Al-Ahram Hebdo : Lors d’un récent colloque sur la nouvelle écriture, vous avez pris position contre cette notion. Pourtant, vous faites vous-même partie des jeunes romanciers ?
Hedra Girgis: Si j’accepte une notion comme la « nouvelle écriture », cela veut dire que je dois me débarrasser de tout ce qui est ancien! L’écriture, pour moi, doit s’intéresser à l’humanité pour qu’elle soit éternelle. L’écriture est un mélange de touches intellectuelles, de sentiments, d’un sujet ou un noeud, d’une histoire, d’un récit et de différents niveaux de langue.
La différence entre l’importance de ces composantes nous donne tous les jours une nouvelle écriture. Ce sont les circonstances politiques, sociales, l’environnement dans lequel vit l’auteur, ainsi que sa culture, qui poussent l’écrivain ou le romancier à réaliser son propre mélange entre ces idées.
Le mouvement surréaliste est né après la Seconde Guerre mondiale et ses millions de victimes. Les surréalistes se sont dirigés vers la description d’une autre réalité, remplie d’imagination. Pour eux, la réalité de la guerre ne mérite pas d’être écrite. Nous avons donc vu des écritures qui plongeaient dans le fantastique, ou d’autres cauchemardesques, comme chez Kafka.
— Mais s’il n’y a pas de « nouvelle écriture », que sont donc ces nouveaux romans qui voient le jour depuis quelques années ?
— Je pense qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle écriture, mais d’une mauvaise utilisation de l’écriture. Les nouveaux romans apparus sur le marché littéraire traitent les sujets d’une façon superficielle. Les romanciers se contentent d’observer et de décrire sans avoir de vision du monde qu’ils relatent. Pourtant, l’écriture s’intéresse à l’explication de la réalité, pas seulement à son observation. Les écrivains doivent avoir recours à des procédés visant une vue profonde de l’humanité.
Nous lisons jusqu’à aujourd’hui le roman d’Hemingway, Le Vieil homme et la mer, parce qu’il ne s’agit pas d’une simple histoire d’un homme qui pêche un poisson, mais du conflit de l’homme dans la vie. Ces romans qui émergent sur le marché aujourd’hui sont importants dans un certain sens. Mais si ces écrits n’ont pas d’objectifs sociaux, ils ne pourront pas survivre pour longtemps.
— Qu’est-ce qui vous a poussé à déclarer que le romancier, dans les sociétés arabes, occupe une position très particulière ?
— Nombreux romanciers et intellectuels se trouvent obligés de payer le coût de leurs oeuvres aux maisons d’édition pour publier leurs productions. Et nous avons des éditeurs qui ne sont pas professionnels. On n’a pas de vrai marché du livre. On n’a pas de vraie industrie. Nous souffrons en Egypte d’un taux de 40% d’illettrés et d’un niveau économique très bas qui font qu’une famille n’a pas de budget pour acheter des oeuvres littéraires. Loin de toute dimension politique, l’expérience de Maktabet Al-Osra (la librairie de la famille) doit persister parce qu’elle est un moyen important pour que le livre soit entre les mains de tous, quelle que soit la classe sociale.
— Que pensez-vous de l’état de la critique littéraire en Egypte ?
— A mon avis, nous vivons une période où la vraie critique littéraire est rare. Ce que nous lisons ressemble le plus souvent à une présentation de l’ouvrage. Le vrai critique, qu’il soit académique ou non, celui qui analyse et dévoile les secrets de l’oeuvre littéraire, est rare. La critique est une leçon pour le romancier et pour le lecteur. Parfois, elle dévoile à l’écrivain lui-même des points forts et d’autres plus faibles dans ce qu’il a écrit.
Un critique littéraire tel Ragaä Al-Naqqach nous manque, personne ne l’a remplacé jusqu’à aujourd’hui. C’est lui qui nous a fait connaître l’écrivain soudanais Al-Tayeb Saleh et le poète palestinien Mahmoud Darwich. Nous avons besoin d’un vrai mouvement critique qui nous apprenne plus sur le monde de l’écriture.
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