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Soeur Pilinchi Romero : religieuse en chantant

Loula Lahham, Lundi, 06 juillet 2015

Soeur Pilinchi Romero rentre en Espagne après avoir servi l'Egypte pendant 45 ans. Parcours de cette femme exceptionnelle qui a transmis des ondes positives à des centaines de familles.

Religieuse en chantant
(Photo:Loula Lahham)

« C’est au retour de ma sortie avec le gar­çon que j’allais épouser que j’ai décou­vert que j’étais appelée par Dieu à deve­nir religieuse ». C’est par cette phrase que la religieuse espagnole Pilinchi Romero commence la principale aventure de sa vie qu’elle n’a d’ailleurs jamais regrettée. Depuis sa tendre enfance, elle sentait qu’elle était toujours rem­plie par l’amour de Dieu et même parfois débor­dée. Numéro 5 dans une famille de 10 enfants, elle se rappelle avoir dit à ses parents qu’elle voulait être religieuse en chantant. « Je leur ai même envoyé une cassette dans laquelle je chan­tais sur ma guitare pour leur dire que je voulais devenir religieuse. Mes parents ont beaucoup pleuré, mais ils ont été très contents ».

Or, elle a été obligée d’attendre une année avant de rejoindre le noviciat de la Congrégation du Sacré-Coeur, dont la mission est de manifester l’amour de Dieu, instruire et éduquer les jeunes filles. En effet, outre les trois engagements habi­tuels et classiques des religieux, les soeurs du Sacré-Coeur en font un quatrième, précieux selon elles, qui concerne l’éducation. Ce quatrième voeu n’est pas un engagement à enseigner, mais un engagement à vivre chaque jour avec le coeur d’une éducatrice aimante. Quoi que les reli­gieuses fassent dans le réel de la vie, partout dans le monde, elles doivent faire jaillir dans les per­sonnes qu’elles rencontrent (élèves, patients, partenaires, collègues ou amis) les trésors et les talents que Dieu leur a donnés.

Une fois dans le couvent, elle sentait une grande paix intérieure et une joie profonde. Elle proclame devant sa supérieure et un représentant de l’Eglise ses voeux : temporaires d’abord, puis perpétuels, dans lesquels elle s’engage à vivre pauvre, à être chaste, à obéir à ses supérieurs et à vivre pleinement sa mission d’éducatrice.

Après le Concile Vatican II, marqué surtout par un désir d’ouverture de l’Eglise envers les pays en développement, et précisément en 1967, un chapitre général spécial de sa congrégation opte pour envoyer plus de soeurs dans les zones pauvres du monde. « J’ai alors demandé à ma responsable si elle acceptait de m’envoyer chez les pauvres ». Soeur Romero avait en effet beau­coup lu sur la pauvreté missionnaire d’une religieuse qui quitte son pays, qui quitte sa langue, qui quitte sa mentalité et en était convaincue. Convaincue bien sûr du principe. Mais convaincue vraiment pour qu’elle le fasse elle-même ? Elle sent dans ses prières quotidiennes un appel pour se libérer de ses fron­tières. « J’ai voulu être nulle part chez moi, et partout chez moi ». Elle sentait l’ap­pel fort de Dieu, mais résistait encore à l’exau­cer. « Et comme toujours, c’est Dieu qui règne sur ma vie. Je suis prête maintenant à aller n’im­porte où dans le monde ». Sa responsable lui propose alors de répondre à une demande de la communauté de l’Egypte. « J’adore l’Egypte », dit-elle. C’était en effet quand elle avait 12 ans que son amour pour l’Egypte avait commencé en dégustant déjà à cet âge les livres d’égyptologie qu’elle étudiait à l’école et qu’elle aimait qu’on lui offre. Romero pense que ce n’est pas le hasard qui l’a amenée en Egypte. « C’est la pro­vidence. Dieu a ses chemins », dit-elle.

Se rappelant ce que son père lui avait dit : « Ton visage ne t’appartient pas. Il appartient à celui qui te regarde. C’est désagréable de voir une personne sérieuse. Regarde, c’est avec un sourire que tu peux gagner les coeurs ». La jeune Espagnole enthousiaste, gaie et souriante, arrive donc au Collège d’Héliopolis avec sa guitare, pour se bloquer devant des religieuses françaises âgées et sérieuses qui se vouvoyaient. « C’était très difficile. Elles étaient très gentilles avec moi, mais elles vivaient dans un autre siècle que le nôtre… ».

