aîné est venu me demander pourquoi j’avais deux métiers et pas un seul comme tous les pères du monde. Je lui ai répondu : pour que toi et moi ayons une vie meilleure, faire des films me rend heureux, me comble ! ».
Avant de s’affirmer comme un réalisateur talentueux, Mohcine Besri a parcouru un long chemin. Après les attentats du 11 septembre 2001, et en réponse à l’image véhiculée par les médias occidentaux, il entame l’écriture d’un scénario intitulé Being Laden qui racontait l’histoire d’un jeune Maghrébin arrêté lors de son arrivée clandestine en Suisse et qui sera plus tard inculpé pour appartenance à des groupes terroristes. « Une fois le scénario achevé en collaboration avec mon amie Lauren, nous l’avons présenté à des producteurs, ils ont aimé la perspective du thème, mais ont trouvé trop dangereux de produire un film pareil ! Et effectivement ce projet n’as pas encore vu le jour », nous explique-t-il avec un air de regret.
Sa dernière oeuvre à succès, son long métrage au titre provocateur Les Mécréants, n’a pas vraiment laissé son public indifférent. De l’Inde à Abu-Dhabi, puis au Caire, le film a réussi à conquérir la critique après avoir été primé dans son pays, le Maroc. « Je tiens à insister sur le fait que ce film n’a pas été fait pour porter préjudice à mes origines ou à l’islam, afin d’être acclamé par un public occidental. Bien au contraire, j’ai dit à plusieurs producteurs : vous voulez un truc plein de clichés, mais vous en avez déjà ! C’était hallucinant qu’à la fin de chaque projection des spectateurs en sortent avec un air de sympathie envers le personnage du terroriste ».
Lauréat du prix Naguib Mahfouz au Festival international du film du Caire, comme meilleur film arabe pour l’intérêt artistique, Les Mécréants traite du thème du dialogue et de l’acceptation de l’autre. Il raconte l’histoire de 3 jeunes islamistes qui, sur ordre de leur chef spirituel, kidnappent un groupe de jeunes comédiens qui partent en tournée avec leur dernière création. Arrivés sur le lieu de détention, les kidnappeurs se trouvent coupés de leur base, sans pouvoir obtenir confirmation de la mise à mort des otages. S’ensuivent alors 7 jours d’attente intense, coupés du monde, au cours desquels les deux camps sont amenés à cohabiter, s’affronter et remettre en question leurs positions et leurs préjugés mutuels. Le réalisateur s’est inspiré d’un événement survenu à Casablanca, quand un jeune homme s’est fait exploser dans un cimetière juif de la capitale marocaine.
« L’idée du film datait de plus de 4 ans, c’est ma mère qui a financé ce projet fou. C’est une femme pieuse, voilée, qui a fait le pèlerinage plus de 23 fois. Elle voulait que sa personnalité soit présente dans ce long métrage pour dire que notre société est composée d’un tissu social très complexe, et qu’il fallait cultiver ces différences religieuses pour une meilleure cohabitation », précise-t-il, avant d’ajouter : « Il y a une phrase dans mon film qui pourrait résumer la globalité de mon idée, c’est quand l’actrice dit : je peux avoir tort, mais ils n’ont pas forcément raison, et puis si l’Occident a découvert le terrorisme le 11 septembre, nous connaissons le terrorisme depuis l’Andalousie ».
Le cinéaste marocain a réalisé son premier long métrage avec un budget ne dépassant pas les 60 000 euros. Utilisant une autorisation pour court métrage avec une intrigue différente, avec ses acteurs bénévoles ils ont tourné le film en plein été alors que l’une était enceinte de 3 mois. Pourquoi ? Pour tourner un film auquel tous ont cru, un point de vue arabe sur l’extrémisme, même s’il n’a jamais été projeté dans un cinéma marocain.
« Il n’y avait même pas d’éclairage, nous utilisions des miroirs ! », nous a avoué Besri, en enchaînant : « De plus, je sors à chaque fois des débats après projection tout ému, quand les spectateurs me disent que les femmes arabes dans le film ne sont pas vraiment des femmes arabes, ou encore que le problème avec le film est qu’il sympathise avec les terroristes. Ils me reprochent de les avoir faits beaux alors qu’ils auraient dû être laids ». Besri souhaite que le succès de son film dans les différents festivals ait le même écho lors de sa projection dans les salles marocaines à partir de mars prochain.
Mais au-delà, le réalisateur est en cours de préparation de son nouveau film intitulé La Rumeur qui relatera des événements des révolutions du Printemps arabe de façon particulière. Il traitera cette situation tumultueuse que vit le monde arabe de façon très positive et humaine. « On a eu notre dose de comédie, il est grand temps qu’on produise des oeuvres qui parlent de nos vrais problèmes, de leurs vraies sources », explique-t-il, en ajoutant : « Je suis très optimiste quant à ce Printemps arabe que d’autres qualifient d’automne. Je l’ai toujours été, ces révolutions-là sont différentes de leurs précédentes. Avant, celui qui déclenchait ce mouvement finissait par se faire tuer, mais on est devant des révolutions de peuple que plus rien ne fera taire ».
Le cinéaste estime que le Maroc, la Tunisie et tous les autres pays arabes ont le droit d’imposer leurs principes de changement comme sont en train de le faire les Egyptiens en ce moment. Il insiste sur le fait que l’état critique de la région en ce moment est la responsabilité de siècles d’ignorance imposée aux peuples. Cette ignorance qui a permis à des courants extrémistes de s’infiltrer dans la société et de la fractionner. « Pour moi, le doute aide à avancer. Quand l’eau coule, vous savez qu’elle est potable. Mais quand elle stagne vous savez que vous allez périr, et c’est applicable au monde arabe. Les choses sont les mêmes depuis des années. Les mouvements se font dans tous les sens, certes les islamistes ont gagné du terrain pour le moment, mais cela reste temporaire », estime-t-il.
Mohcine Besri nous quitte avec son enthousiasme et son humour décapant qui ne laisse pas indifférent : « Je vous ai dit tellement du bien de mon film, qu’il risque de pas vous plaire (rires). Quand je pense qu’il y a une année, quand j’ai rencontré les acteurs, ils m’ont dit : tu as l’air très motivé, c’est quoi le synopsis du film ? J’ai répondu : alors là, aucune idée ! (rires) » l
Jalons :
1971 : Naissance à Meknès (Maroc).
1996-2000 : Licence en informatique, de l'Université de Genève.
2006 : Réalisation de Kafka, mort ou vif ! (court métrage).
2008 : Réalisation de Heaven (court métrage).
2011 : Réalisation de son premier long métrage Les Mécréants (fiction).
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