A sa nomination pour faire partie du Conseil consultatif, il était face à deux choix : refuser de s’immiscer en politique et céder la place au courant islamique, ou entrer en action, pour ne pas dire en confrontation avec ce même courant.
Du coup, il a décidé d’accepter sa nomination au sein du Conseil consultatif, optant pour le dialogue. Sameh Fawzi s’est retrouvé ainsi parmi les médiateurs de la nation, ceux qui ont pour tâche de rapprocher les forces de l’opposition et les représentants de l’islam politique. Député, chercheur copte, activiste de la société civile et directeur du Centre des études sur le développement (annexé à la Bibliothèque d’Alexandrie), il tente d’envisager les scénarios futurs.
Est-ce la bonne place pour lui ? Ses adversaires ne lésinent pas sur les critiques, le traitant de « faux député dans un conseil illusoire et illégal à majorité islamiste ». Mais lui, garde solidement espoir, souhaitant d’être « la voix des séculaires », à la recherche de compromis.
Pour lui, sa présence au sein du Conseil consultatif est une victoire pour la démocratie égyptienne. D’ailleurs, il pense qu’il faut absolument limiter les pouvoirs législatifs de cette deuxième Chambre, jusqu’à l’élection d’une nouvelle Assemblée du peuple. Notamment pour éviter que les islamistes imposent leur agenda. « Pourquoi voir dans le dialogue national actuel un double jeu ? Qui a dit que j’ai été nommé député au Conseil consultatif sans l’approbation de l’Eglise copte orthodoxe en Egypte ? Cette Eglise croit fortement à l’importance du dialogue. C’est l’Eglise qui m’a mis sur sa liste, parmi d’autres fidèles, pour la représenter au Conseil. Cette liste faisait suite à une invitation de la présidence envoyée aux diverses institutions civiles, politiques et religieuses ».
« Je considère ma participation au Conseil comme un devoir patriotique. C’est un défi qui conteste l’absence des coptes au sein des institutions étatiques. Pour les coptes, il faut saisir les chances de se montrer, loin de toute polarisation qui leur ferait du mal et qui pourrait les assujettir à la tension confessionnelle », estime-t-il.
Ce nouveau député croit dur comme fer au rôle des institutions, qui se doivent d’écarter les émeutes en faveur d’une vraie démocratie. Il propose sans cesse la création d’un outil institutionnel pour faire face aux problèmes de nature religieuse. Cet outil devra posséder un pouvoir d’investigation, présenter des projets politiques et législatifs à moyen et long termes afin d’ancrer l’esprit de tolérance et de citoyenneté au sein du pays.
« Nous vivons des moments décisifs. Parlant de l’Eglise copte, il existe deux scénarios. Le premier est que l’Eglise reste l’expression des coptes et le patriarche leur porte-parole, pour mener des négociations à travers des contacts avec la présidence. Le second est de sortir de l’emprise de cette relation en mettant l’accent sur l’Etat de droit et ses institutions, en introduisant de nouveaux mécanismes institutionnels dont la mission sera de faire face à la discrimination et de confirmer l’égalité des citoyens. Personnellement, je préfère le deuxième scénario ».
De ce point de vue, il n’est pas donc question que le député dénonce le fait de mélanger la religion à la politique et vice-versa. « Le nouveau pape a reçu, avant même son intronisation officielle, de nombreuses félicitations mais aussi des conseils et des mises en garde. Certains lui ont demandé de suivre les pas de son prédécesseur Chénouda III, alors que d’autres, notamment des islamistes, lui ont demandé de changer les orientations de l’Eglise et de s’écarter de la politique. Or, la politique dont parlent ces derniers n’est autre que les revendications coptes », indique Fawzi.
« Le pape Tawadros II a la volonté de renouveler et de construire des institutions académiques chrétiennes pour instaurer un nouveau discours religieux, plus démocratique (charte de 1957 sur le mode de scrutin du pape, et règlement de 1938 sur le divorce …). Il reste encore à effacer les images et expériences négatives accumulées pendant des années. Parfois, les chrétiens deviennent radicaux pour faire face à la radicalisation islamique. Ce genre de réaction doit s’arrêter là, pour mener à une plus grande compréhension à l’égard de la minorité chrétienne ».