Une des deux personnes qui ont marqué le plus sa vie, c’est mère Claude Brahamcha, qui était à cette époque la directrice du Collège d’Héliopo­lis. Mère Brahamcha était traditionnelle, mais Romero a reçu d’elle beaucoup d’amour et d’af­fection. « C’est elle qui m’a sauvée. Elle m’ex­pliquait beaucoup de choses ».

Et en voyant qui Romero était et le désir qu’elle avait pour travailler avec les pauvres, on l’a envoyée à Samalout dans le gouvernorat de Minya, en Haute-Egypte, (200 km au sud du Caire) pour une mission de deux années, qui sont parmi les plus heureuses qu’elle ait passées en Egypte. Elle se rappelle qu’à ce moment, en Egypte, il n’y avait rien sur le marché, même pas une boîte de sardines, « juste un très bon fromage blanc ». Les reli­gieuses n’avaient ni téléphone, ni voiture. Or, à ce moment, les voi­tures marchaient à la manivelle et on y montait 15-16 au lieu de 5-6. « Mais nous étions très heureuses dans notre communauté à servir les plus pauvres. Nous avons vécu une pauvreté réelle là-bas », ajoute-t-elle.

En 1972, Romero arrive au Collège de Ghamra pour remplacer la religieuse qui s’occupait des « grandes », parce que cette dernière fut transfé­rée à Héliopolis. C’est ici alors qu’elle commen­cera sa vraie mission qui ne s’est pas arrêtée tout au long de 45 ans. « Les gens me disaient que les murs parlent. C’est vrai un peu, je connais chaque clou ici ».

A partir de l’année scolaire 1972-1973, soeur Romero voit déferler devant ses yeux les promo­tions, les unes après les autres. Chaque ancienne élève du Collège de Ghamra a été marquée par son sourire : « J’essayais de transmettre mon amour à travers le sourire, même quand je suis fâchée ».

Arrivée en Egypte, elle pensait être comme un poisson dans l’eau. Pourquoi ? Parce que l’ac­cueil des gens et les valeurs de l’âme égyptienne l’ont fascinée dès le premier jour. « Surtout la générosité, la joie de vivre, même si on est pauvre. Aussi la réceptivité des élèves et com­bien elles étaient attachantes ». A ses débuts, elle était jeune et un peu naïve. « Les élèves de ma première promotion me racontent que quand je suis arrivée, je les laissais seules pendant qu’elles faisaient les contrôles en disant que j’étais sûre qu’elles n’allaient pas tricher… ».

L’expérience en tant qu’éducatrice s’est accu­mulée au fil des ans, mais aussi l’imprégnation dans les événements majeurs de l’Egypte. Or, le jour où la guerre du 6 Octobre a éclaté, les religieuses étaient très heureuses de voir récupérer les terres du Sinaï. L’école a fermé pendant 20 jours. « Nous sommes allées directement nous inscrire dans les hôpitaux pour aider comme infirmières. Je suis allée à Dar Al-Chéfa. On avait vidé l’étage de maternité pour installer les brûlés. J’ai été très touchée par cette jeunesse qui a donné sa vie pour son pays. J’ai connu beaucoup de per­sonnes qui avaient perdu une jambe ou un bras. Je passais mes journées avec les soldats et les officiers, toutes religions confondues, depuis 6h du matin jusqu’à 5h de l’après-midi et je sentais que le temps passait vite. Ils étaient mes jeunes frères. J’ai été surtout touchée par Ali que sa fiancée a quitté parce qu’il avait perdu un bras ».

A l’école, la victoire de 1973 a changé les rites du salut du drapeau, qui était obligatoire. C’est un moment superbe pour réunir toute l’école. Les filles passent les titres des informations, présentent le thème de la journée, un petit chant, puis présentent une courte prière demandant à Dieu de préserver l’Egypte. « Que les élèves respectent leur drapeau est extrêmement impor­tant. Il faut que le drapeau soit toujours propre et repassé, et jamais vieux ». Les deux saluts du drapeau les plus émouvants, selon elle, étaient celui de la rentrée en 1974, un an après la guerre, et le second était celui de la rentrée 2012, après la révolution du 30 juin. « Celui-ci avait été pré­paré par les élèves qui avaient été à la place Tahrir en 2011 ». Romero trouve merveilleux que les élèves apprennent à parler au micro, devant des foules, de ce qu’elles ont vécu. Elle pense que cela « soude l’école » en tant qu’ins­titution unie et la transforme en vraie famille.

