«Ne vous inquiétez pas … le pourcentage du non au référendum témoigne d’une contestation considérable. C’est rassurant quand même. Le peuple égyptien est incroyable », lance Nasser Amin, au lendemain de la première phase du référendum sur le projet de Constitution. Selon lui, il ne faut jamais perdre espoir, mais continuer à militer et à remonter le moral aux autres. Cela fait partie de son rôle d’avocat à la Cour de cassation et à la Cour pénale internationale, et en tant que directeur d’ACIJLP. Son regard joyeux laisse échapper un certain sarcasme. Il critique la situation actuelle, mais dévoile aussi qu’au fond de lui-même, il voit les choses autrement. Il l’exprime d’ailleurs ouvertement sur un ton sérieux : « Ce référendum est sans doute le pire de l’histoire du pays. L’absence de surveillance juridique et de supervision de la société civile internationale ou locale rend le processus effrayant ».
Les médias ont affirmé que les autorités s’étaient livrées à toutes sortes de fraudes. Les chiffres publiés officieusement sont remis en cause. « La veille du référendum, il y avait une tendance à rejeter la Constitution, parmi pas mal de gens. Mais, on a eu recours à plusieurs astuces afin de freiner cette volonté. Par exemple, on a tardé à ouvrir certains bureaux de vote. Certains bureaux de vote ont fermé plus tôt que prévu alors que les électeurs continuaient à affluer. Cela signifie qu’il y avait une volonté politique de la part du régime de faire passer ce référendum », souligne-t-il. Les organisations de la société civile, y compris le Centre arabe pour l’indépendance de la magistrature, ont réclamé l’annulation de la première phase du référendum. Elles ont mis l’accent sur l’urgence de refaire ce référendum. « Vu les irrégularités, le référendum a perdu sa légitimité sur le plan local, mais aussi sur le plan international », résume-t-il.
Le chaos politique règne, cependant Amin croit à la force du peuple. Selon lui, les mesures entreprises par le régime au pouvoir précipiteront sa chute. Cela étant, il rassure les abonnés sur son compte Twitter, soulignant l’importance de porter plainte contre ces irrégularités et de recourir à la justice. « Le citoyen ordinaire doit rejoindre les partis politiques ou adhérer aux différentes coalitions, afin de faire entendre la voix de la contestation et par la suite élever le plafond des revendications, pour faire tomber ce projet de Constitution », conseille-t-il.
Amin ne perd pas confiance. Il a l’habitude de combattre jusqu’au dernier souffle, étant familier aux enjeux politiques. Sa passion pour ce monde est née lors de la Guerre d’usure. D’ailleurs, son enfance fut fortement marquée par cette période historique. Nasser Amin passait son temps avec les amis et les voisins à jouer devant la maison. Tous s’attelaient à creuser des tranchées ou à élever des murailles qui servaient d’abris pour les habitants face aux raids israéliens. A travers le jeu, il découvre le champ politique. La victoire de 1973, la création des partis politiques, les chansons du cheikh Imam et d’Ahmad Fouad Negm, le mouvement estudiantin en 1977 ont attiré le jeune Amin vers la politique. « Je cherchais à mieux comprendre », lance-t-il. Une raison pour laquelle il a choisi de s’inscrire en droit. Et il a donc appris à faire face aux troubles et aux machinations de la vie politique, sans jamais se lasser. Pour cet avocat des causes nobles, défendre les droits de l’homme, la liberté d’expression et l’indépendance de la magistrature est devenu l’objectif de sa vie. Et ce, en raison d’une expérience personnelle assez touchante. « J’ai reçu mon diplôme en prison. Sous le régime de Moubarak, plusieurs étudiants de gauche et moi-même étions accusés de vouloir renverser le régime et d’appartenir à des groupuscules nassériens armés. Notre procès devait être examiné par la Cour de sûreté d’Etat, laquelle a décidé de nous libérer, à l’exception d’un collègue condamné à 5 ans de prison. Mais la présidence n’a pas approuvé le verdict et a fait pression pour que le procès soit revu. De nouveau, on s’est retrouvés en détention et le procès devait être examiné par un autre juge : Saïd Al-Achmaoui. A l’époque, j’ai fait connaissance avec les premiers avocats des droits de l’homme venus nous défendre bénévolement, dont, entre autres, Ahmad Al-Khawaga, Ahmad Seif Al-Dawla et Nabil Al-Hélali. Le jour de la prononciation du verdict, je me suis posé la question : Quel sera notre sort si le juge n’est pas impartial et indépendant ? Quel sera notre avenir ? ». Ces questions ont par la suite façonné toute la carrière de Nasser Amin.