Ayant voté « non » au référendum sur la Constitution, il n’est pas cependant allié à un parti politique précis. De quoi faciliter sa tâche de médiateur. « Si le Front du salut national et les forces de l’opposition n’admettent pas le dialogue, la loi sur les élections leur sera imposée par le courant de l’islam politique. Un courant qui peut imposer des législations selon son agenda, étant majoritaire. L’intérêt commun nécessite la participation de tous pour arriver à une loi consensuelle qui évite la polarisation », annonce Fawzi, qui estime que les forces de l’opposition sont déjà divisées en deux camps : ceux qui ne veulent pas de nouvelles tensions et donc cherchent la négociation et ceux, plus radicaux, qui visent à renverser le régime actuel pour en établir un autre, après une nouvelle révolution. «Je crois que les forces de l’opposition ont le droit de demander des garanties pour dialoguer : une surveillance internationale durant les élections, un meilleur comité électoral, un contrôle judiciaire total ... ».
Ses multiples casquettes lui donnent une vision panoramique de la situation. Par la force des choses, il cite la session inaugurale du Conseil consultatif, le 29 décembre dernier, lorsque le président Morsi a prononcé son discours. Fawzi en dissèque les points négatifs. « C’est vrai que je ne crois pas en la rumeur disant que l’Egypte est sur le point de faire faillite, mais cela ne signifie pas donner une image optimiste de la situation économique. Or, le président l’a fait dans son discours. La présidence et son entourage penchent vers le fait de dialoguer pour atteindre un compromis et remédier à la condition économique en chute libre, et par la suite, construire des institutions », déclare Fawzi qui constate que le président est une « personne simple, un bon cadre politique et bon communicateur ». Mais, il dit : « Je lui reproche son incapacité à prendre des décisions audacieuses en dehors de la tutelle de son parti politique. Il craint les pressions exercées par ses confrères. Par exemple, lors de la session d’ouverture du Conseil, le président avait une occasion de souhaiter aux chrétiens d’Egypte un joyeux Noël, surtout en présence du pape Tawadros II. Il aurait ainsi enchanté une bonne partie de l’opinion publique ».
Il ne faut pas oublier que Sameh Fawzi est aussi un éditorialiste dans des journaux égyptiens comme Al-Ahram, Al-Watan, Al-Kéraza et autres. Ses articles se concentrent sur la citoyenneté, la démocratie, le développement, les affaires publiques ... « Je ne suis pas impressionné par l’action politique. Je suis plutôt un chercheur qui ne vise pas particulièrement à décrocher des postes-clés. Mon impartialité est la raison de mon choix pour le Conseil consultatif », déclare Fawzi.
De son bureau au 23e étage d’un gratte-ciel donnant sur la corniche à Maadi, Sameh Fawzi se montre fier d’énumérer les activités de son Centre des études sur le développement. Celui-ci organise des ateliers à huis clos, des forums sur le dialogue interarabe et réunit des décideurs et politologues de partout dans le monde. Une sorte de plateforme dédiée au dialogue démocratique.
Sa thèse de doctorat sur Le Capitalisme social (2011, Université du Caire) s’inspire du sociologue français Pierre Bourdieu, définissant le capital social comme un « agrégat des ressources réelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de plus ou moins de rapports institutionnalisés de la connaissance et de l’identification mutuelles ». De quoi inviter au dialogue, à l’échange et à la confiance entre humains. Ce doctorat a été précédé par un master en 2008 sur L’Administration publique, donc sur tout ce qui touche à l’organisation de la sphère publique.
Détenteur d’une bourse en 2001, auprès du British Council d’Egypte, Sameh Fawzi avait fait un autre master sur Le Développement politique, mais cette fois-ci, à l’Université Sussex, Brighton, en Grande-Bretagne.
« A Sussex, j’étais attiré par ce qu’on appelle la troisième voie, celle lancée par des militants anglais de gauche. Je suis contre le fascisme religieux ou politique. En Egypte, on n’a pas fait chuter un régime despote pour en mettre un autre aussi autoritaire », estime Fawzi, le député-bagarreur, mais surtout conciliateur.
Jalons :
1970 : Naissance au Caire.
2006-2008 : Membre à l’Institut de la démocratie, du développement et de la primauté des lois, à l’Université Stanford, aux Etats-Unis.
2008 : Publication de l’ouvrage Alwan al-horriya (les couleurs de la liberté) aux éditions Al-Shorouk sur les révolutions des pays de l’Europe de l’Est.
2009 : Publication d’Al-Mohassaba (la comptabilité), aux éditions Al-Ahram.
De 2011 : Directeur du Centre des études sur le développement, dépendant de la Bibliothèque d’Alexandrie.
Décembre 2012 : Membre du Conseil consultatif.
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