Mais n’était-elle pas fatiguée de voir sortir les promotions les unes après les autres ? « Bien sûr que non … Nous les éducatrices, nous gardons toujours la jeunesse. Les filles partent à 18 ans, et nous recommençons avec les 16 ou 17 ans ». En effet, l’éducation au collège ne s’arrête pas uniquement dans l’enceinte de l’école, mais s’étend aux camps et aux excursions organisés un peu partout. Romero opte pour cela avec excellence. Des camps de formation et de travail se font chaque année à Alexandrie, à Louqsor et Assouan, pour découvrir la culture et la civilisa­tion égyptiennes, mais aussi dans la Haute-Egypte rurale. « L’important dans ces missions est de faire découvrir aux filles du Caire les valeurs des habitants de la Haute-Egypte. On voyait les agriculteurs comme étant les vrais Egyptiens, avec toutes leurs valeurs d’accueil, de générosité et de fierté, et surtout un sens d’humour extraordinaire ». Le camp modèle comprenait une longue rencontre avec les filles du village, une journée de travail dans les champs et une journée de travail avec les soeurs pour préparer les médicaments et les bandages pour leur travail au dispensaire. « Il fallait mon­trer aux filles qu’elles doivent être fières de l’Egypte, parce que beaucoup de fois on les entendait dire qu’elles voulaient la quitter ».

A partir de l’an 2000, Romero mène avec « ses filles » des campagnes afin de nettoyer les alentours du collège, alors que les jeunes net­toyaient uniquement l’intérieur. En 2002, elle part avec ses filles au Sinaï, dans la réserve naturelle de Ras Mohamad, pour nettoyer les mangroves, importants arbres d’escale pour les oiseaux migrateurs. Les filles étaient aussi pré­sentes pour secourir les habitants du mont Moqattam après le séisme de 1992, puis à la chute des rochers en 1994. Elles étaient là pour jouer avec les enfants et apporter des denrées alimentaires aux familles ayant perdu leurs mai­sons. Le comité social de l’école organise chaque année des séries d’activités selon l’âge des élèves, de la première primaire jusqu’à la 3e secondaire. Les petites reçoivent, avec leur parents, des enfants défa­vorisés d’un quartier populaire. Et à partir de la 4e primaire, les élèves sortent en dehors de l’école pour des visites régulières aux orphelinats, dans les maisons de retraite, dans les associations de sourds-muets, dans les usines abritant des enfants tra­vailleurs, dans le quartier des chif­fonniers, chez les enfants cancéreux de Fom Al-Khalig et parmi les enfants de la rue. « En quittant l’école, les filles auraient vu un éventail de situations de marginalisation en Egypte. Elles partent en sachant qu’elles ont quelque chose à faire pour leur pays ».

Pilinchi Romero est navrée par la violence qui existe dans le monde : « Mon rêve est que nous soyons tous des frères et des soeurs, dépassant la foi de chacun, dépassant notre situation sociale, dépassant les races et les frontières. Dieu nous a créés pour que nous soyons tous des frères et c’est seulement l’amour qui peut sauver le monde et qui peut sauver l’Egypte ». Et de conclure: « Je viens d’apprendre de quelques amis étrangers qui ont visité le projet du Canal de Suez que c’est extraordinaire, comment a-t-on pu faire tout ceci en une seule année. Moi je dis que l’Egyptien et l’Egyptienne sont en réa­lité très capables. Ils ont été capables de construire les pyramides et capables de réussir autant d’exploits. J’encourage les Egyptiens à continuer les exploits et, surtout, à s’aimer ».

Jalons :

1942 : Naissance à Ferrol, au nord de l’Es­pagne.
8 septembre 1961 : Entrée dans la Congrégation du Sacré-Coeur à Madrid.
25 janvier 1970 : Prononciation des voeux perpétuels.
13 mars 1970 : Arrivée en Egypte.
1970-1972 : Mission sociale en Haute-Egypte.
1976-2015 : Responsable du cycle secon­daire au Collège de Ghamra.
2011 : Nommée Chevalier des Palmes acadé­miques françaises.

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