Acquitté, il s’est engagé au service de la défense des droits de l’homme. Dans les locaux de l’ordre des Avocats, il a célébré son mariage avec sa collègue Hoda … Puis, il s’est lancé dans la défense des jeunes accusés dans des affaires politiques. « Au début de 1994, je me suis présenté volontairement pour défendre un accusé islamiste appartenant au mouvement Talaë Al-Fatah, devant la Cour militaire. C’est la pire des choses. La Cour militaire nous a empêchés de faire un plaidoyer en faveur des accusés. Elle voulait à tout prix les condamner à mort. Faire appel à des avocats n’était qu’une comédie, une pure mise en scène. Après ce procès, j’ai refusé de plaider devant un tribunal militaire ». Cette expérience amère a convaincu davantage Nasser Amin de se spécialiser dans les procès des droits de l’homme. Il s’est intéressé notamment à offrir aux citoyens les conseils juridiques nécessaires, afin de réclamer leurs droits. Aussi, a-t-il contribué, avec son ami (aujourd’hui disparu) Hicham Moubarak, à la création du Centre des conseils et des aides juridiques en 1995.
A chaque procès examiné, la même question revenait inlassablement : Qu’est-ce qui garantit l’indépendance et l’intégrité des juges ? Deux ans plus tard, il fonde le centre arabe pour l’indépendance, de la magistrature et des professions juridiques. « C’était mon rêve », souligne Amin. D’une part, le Centre est chargé d’effectuer des recherches et de tenir des conférences sur la magistrature et la plaidoirie. Et d’autre part, il offre des ateliers de formation pour les avocats et les activistes des droits de l’homme.
Outre ce centre, Amin offre ses services partout dans le monde arabe. « Les juges et les hommes de droit égyptiens ont collaboré à l’élaboration du système juridique et des Constitutions dans tous les pays arabes. La présence de ce centre comble une lacune au niveau de la coopération juridique arabe et internationale », explique Amin. A travers le centre, Nasser Amin a pu évoquer l’indépendance de la magistrature. « Tous les juges croient que l’indépendance fait partie de leurs droits. Alors qu’en réalité, c’est le droit de tout citoyen, de toute personne inculpée. C’est ce qui permet d’avoir confiance dans le processus juridique », indique-t-il.
Au départ, le lancement du projet concernant l’indépendance de la magistrature était fortement critiqué par les différents organismes juridiques. Pour plusieurs, il touchait au problème de la compétence. Mais Amin, ne cédant jamais à ses droits, a continué à faire son travail. Le centre organisait, en coopération avec l’Agence danoise pour le développement international (1997-1998) et avec l’Union européenne (2000-2001), plusieurs conférences sur l’importance de l’indépendance de la magistrature. Les recommandations et l’échange des idées effectué dans ce cadre ont donné au centre un statut particulier sur la scène juridique. D’ailleurs, on fait très souvent appel au centre actuellement. « Après la révolution, beaucoup de juges ont été chargés de nouvelles missions au sein du gouvernement. Ceux qui revendiquaient dans le temps l’indépendance ont changé de position après avoir eu le pouvoir en main. Ils soutiennent actuellement le régime et les Frères musulmans. Pourtant, les autres organismes juridiques poursuivent leurs démarches », souligne Amin.
Vu le siège imposé à la Cour constitutionnelle et la pression exercée par les juges, le rêve de l’indépendance de la magistrature semble lointain. Mais Amin explique : « Il ne faut pas oublier que le pays traverse une période de transition. On se fraye la voie vers la démocratie. Et à ce stade, on n’est encore qu’au début. Mais on y arrivera un jour. C’est l’essentiel ».
Suite à la démission du nouveau procureur général, Talaat Abdallah, Nasser Amin se dit « soulagé ». Sur Twitter, il encourage les membres du Parquet général et les magistrats en disant : « C’est un premier pas vers l’indépendance ».
Préoccupé par les causes politiques, les procès, les débats dans les différents médias, l’avocat reconnaît qu’il oublie souvent sa famille. « J’ai tort. J’ai tout laissé à ma femme. Je ne me suis même pas rendu compte que mes enfants ont grandi. Il y a juste quelques jours, j’ai remarqué qu’il y a des personnes grandes de taille qui vivent avec moi », dit-il en souriant, sans jamais regretter le travail qu’il effectue, sa véritable passion .
Jalons :
1988 : Diplôme de droit de l’Université du Caire.
1989 : Acquittement après avoir été en prison pour tentative de renversement du régime.
1995 : Défense du film Al-Mohager (l’immigré) de Youssef Chahine, lors d’un procès intenté par un salafiste.
1997 : Fondation du Centre arabe pour l’indépendance de la magistrature et des professions juridiques.
2000 : Le centre est déclaré comme étant un bureau d’expertise, auprès du Conseil économique et social des Nations-Unies.
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